Entretien avec Gilbert Renaud, membre du réseau Éduter : {“La FOAD ? Un concept marketing, rien de plus !" }

Par - Le 01 décembre 2011.

(Animateur de débats lors de la rencontre des formateurs tenue le 10 novembre par l'Institut Joseph-Jacotot (voir [notre article), Gilbert Renaud est membre du réseau Éducation et développement professionnel (Éduter) et responsable de la licence professionnelle Formateur en milieu professionnel au sein d'Agro Sup Dijon. )]

Vous n'avez pas dissimulé votre profond scepticisme à l'encontre de la formation ouverte et à distance, du moins, telle qu'elle est déployée aujourd'hui...

Effectivement, je ne partage pas le discours institutionnel enthousiaste sur la FOAD. Une conviction qui me vient tant des retours constatés sur le terrain - ainsi, seule une moitié des inscrits auprès du Cned[ 1 ]Centre national d'enseignement à distance. se montrent réellement rigoureux dans le suivi de leur parcours - que de mes propres tentatives pour déployer un dispositif de FOAD efficace auprès de ses propres étudiants, mais sans succès.

Beaucoup s'imaginent que le recours à la FOAD permet de dispenser un enseignement à plusieurs centaines de personnes à distance aussi efficacement qu'à une trentaine d'élèves dans le cadre d'une formation présentielle. C'est ridicule ! Croire qu'elles peuvent se former aussi efficacement chez elles que dans un lieu spécialement dédié relève de l'illusion. À domicile, elles rencontrent un nombre incroyable de sollicitations extérieures (famille, vie privée, etc.) qui sont justement bannies des lieux de formation physiques, qu'il s'agisse d'écoles, des locaux d'un organisme de formation ou d'une entreprise. La formation à domicile ne crée pas les conditions psychologiques de l'apprentissage.

Mais que dites-vous des possibilités de mutualisation des savoirs par l'intermédiaire de Wikis[ 2 ]Encyclopédies collaboratives, alimentées par les internautes eux-mêmes. , des échanges par le biais de webcams ou de “chats" ?

Sur le papier, ces outils sont sans doute formidables, mais la réalité est bien différente, car le format internet n'est pas adapté à la réflexion. Quant aux outils de communication, ils exigent une présence synchrone des participants, ce qui rentre en contradiction avec le concept même de FOAD où chacun peut se former quand il veut, à son rythme.

Ainsi, j'ai créé un forum dédié à mes étudiants de licence professionnelle, et n'ai pu que déplorer l'aspect scolaire et quasi-formaté des échanges qui s'y déroulaient. Les étudiants m'ont finalement avoué avoir créé un forum pirate, en dehors de celui d'Agro Sup, pour pouvoir s'exprimer plus librement ! Et ont réclamé la minoration des heures de formation à distance prévues dans le programme de la licence de formation de formateurs.

Pourquoi cet écueil ?

Dans cette configuration, la FOAD ne fait que déplacer la salle de classe sur un écran d'ordinateur et créée de nouvelles contraintes. Le recours à un forum se révèle bien plus lourd à l'usage qu'un échange oral entre étudiants, le système des communications par webcam fonctionne peu et mal. Quant au fait de croire que le numérique va nécessairement séduire les jeunes… A-t-on si vite oublié que voici une quinzaine d'années, tous les éditeurs qui se sont positionnés sur le marché de la vente de contenus pédagogiques sur CD-Rom ont échoué ? Notre culture de l'échange demeure avant tout orale !
Par ailleurs, certaines Universités disposent d'autant de réseaux wifi qu'elles comptent de bâtiments. Sans négliger le temps d'attente kafkaïen pour accéder à une salle informatique universitaire et le matériel, généralement obsolète qu'elle met à disposition des étudiants !

Au-delà de la méthode, que dites-vous des contenus ?

En dépit des annonces, il n'existe aucune politique publique de production de ressources de qualité et à grande échelle. Ensuite, les politiques de FOAD sont souvent portées, à l'échelon régional, par de jeunes technocrates qui, de toute façon, changeront d'affectation trois ans plus tard. Aussi se contentent-ils souvent de passer des appels d'offres auxquels les pédagogues et développeurs doivent répondre dans un délai de six mois maximum. Inutile de préciser que bâtir une politique de formation à distance dans un laps de temps si court revient à demander à un formateur de créer ses outils et ses contenus pédagogiques une heure avant d'entrer dans sa salle de cours…

La FOAD réclame bien plus de temps et d'efforts que des séances présentielles, d'autant que tous les formateurs ne sont pas nécessairement familiers des outils numériques. Or, ils doivent maîtriser à plein leurs outils. N'oubliez pas que la production de ressources en amont représente, en réalité, 80 % du travail des formateurs.

Finalement, la FOAD est un dispositif “mythifié". La formation à distance ne passera pas au forceps, puisqu'on ne lui en donne pas les moyens. La soi-disant interactivité se révèle la plupart du temps complètement artificielle.

Alors, quelles seraient les conditions de réussite d'une politique de FOAD ?

Une politique efficace en la matière ne pourrait exister qu'à condition d'y mettre les moyens économiques, d'impliquer au maximum les équipes pédagogiques et de développeurs informatiques - qui sont souvent en concurrence au sein d'un même projet -, de créer une véritable interactivité entre apprenants et formateurs qui ne soit pas vécue comme une contrainte supplémentaire et, surtout, d'être placée sous un pilotage global unique. Sans quoi, j'insiste, la FOAD demeurera une mystification.

Notes   [ + ]

1. Centre national d'enseignement à distance.
2. Encyclopédies collaboratives, alimentées par les internautes eux-mêmes.