Le 22 janvier 2025, ouverture de la 19e UHFP. Cynthia Fleury, psychologue, psychanalyste, professeure titulaire de la chaire Humanités et Santé au Conservatoire national des arts et métiers, professeure associée à l’École des Mines et titulaire de la chaire de philosophie du GHU Paris psychiatrie & neurosciences.

Le 22 janvier 2025, ouverture de la 19e UHFP. Cynthia Fleury, psychologue, psychanalyste, professeure titulaire de la chaire Humanités et Santé au Conservatoire national des arts et métiers, professeure associée à l’École des Mines et titulaire de la chaire de philosophie du GHU Paris psychiatrie & neurosciences.

Cynthia Fleury ouvre la 19e UHFP avec un plaidoyer pour l'engagement

Pour la philosophe psychanalyste Cynthia Fleury, notre monde marqué par l'accélération et l'individualisation requiert un surcroît d'engagement. Voyage au sein d'une valeur morale qui s'approche de la compétence.

Par - Le 23 janvier 2025.

Et si le très médiatique appel à s'indigner publié par Stéphane Hessel en 2011 appelait une suite logique sous forme d'appel à s'engager ? L'époque semble le réclamer, mais s'engager à l'ère de l'accélération et de l'individualisation est un défi de grande ampleur. En connaissons-nous assez les ressorts et les tourments ? Pour répondre, Cynthia Fleury propose un détour par l'art comme métaphore de l'engagement. À travers la correspondance entretenue par Claude Monet et son ami Clémenceau sur les difficultés du peintre à achever sa série des Nymphéas, la philosophe met en lumière la dimension à la fois individuelle et relationnelle de l'engagement. Voisin de l'honneur, l'engagement de long terme se tient dans la lutte et l'estime de soi comme dans le respect d'une promesse faite à autrui dans « un principe réciproque d'augmentation. »

Méfaits du désengagement

Mais qu'arrive-t-il aujourd'hui à l'engagement pour que les logiques de désengagement paraissent l'emporter ? Pour la philosophe, s'exprime ici un symptôme de la modernité tel que théorisé par les sociologues Zygmunt Bauman et Harmut Rosa. Elle l'explique, « cette notion de désengagement désigne précisément un mode de relation où les individus peinent à s'impliquer durablement dans des liens sociaux, des institutions ou des projets communs ». Chez Bauman, le désengagement est encouragé par la compétition sociale et la quête de la réussite individuelle ; chez Rosa, c'est l'accélération de l'ensemble des activités humaines qui provoque le repli sur soi dans un réflexe de protection. Par l'accélération, c'est une forme d'« épuisement généralisé » qui s'installe, source de « désengagement politique et social ».

Paresse morale

Si l'engagement demeure lié au sentiment de responsabilité individuelle, il n'en est pas moins dépendant de « conditions systémiques », souligne Cynthia Fleury. Ici réside, selon elle, un défi pour les acteurs de la formation, qui est de « permettre de consolider les conditions de l'engagement de tous ». Parce que « s'engager, c'est tout simplement faire », il importe de « toujours veiller à maintenir chez le sujet un sentiment capacitaire ». Ce qui implique aussi de lutter contre les défaillances de la volonté théorisées par Christophe Dejours dans le concept d' « acrasie », résumé par Cynthia Fleury comme « une forme de démission volontaire face à l'effort réflexif et critique que requiert toute forme d'engagement moral ».

Prendre soin

Enfin, les conditions systémiques de l'engagement convoquent aussi le « care », cette vision holistique du soin que Cynthia Fleury appelle à étendre à l'ensemble du vivant[ 1 ]Voir son essai Le soin est un humanisme, Tracts Gallimard, 2019.. S'appuyant sur les travaux du zoologiste Adolf Horstmann, elle souligne que l'être humain est biologiquement programmé pour une longue période de dépendance et de développement tout au long de la vie. Ce qui justifie d'aborder le soin comme « principe central de construction d'une société empathique, équitable et durable ». Comme l'ont montré les écoféministes dès les années 70, le prendre soin est pour elle une alternative aux mécanismes de domination et d'exploitation capitalistiques, patriarcaux et environnementaux.

À l'approche de la commémoration du 80e anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz-Birkenau et dans un contexte géopolitique tendu, Cynthia Fleury rappelle en conclusion l'importance du courage et de la persévérance dans l'engagement : « Ne devenons pas des sociétés de la négligence dans lesquelles le désengagement est le seul mode relationnel dont nous soyons capables. »

Cynthia Fleury est psychologue, psychanalyste, professeure titulaire de la chaire Humanités et Santé au Conservatoire national des arts et métiers, professeure associée à l'École des Mines (PSL/Mines-ParisTech) et titulaire de la chaire de philosophie du GHU Paris psychiatrie & neurosciences.

Notes   [ + ]

1. Voir son essai Le soin est un humanisme, Tracts Gallimard, 2019.