Béatrice Laurentin, consultante Centre Inffo en politiques de formation, Laurent Duclos, chef de projet Ingénierie de parcours et stratégie d’accompagnement Ipsa sous-direction des parcours d’accès à l’emploi (ministère du Travail – DGEFP), Béatrice Delay, enseignante-chercheuse associée Cnam, cheffe de projet Études-Évaluation à France compétences

AFEST : entre sobriété juridique et puissance opérationnelle

Instaurée par la réforme de 2018 après une expérimentation nationale, l'Action de formation en situation de travail (Afest) s'impose comme un objet atypique qui renouvelle l'approche de la compétence. Une Master Class Centre Inffo dresse le bilan.

Par - Le 29 septembre 2025.

Pédagogie active, réflexivité, réorganisation du travail et cadre légal minimaliste, tels sont les ingrédients qui font de l'Action de formation en situation de travail (Afest) un puissant levier d'apprentissage par le réel. Loin d'être une « usine à gaz », l'Afest apparaît comme un outil structurant, utile bien au-delà des tâches élémentaires et nettement distinct de la simple « formation sur le tas. »

Apprendre par le réel

« L'Afest incarne à plusieurs titres un nouveau paradigme dans le champ de la formation professionnelle », rappelle Béatrice Delay, cheffe de projet Étude-Évaluation à France compétences, lors de la Master class de Centre Inffo jeudi 25 septembre. En tant qu'objet pédagogique, l'Afest organise une alternance itérative entre situations de travail intentionnellement aménagées et séquences réflexives. L'apprenant « est aux manettes » : il questionne ses gestes, explicite ses raisonnements, analyse les écarts entre attendus et réalisations. Le formateur n'est plus le « sachant qui montre », il accompagne l'investigation et la mise en mots.

Réflexivité

Ce paradigme dépasse la logique de stage ou de transfert magistral : « on apprend en faisant mais en faisant différemment, dans des situations rendues accueillantes à l'apprentissage, avec des séquences réflexives et une ingénierie structurée », insiste Laurent Duclos, chef de projets Ingénierie de parcours et stratégie d'accompagnement à la DGEFP (Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle). Il le souligne, « l'Afest ne peut pas être envisagée indépendamment de l'environnement dans lequel elle est implémentée. » Sa mise en œuvre est contraignante – elle suppose d'aménager le temps de travail, d'accepter des baisses de productivité temporaires, de dégager du temps pour les formateurs internes et de coconstruire des ingénieries in situ fondées sur l'analyse du travail réel -, mais permet à l'entreprise de réinvestir la fonction formative. Parce qu'elle mobilise la communauté de travail, elle est aussi une « stratégie de management », à laquelle elle redonne du sens.

Afest, rien de nouveau ?

Tous les intervenants en conviennent, apprendre en faisant existe depuis toujours. Pour autant, la rupture de l'Afest tient à l'écriture du geste formatif. « Le matériau pédagogique n'est pas apporté par le formateur, c'est l'apprenant qui le produit en travaillant », observe Laurent Duclos. « Comparativement à la formation sur le tas, l'Afest optimise la pertinence et la rapidité des apprentissages », analyse Béatrice Delay. En tant que démarche formelle, elle rend légitime et finançable une pédagogie expérientielle structurée.

Parfois critiqué pour la complexité de ses modalités de financement, l'Afest est pourtant cadrée par une « loi bien écrite, sobre », défend Laurent Duclos. Les frictions proviennent moins du droit que des préférences des financeurs : formateur externe, organisme de formation certifié, qualifications de « formateur Afest », toutes ces exigences ne figurent pas dans la réglementation. La clé ? « Subordonner l'administratif au pédagogique » et accepter comme preuves les pièces produites par le processus lui-même (carnet de réflexivité, analyses, bilans).

Quand les conditions sont réunies, « l'Afest est simple dans son principe et puissante dans ses effets. » Parce qu'elle est pertinente pour traiter la complexité, « la bonne maille, c'est la compétence, pas la tâche simple », insiste Laurent Duclos. « Un professionnel compétent sait agir en situation, au-delà des consignes », rappelle Béatrice Delay. Et parce qu'elle développe jugement, autonomie et capacités d'adaptation, elle déborde le cadre des métiers techniques auquel certains voudraient la cantonner et se révèle tout aussi utile dans des fonctions de service, de coordination et de management.

Ni gadget, ni usine à gaz, l'Afest apparaît in fine comme une modalité formelle et pragmatique de montée en compétence, au cœur du travail.