Journées MFR - “Construire son parcours sans tomber dans les pièges"

Par - Le 16 décembre 2012.

Dans le cadre des journées “Développons les alternances", les Maisons familiales rurales (MFR) ont invité le 28 novembre dernier quelques acteurs majeurs de la formation professionnelle − Carif-Oref, Opca, FPSPP, ARF, etc. − à présenter leurs rôles respectifs, et à débattre. Yves Hinnekint, directeur général d'Opcalia, a ainsi rappelé aux MFR l'importance des réseaux territoriaux et l'efficacité des dispositifs d'alternance, de plus en plus mises en avant par les pouvoirs publics. Il a souligné que “le salarié acteur de sa formation est une bonne démarche, mais encore faut-il travailler sur son appétence à se former". Ainsi, “le vrai sujet est l'accompagnement du salarié ou du demandeur d'emploi".

“Le vrai sujet est l'accompagnement"
“Nous constatons une tendance qui correspond à notre société actuelle et qui voit l'individu construire lui-même son parcours", a observé Vincent Merle, professeur au Cnam. C'est pourquoi, derrière le compte individuel de formation, en préparation, “il y a une très belle idée". Il apparaît nécessaire de donner les moyens à l'individu d'être acteur. Sous quelle forme ? “On hésite, mais on imagine les pièges dans lequel celui-ci peut tomber si on le laisse démuni face à un marché de la formation professionnelle confus, sans qu'il possède les éléments pour le guider."

Vincent Merle n'a pas manqué de rappeler que cette individualisation a parcouru un long chemin en douze ans, depuis qu'il était directeur de cabinet de Nicole Péry, alors secrétaire d'État à la Formation professionnelle. “L'idée d'une individualisation s'est à l'époque installée et s'est concrétisée plus tard par le Dif." Orientation, aide au choix : l'accompagnement a été mis en avant parmi les “lignes de force" de l'évolution de la formation. Selon lui, “il règne une certaine confusion, mais désormais aucun expert n'imagine la formation sans guidance" des parcours professionnels.

La notion de “reconnaissance"
Le plus marquant dans ces évolutions reste à ses yeux l'émergence de la notion de “reconnaissance". Elle a permis aux acteurs de “changer leurs représentations" sur les aptitudes et les compétences en situation de travail. Un changement qui s'est installé lentement, depuis la mise en place de la VAE. À présent, il est possible de parler de la nécessité de construire un parcours tout au long de la vie, s'est-il félicité, tout en précisant que c'est “un choc évident pour les entreprises, car cela implique, notamment, un dialogue de nature différente". Il ne s'agit plus pour elles d'établir “des cartographies permettant de déclencher des stages", mais il s'agit de “parler compétences" et, donc, de se placer dans une autre logique : celle de l'investissement.

Cependant, pour Vincent Merle, “nous ne sommes pas au bout de nos peines", notamment “parce que la société française est basée, en matière de formation et d'éducation, sur un modèle académique" : compétition scolaire, sélection systémique par le diplôme, grandes écoles, etc. “L'employeur ne regarde pas le diplôme obtenu par la VAE comme celui obtenu par la formation initiale", a-t-il déploré. Et de marteler : “Les alternances, c'est-à-dire toutes les formes d'alternance, qu'elles soient pour les jeunes ou les adultes, doivent être valorisées. Ce qui importe est d'installer l'idée selon laquelle apprendre n'est pas seulement assimiler un cours mais aussi gagner en compétences et en autonomie. L'alternance permet la construction d'un dialogue autour de cette idée et, surtout, la construction de parcours grâce à la confrontation aux pratiques".

Les Maisons familiales et rurales

Les Maisons familiales rurales sont des établissements associatifs “contractualisés" par le ministère de l'Agriculture (dans le cadre de l'enseignement agricole) et/ou conventionnés par le Conseil régional ou l'État (pour des formations de l'Éducation nationale). Présents partout en France, les établissements dépendant des MFR accueillent des jeunes et des adultes en formation par apprentissage, en contrat de professionnalisation ou en formation continue, et proposent des parcours de formations allant du CAP à la licence pro, en passant par le baccalauréat professionnel, dans de nombreux secteurs professionnels : agriculture, élevage, métiers du cheval, viticulture, arboriculture, horticulture, jardins-espaces verts, aménagement de l'espace, environnement, forêt, agroalimentaire, agroéquipement, mécanique, bâtiment, bois, électricité, restauration, hôtellerie, tourisme, accueil, service à la personne, bureautique, secrétariat, gestion, métiers de bouche, commerce...

Appelées à se tourner vers les Régions

François Bonneau, président du Conseil régional de la région Centre et de la commission éducation de l'ARF, a appelé les MFR à se tourner vers les Conseils régionaux. “En région Centre, nous avons mis en place des actions réactives pour financer des formations dans des situations brutales, comme par exemple les suppressions d'emploi du groupe Doux. Il faut requalifier des salariés qui ont des savoir-faire dans des champs très précis, pour leur permettre de se tourner vers les secteurs qui ont des besoins sur le territoire, comme les services à la personne, ou les métiers de conducteurs de ligne, dont a besoin, par exemple, l'une des entreprises de notre territoire". La Région revendique donc sa place “dans la recherche de solutions et pour déclencher des procédures. L'ancrage territorial permet d'être très réactif".

Une approche sociologique de l'apprentissage

Qui sont les apprentis d'aujourd'hui ? Leur profil a-t-il changé au fil des décennies ? Gilles Moreau, sociologue et professeur à l'Université de Poitiers, a livré une approche historique et sociologique de cette voie de formation, dans le cadre des journées des MFR.
“Ces dernières années, a-t-il souligné, l'apprentissage a été régulièrement appelé à la rescousse. Il semble paré de toutes les vertus pour résoudre les problèmes sociaux et économiques, et notamment le chômage des jeunes." Mais il n'en a pas toujours été ainsi. Entre 1945 et 1970, l'apprentissage était jugé désuet. Entre 1970 et 1990 a eu lieu une “mise en équivalence de l'apprentissage scolarisé et de l'apprentissage salarié", notamment grâce à la loi de 1971 relative à l'apprentissage. La formation générale et technologique est alors confiée aux CFA, le financement est assuré par une fraction de la taxe d'apprentissage, et la loi introduit l'obligation pour tout maître d'apprentissage d'obtenir un agrément. La loi “Séguin" de 1987, quant-à-elle, élargit le nombre de diplômes que peuvent préparer les apprentis et autorise une succession de plusieurs contrats d'apprentissage. “Enfin, à partir de 1990, on assiste à l'émergence d'un primat de l'apprentissage salarié sur la voie scolaire. Pour favoriser cette voie, on va déréguler. Ainsi, la loi Balladur de 1993 supprime l'agrément préalable aux maîtres d'apprentissage et augmente les aides aux entreprises qui embauchent des apprentis. Lorsque cela ne marche pas, on choisit de légiférer. C'est ainsi qu'un quota minimal d'apprentis est imposé dans les entreprises de 250 salariés et plus est imposé dès 2007", indique Gilles Moreau.

Les motivations des apprentis
Se basant sur des travaux qu'il a menés auprès d'apprentis en région Pays de la Loire, le sociologue évoque un “changement de morphologie" de l'apprentissage depuis les années 1990. Ainsi, l'apprentissage salarié est plus souvent “choisi" en 2007 qu'en 1995. Pourquoi ? La première raison concerne les fils d'artisans et de commerçants. “Ceux-ci font l'objet d'une pré-socialisation, du fait de l'environnement dans lequel ils ont grandi. Leurs parents ont souvent été apprentis, et ont ensuite eux-mêmes employé des apprentis." Sans surprise, ce sont les jeunes correspondant à ce cas de figure qui réussissent le mieux dans cette voie. La seconde raison tient à ce que Gilles Moreau définit comme “un anti-intellectualisme : une dévalorisation de la théorie au regard de la pratique. Ceux qui sont peu convaincus de l'intérêt de l'école privilégient l'expérience et le terrain." Si ces deux motifs d'entrée en apprentissage salarié sont anciens, le sociologue en isole une troisième, apparue au cours des trente dernières années. Selon lui, avec l'“allongement de la jeunesse", le statut de lycéen et d'étudiant est devenu la norme. Ce modèle porte préjudice à certains jeunes que l'on maintient artificiellement dans le système scolaire, et par la même occasion, sous la dépendance financière des parents. “Dans ce cas de figure, pour certains d'entre eux, l'apprentissage apparaît comme un moyen de se caler sur la norme lycéenne en restant sur un schéma de formation longue, tout en permettant une certaine autonomie financière."

Aurélie Gerlach

Des interlocuteurs qui soient des porteurs de projets

Sylvie Laroche, vice-présidente du Conseil régional de Franche-Comté en charge de la formation, en est convaincue : “L'avenir, c'est une bonne articulation entre les trois voies de formation : l'apprentissage, la voie scolaire et la formation continue." À l'occasion de la table ronde “L'apprentissage autrement" des journées des MFR, elle a rappelé que sa région était aux prises avec un chômage important, 2 500 sorties sans qualification du système scolaire par an, et... de nombreux emplois à pouvoir. “De plus, notre principal employeur est la Suisse ! Cela pose question : pour qui formons-nous nos jeunes ?"

C'est pourquoi il est important d'analyser les trois voies de formation existantes. Et de prôner des solutions “innovantes" dans un contexte de budgets “contraints" : le modèle des MFR est jugé “pertinent" au niveau de sa région. “Quand je parle d'articulation des trois voies de formation, les MFR savent de quoi je parle. Nous avons besoin d'interlocuteurs qui soient des acteurs mais aussi des porteurs de projets et qui aient une expérience de l'apprentissage. Les Maisons familiales rurales connaissent les jeunes, les familles et les employeurs, qui sont les trois piliers de la réussite de ce dispositif. De plus, elles se mobilisent non seulement sur des questions de pédagogie, mais également sur les problèmes plus larges comme le logement ou le transport des apprentis."

Aurélie Gerlach

L'importance de la convergence des acteurs

“En matière d'alternance, comme d'outils d'information, le pluriel s'impose", a prévenu Julien Veyrier, directeur de Centre Inffo, lors de son intervention dans le cadre des journées des MFR, le 29 novembre. “La qualité d'un outil national repose directement sur sa capacité à fédérer des acteurs, des pratiques et même des outils existant par ailleurs, que ces outils soient mis en œuvre au niveau territorial ou au niveau des branches", a-t-il rappelé.
Selon Julien Veyrier, c'est cette capacité à “fédérer au niveau national, des ressources et des données produites et utilisées aussi par des acteurs très différents" qui permet à Centre Inffo d'assurer la maîtrise d'œuvre du portail “Orientation pour tous" qui rassemble plus de 2 800 fiches métiers, fournies par Pôle emploi, les branches professionnelles et les fonctions publiques, et qui répertorie 205 854 formations initiales et continues, recensées par les Carif-Oref dans les régions et les directions régionales de l'Onisep. Un travail réalisé sous l'égide du DIO, qui favorise “un rapprochement des acteurs autour d'un même souci d'information", s'est-il félicité. Un esprit qui permet la mise en œuvre de Dokelio, le futur système national d'information sur l'offre de formation confiée par l'État à Centre Inffo. “Un tel système ne peut se concevoir qu'en associant très étroitement les organismes de formation, les financeurs régionaux, les organismes paritaires et les opérateurs régionaux en charge de l'information sur l'offre de formation", a-t-il affirmé, ajoutant que ce vaste chantier est bien au service d'un développement des alternances entre activité et formation professionnelle tout au long de la vie.

Béatrice Delamer

Les MFR et le Comité mondial
Le 29 novembre, la seconde journée d'échanges sur les alternances a vu la signature d'une convention de partenariat entre l'Union nationale des MFR et le Comité mondial pour les apprentissages tout au long de la vie (World committee for lifelong learning). Une convention destinée à renforcer l'usage de la e-formation au sein des MFR.
“L'irruption d'internet dans les politiques de formation a constitué un véritable tsunami éducatif !", a rappelé Yves Attou, président du World committee. Un tsunami qui, à l'en croire, n'a toujours pas atteint la France, toujours attachée au cours magistral présentiel. “Pourtant, une récente étude de l'Unesco a prouvé que l'usage de cours sur DVD se révélait bien plus efficace en termes de réussite aux examens." Les Maisons familiales rurales sont déjà actives dans dix-sept pays afin d'y dispenser des formations concernant les métiers ruraux et la sécurité alimentaire, a souligné Xavier Michelin, président du réseau des MFR. “Cette convention nous permettra de développer nos actions au-delà de la dimension qui est déjà la nôtre. C'est une nouvelle histoire qui débute."

B. d'A.

Repenser la collecte de la taxe d'apprentissage
Invité à clôturer les deux jours d'échanges organisés par les MFR, le 29 novembre, le ministre de la Formation professionnelle et de l'Apprentissage, Thierry Repentin, a évoqué l'un des chantiers qui s'ouvrent : celui d'une “rationalisation" du réseau de la collecte de la taxe d'apprentissage et de la création d'un mode de répartition de celle-ci “plus équitable", davantage axée vers les premiers niveaux de qualification (IV et V). Un thème sur lequel les MFR sont déjà sérieusement positionnées, puisque 88 % des contrats d'apprentissage et 62 % des contrats de professionnalisation qu'elles signent concernent précisément ces niveaux.
Xavier Michelin, président de l'Union nationale des Maisons familiales rurales, a énuméré ses propositions : création de parcours de préparation à l'apprentissage (afin de sensibiliser les jeunes et éviter un maximum de décrochages), développement de la “mixité des statuts" d'apprentis (entre apprentissage scolaire ou sous contrat de travail), diminution du coût de l'apprentissage actuellement supporté par les familles et, pourquoi pas, inscription dans la loi de finances 2014 de la “création d'une mission gouvernementale sur la formation tout au long de la vie".

La question de la formation en zone rurale

Rappelant que l'une des ambitions du quinquennat était de diminuer de moitié le nombre de jeunes sans formation sur le marché du travail, Thierry Repentin a rappelé qu'une partie des crédits dévolus aux emplois d'avenir – ainsi que des futurs contrats de génération – seront affectés aux zones rurales prioritaires. Quant aux Régions, qui verront leurs compétences emploi et formation étendues dans le cadre de la prochaine loi de décentralisation et qui auront la charge de développer des services publics régionaux d'orientation (SPRO) tenant compte de la réalité des territoires (urbains, périurbains et ruraux), elles seront encouragées à construire ces services en y renforçant la dimension-métiers. “Mes services ont d'ores et déjà transmis aux préfets et présidents de Conseils régionaux les documents nécessaires à l'élaboration des futurs pactes régionaux pour la réussite éducative et professionnelle, lesquels devront être soumis à l'avis des partenaires sociaux en Régions, ce qui contribuera à la valorisation des métiers dont les besoins sont ressentis sur les territoires", a annoncé le ministre.

L'image de l'alternance à valoriser

Et de valorisation des métiers, il en aura beaucoup été question, tant dans les propos de Thierry Repentin que dans ceux de Xavier Michelin, particulièrement en matière d'apprentissage, toujours perçue comme une voie de formation par défaut. “L'image de l'apprentissage et de l'alternance souffre encore de la survalorisation du modèle académique", a reconnu le ministre, pour qui le développement de ce mode de formation dans les Universités ne peut que le revaloriser. “Cependant, Geneviève Fioraso, en charge de l'Enseignement supérieur, et moi-même serons particulièrement vigilants pour que la majorité des crédits de l'alternance ne partent pas exclusivement au service de l'apprentissage universitaire, au détriment des niveaux moins élevés", a-t-il assuré.

Et au-delà du ministre de la Formation professionnelle et de l'Apprentissage, c'est l'ancien président de l'Union sociale de l'habitat (USH) qui se sera exprimé pour rappeler l'importance des questions de logement dans le processus d'alternance et d'apprentissage, source de difficultés d'accès à cette voie de formation, mais aussi de ruptures de contrats. Un problème que les MFR rencontrent moins que d'autres acteurs de la formation, puisque de par l'existence d'internats accueillant les apprentis, le taux de rupture y est deux fois inférieur à la moyenne. “À ce titre, les MFR constituent des exemples !, a souligné Thierry Repentin, des exemples dont il est nécessaire de tirer la quintessence pour inspirer d'autres structures."

B. d'A.