Jean-François Foucard, secrétaire national CFE-CGC, en charge de la formation professionnelle.

Jean-François Foucard (CFE-CGC) appelle à une appropriation « réelle » du concept de plan de développement des compétences par les entreprises

Que reste-t-il des principes des lois de 1971 ? Quelles ruptures après la réforme de 2018 ? Quelles perspectives se dégagent de ces 50 ans d'évolutions du dispositif de la formation professionnelle ? Plusieurs personnalités et experts du secteur de la formation professionnelle apportent leur éclairage sur ces questions. Décryptage avec Jean-François Foucard, secrétaire national emploi-formation de la CGE-CGC.

Par - Le 26 mai 2021.

Le Quotidien de la formation - Que doit-on à la loi Delors ?

Jean-François Foucard - La loi Delors a apporté un financement obligatoire de la formation professionnelle, souvent vécu comme un impôt par les entreprises. Elle n'a pas fondamentalement changé la donne : la population active française reste une des moins formées d'Europe. Une très grande partie des fonds de la formation ne sert que pour des formations obligatoires, réglementaires à renouvellement régulier, sans plus-value pour s'adapter aux évolutions majeures de l'environnement économique et technologique. Les branches professionnelles ne produisent ni boîtes à outils de parcours professionnels, ni passerelles entre les métiers d'une branche. Quant au niveau interprofessionnel, les passerelles entre les branches sont aux abonnés absents. Il y a un problème de volonté de financement et d'investissement de la part des entreprises de 50 à 300 salariés. Se retourner vers l'État est devenu un réflexe pavlovien pour la très grande majorité des entreprises.

QDF - Où en est-on aujourd'hui après la réforme de 2018 ?

J.-F. F. - Nulle part. L'apprentissage a redémarré avec une politique d'aide importante : qu'est-ce que cela serait réellement sans cette aide massive ?

Les entreprises, à de très rares exceptions, n'ont pas intégré que la formation professionnelle est un investissement, elles en restent à la formation professionnelle obligatoire. La logique d'employabilité externe n'est pas réelle. L'entretien professionnel est vécu le plus souvent comme un process administratif et non comme une opportunité de parler parcours professionnel et anticipation des actions à mener.

Quant à l'outil phare de la réforme, le compte personnel de formation, censé faire le pont entre la volonté individuelle et le projet de l'entreprise, pour moi il y a un point absolument rédhibitoire : c'est l'impossibilité pour une entreprise ou une branche de récupérer auprès de la Caisse des dépôts et consignations des abondements CPF non utilisés. Non utilisés parce que le salarié est parti, parce qu'il arrête sa formation, etc. Ni les entreprises ni les branches ne peuvent accepter que les fonds d'abondement ne reviennent pas vers elles depuis la Caisse des dépôts. Dans ces conditions, il est impossible de se projeter et de développer un dialogue social nouveau autour de la formation et des compétences pour déboucher sur une pratique massive de co-investissement. Or, à l'origine, le CPF a été pensé pour qu'il se réalise à 80 % en co-investissement avec abondement des entreprises et des branches, et à 20 % en CPF sans abondement. Du fait du non-retour des fonds, les entreprises qui veulent avancer sur l'abondement CPF pratiquent l'accord tripartite salarié-entreprise-prestataire de formation, et paient directement une part au prestataire. Avouons que cela ne facilite pas la généralisation de l'abondement. Deux formes de co-construction existent aujourd'hui : une forme « basse », l'entreprise cofinance le CFP pour une formation hors temps de travail ; une forme « haute », l'entreprise cofinance le CFP et accepte la formation sur temps de travail. Pour la CFE-CGC, c'est cela le vrai co-investissement. Sinon, le CPF est à peine un chèque pédagogique, et restera comme aujourd'hui le réservoir de financement pour les chômeurs.

QDF - Que faire désormais ?

J.-F. F. - Mettre le parcours du salarié au centre d'un accord de co-construction dans lequel l'entreprise investit et le salarié agit, voire investit également. Pour cela, il faut que les entreprises s'approprient réellement le concept de plan de développent des compétences, investissent massivement dans la formation, sans attendre une manne étatique et qu'elles ne prennent plus les salariés pour leur propriété. L'entretien professionnel et l'accord de GEPP (gestion des emplois et des parcours professionnels) sont deux dispositifs qui permettent de nourrir et piloter le plan de développement des compétences.

Il faut aussi que les salariés comprennent que travailler près de cinquante ans dans en environnement qui évolue rapidement nécessitera des périodes de formation plus ou moins longues et pas forcément toutes prises en charge en totalité par l'entreprise. Mais notre positionnement est clair : pas de co-investissement sur les formations professionnelles obligatoires pour un salarié en activité dans une entreprise concernée ! Le CPF est aujourd'hui un système ouvert non financé, qui n'est plus régulé par des listes. Ce dernier souffre d'un sous-financement chronique et violent, il faut mettre en adaptation les ambitions et les ressources, sauf à réguler drastiquement le CFP.

Dernier point : je crois que l'idée des blocs de compétences est une fausse bonne idée, car les compétences sont contingentes à l'activité de travail. C'est plutôt de blocs de connaissances communes dont le système français de formation aurait besoin.

 

Lire notre précédent décryptage avec Antoine Foucher.