Gouvernance des Opca : qui mange qui ?

Par - Le 16 mars 2012.

Qui dit paritaire, dit collège salarial d'un côté, et collège patronal de l'autre, avec un nombre égal de sièges au sein des conseils d'administration. Dans les faits, cette stricte égalité entre salariés et employeurs est-elle toujours respectée, au sein des Opca ? Pas toujours, selon nos interlocuteurs…

La définition d'un Opca est claire : il s'agit d'une structure associative à gestion paritaire qui collecte les contributions financières des entreprises qui relèvent de son champ d'application dans le cadre du financement de la formation professionnelle continue des salariés des entreprises de droit privé. En 1994, les négociateurs de l'avenant à l'Ani fondateur ont d'ailleurs eu soin de placer le “p" de paritaire en bonne place dans l'acronyme. Reste à voir ce qu'il en est, dix-huit ans après.

Premier au banc des accusés, “l'administratif" auquel est parfois prêté une tentation hégémonique et même d'agir en sous-main pour les organisations patronales.

Patronat et syndicats : consensus et divergence

“Mon sentiment personnel est que d'une manière générale, et notamment dans les Opca interprofessionnels, il règne une bonne entente entre les administrateurs issus des organisations représentatives de salariés et d'employeurs, affirme François Hommeril, secrétaire national en charge de la formation tout au long de la vie à la CFE-CGC. Les objectifs sont généralement définis ensemble. Les partenaires sociaux acquièrent très vite une véritable autonomie de décision. Ils sont très impliqués et peu perméables aux influences politiques." Même diagnostic côté CFTC : “Je n'ai rien à redire en ce qui concerne les relations de travail entre syndicats et patronat. Je constate un véritable dialogue social dans les instances. Nous sommes tous là avec le même objectif et voulons jouer gagnant-gagnant", déclare Jean-Pierre Therry, chargé de mission FPC-GPEC au sein de la CFTC.

Cette opinion ne fait cependant pas l'unanimité. “Certains membres du collège employeurs estiment que les contributions des entreprises à la formation professionnelle sont de leur responsabilité et se sentent détenteurs de ces fonds", estime Jean-Claude Tricoche, administrateur Unsa d'Uniformation (Faf puis Opca de l'économie sociale) pendant vingt-cinq ans. “C'est à nous de réagir face au patronat, pointe Paul Desaigues, conseiller confédéral en charge de la formation professionnelle à la CGT. La tendance générale est de commencer à négocier sur un texte du Medef et d'amorcer le tour de table après. Mais si nous sommes déficitaires, ce n'est pas une fatalité."

Des directions au service du patronat ?

Tous se retrouvent cependant sur un point : l'importance du directeur d'Opca. “Certains d'entre eux ont tendance à considérer qu'ils ont été recrutés par le camp patronal, et nous assistons parfois à un phénomène d'assimilation", déplore François Hommeril. Il ressort en effet que si le rôle des partenaires sociaux est bien d'assurer la gouvernance politique des Opca, dans la pratique, les représentant des syndicats de salariés ont le sentiment que “l'administratif" ou “le technique" tente souvent d'être le seul maître à bord. Pour Jean-Pierre Therry, “certains tentent d'être « directeurs-présidents » des organismes".

“Nous avons pu remarquer, par exemple, que la plupart des négociations des conventions d'objectifs et de moyens entre l'État et les Opca ont été conduites sous l'égide des directeurs", dénonce Paul Desaigues. François Hommeril confirme : “La DGEFP a parfois tendance à donner les informations en priorité au directeur, qui les communique au conseil d'administration." À ses yeux, “il s'agit d'une tentative d'amoindrir le poids de cette instance de décision". Une situation qui réinterroge le rôle du paritarisme dans la gestion des fonds de la formation, au moment même où l'actuel président de la République souhaite une réforme “radicale" du secteur, susceptible de toucher à la fois la place du paritarisme et les financements.

Compétences, investissement et temps

“Pour que le paritarisme assume son rôle politique, argumente Jean-Claude Tricoche, il faut qu'il en ait la volonté, et ce n'est pas toujours très facile : cela nécessite de la compétence, de l'investissement et du temps." Sur le premier point, Paul Desaigues rappelle une initiative intersyndicale : “Nous avions lancé des démarches pour définir le gabarit des prérequis pour les administrateurs des Opca. Puis a été arrêtée une position commune de la CFDT et de la CGT, qui a jeté un froid chez les autres centrales syndicales."

Autre problème soulevé par Paul Desaigues : “Le poids du technique dans les Opca est lié à un mécanisme redoutable : la complexité du champ de la formation professionnelle." Il existe donc un “déficit de formation des partenaires sociaux", reconnaît-il. “La formation des administrateurs est un enjeu clé, abonde Jean-Pierre Therry. S'ils ne connaissent pas leurs dossiers, ils peuvent aisément être menés en bateau."

Le chargé de mission CFTC affirme que de nombreux outils ont été mis en place par son syndicat. “Je fais très attention à ce que les administrateurs soient bien formés, qu'ils connaissent la mission qui leur a été confiée et puissent par conséquent prendre leurs responsabilités tout en suivant la position de la CFTC et des Ani. De nombreux outils ont été mis en place, et grâce aux progrès de l'informatique, ils sont de plus en plus diffusés et actualisés. J'anime également de nombreuses sessions de formation en présentiel !"

Le technique ? Une question... politique

Pour Jean-Michel Pottier, représentant de la CGPME, si les syndicats n'arrivent pas à “former leurs administrateurs, ce n'est pas faute de ne pas avoir les moyens". Le négociateur de l'Ani de 2009 évoque le “préciput" [ 1 ]Financement accordé aux fédérations de branche gestionnaires des Opca, mais aussi des confédérations syndicales et patronales gestionnaires des organismes interprofessionnels (Fongecif, Opcalia, Agefos-PME). Voir L'Inffo 807, p. 5. dont disposent les syndicats de salariés. “À la CGPME, nous bâtissons des programmes de formation sur tout le territoire pour que nos administrateurs soient correctement informés." Résultat, selon lui, “la plupart de nos administrateurs sont bien au courant. Nous avons fait de gros efforts ces dernières années".

Mais pour le patronat, la ligne est claire. Le technique applique les décisions des administrateurs paritaires. “Concernant la Com d'Agefos-PME, la négociation a été menée après les décisions politiques des membres du conseil d'administration", explique Jean-Michel Pottier, qui insiste sur le fait qu'il a été “largement à la manœuvre dans la réforme de 2009. Après, que le technique reprenne la main, je trouve cela normal".

Le problème, selon Paul Desaigues, c'est que les aspects techniques contiennent une partie politique. “L'idée ce n'est pas d'accabler la technique." “D'autant que le paritarisme employeurs-salariés n'est pas toujours unanime, et il existe aussi des divergences au sein du collège salariés. Donc, que fait le technique dans ces circonstances ?", poursuit Jean-Claude Tricoche. Et dans une situation où les représentants paritaires ne sont pas suffisamment impliqués, immanquablement c'est l'administratif qui prend le dessus et tient la gestion de l'Opca. “Ce n'est pas spécifique aux Opca, nous le voyons bien en politique, où l'administration a parfois le dessus sur l'homme politique." Mais cependant, “c'est une faute politique que de laisser la main à l'administratif !", juge l'ancien élu Unsa, ajoutant que “le syndicalisme français est marqué par les divisions et que le patronat, de son côté, sait très bien jouer la division".

Notes   [ + ]

1. Financement accordé aux fédérations de branche gestionnaires des Opca, mais aussi des confédérations syndicales et patronales gestionnaires des organismes interprofessionnels (Fongecif, Opcalia, Agefos-PME). Voir L'Inffo 807, p. 5.