Fouzi Fethi, responsable du pôle droit et politiques de formation, conférences et formations, à Centre Inffo.

« Certification des compétences », un abus de langage ?

La notion de « certification des compétences » émerge dans le vocabulaire de la formation professionnelle, bouleversant les critères d'évaluation. Responsable du pôle droit et politiques de formation de Centre Inffo, Fouzi Fethi interroge cet essor et ses implications juridiques.

Par - Le 26 février 2024.

Ancrée dans les pratiques commerciales et le droit de la consommation, la notion de « certification » fait irruption dans le domaine des compétences. La notion de « certification des compétences » qui ne figure pas dans le Code du travail est aujourd'hui au cœur des objectifs des programmes de formation professionnelle. Cette évolution témoigne d'un changement de paradigme, où la valeur d'un individu sur le marché du travail ne se mesure plus uniquement par son cursus académique, mais par sa capacité à mettre en pratique des compétences validées et reconnues par un organisme certificateur. La « certification des compétences » garantirait ainsi la qualité des travailleurs, sur des principes similaires à ceux régissant la certification des produits et services.  Mais en droit du travail, cette intrusion n'est-elle pas un abus de langage ?

Consommation et travail, si proche, si loin

Les domaines du droit de la consommation et du droit du travail se frôlent, se juxtaposent, mais demeurent éloignés dans leur traitement de la certification.

Le Code de la consommation offre une définition qui, bien que limitée aux produits industriels et aux services, devient la référence pour appréhender le concept juridique de « certification ». La certification atteste qu'un produit, un service ou une combinaison de produits et de services est conforme à des caractéristiques décrites dans un référentiel.

Cette définition s'étend à d'autres certifications, y compris la certification des personnes qui renvoie à des caractéristiques juridiques destinées à attester que les personnes possèdent certaines qualités, dans lesquelles les entreprises peuvent légitimement avoir confiance, sur des principes identiques à la certification des produits et services.

La qualité d'organisme certificateur est soumise à une accréditation par le comité français d'accréditation (Cofrac) ou un organisme européen équivalent. Ainsi par exemple, les personnes qui réalisent les diagnostics de performance énergétique avant la vente d'un bien immobilier sont certifiées par des organismes accrédités par le Cofrac selon la norme ISO/IEC 17024.

Dans le Code du travail, la qualité d'organisme certificateur dans le domaine des compétences a fait irruption en ignorant cette définition. La qualité d'organisme certificateur est conditionnée à la détention d'une certification enregistrée dans l'un des deux répertoires nationaux : le répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) et le répertoire spécifique des certifications et habilitations (RS).

Dans le RNCP sont inscrites des certifications visant la « validation des compétences et des connaissances acquises nécessaires à l'exercice d'activités professionnelles ». Ces certifications professionnelles se composent de « blocs de compétences ». Dans le RS sont enregistrées des certifications qui viennent compléter celles du RNCP, des certifications représentant des « compétences professionnelles complémentaires ».

Former pour certifier, un conflit d'intérêt ?

Ainsi tout organisme certificateur se trouvant dans cette situation peut se targuer de la qualité d'organisme certificateur pendant toute la période d'enregistrement de sa certification.

L'État, dont certains diplômes y sont inscrits d'office et dont la légitimité est ancrée dans le domaine de l'éducation, se trouve propulsé dans le monde de la « certification des compétences ». N'ayant pas le monopole, il est devenu un organisme certificateur parmi d'autres : partenaires sociaux, chambres consulaires, organismes de formation…ont l'opportunité d'enregistrer leurs propres certifications selon des critères listés par le Code du travail.

Mais tous échappent au droit de la consommation et donc à l'accréditation d'une instance officielle, laissant planer des doutes quant à leur impartialité. D'autant plus que derrière les organismes certificateurs, il y a souvent des prestataires de formation dont le cœur de métier n'est pas de certifier des compétences, mais de former en vue éventuellement de préparer à une certification. Leur motivation première réside dans la vente de formation. Et leur modèle économique est financé sur des fonds publics ou mutualisé grâce justement à la préparation de ces certifications.

Ce modèle est encouragé par les pouvoirs publics :  la certification est adossée aux dispositifs de financement de la formation, dont le fameux compte personnel de formation (CPF). Vendre de la formation en vue de « certifier des compétences » permet de financer des heures-stagiaires. La situation de conflit d'intérêts qui en résulte interroge les principes directeurs du droit de la consommation.

Compétence certifiée ou formation certifiante ?

Mais cette interrogation s'atténue au regard de ce que certifie vraiment ces organismes certificateurs. Deux interprétations s'affrontent. Une, littéraliste, envisage la certification délivrée comme garantissant les compétences de la personne. L'autre, moins stricte, envisage la certification comme garantissant les acquis d'une formation ou éventuellement d'une expérience.

La première interprétation se heurte au fait que les compétences nécessitent un jugement social ou une reconnaissance par autrui qui permet de déterminer si l'individu est compétent ou non pour une tâche spécifique. En effet, les compétences sont difficilement objectivables en raison de leur dépendance à l'organisation du travail et à l'appréciation discrétionnaire de l'employeur. Cette conception est d'ailleurs soutenue par le Code du travail lui-même, qui dispose que l'employeur « veille au maintien » de « la capacité » du salarié « à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations ». Il est donc seul souverain dans l'évaluation de la capacité du salarié à occuper un emploi. Déclarer que ce sont les compétences qui sont certifiées est une assertion dénuée de sens : la certification propriété intrinsèque de l'individu, est acquise à vie, tandis que les compétences, elles, évoluent avec le temps et les besoins des organisations, selon les évaluations des employeurs.

La seconde interprétation, plus cohérente avec le droit du travail, écarte l'idée que la certification porte sur les compétences intrinsèques d'un individu. Elle ne peut en effet porter que sur les connaissances et les compétences spécifiques acquises par le biais d'une formation déterminée ou d'une expérience. La certification délivrée ne garantit en aucun cas que la personne est compétente. Elle ne peut être utilisée comme argument opposable à un employeur, que ce soit lors d'un processus de recrutement ou tout au long de la carrière professionnelle. Cependant, elle ouvre des opportunités telles que la possibilité de suivre une formation de niveau supérieur, de postuler un emploi, d'exercer une profession réglementée ou de passer un concours de la fonction publique...

En définitive, la « certification des compétences », notion empruntée au vocabulaire du droit de la consommation, est un abus de langage.