L'individualisation croissante des dispositifs de formation des travailleurs sociaux, “source de malaise"
Transformé tant par les lois sur l'action sociale et médico-sociale du 2 janvier 2002, introduisant la notion de procédure d'évaluation dans le champ du travail social, celle du 4 mai 2004, relative à la formation tout au long de la vie, puis enfin celle du 24 novembre 2009, le domaine du travail social a vu évoluer ses filières de formation vers une individualisation croissante.
Par Benjamin d'Alguerre - Le 16 novembre 2012.
Désormais, pas moins de 19 titres ou diplômes existent pour en qualifier les collaborateurs. Une situation qui, à en croire Maude Hatano-Chalvidan (maître de conférences au Centre d'études et de recherches en sciences de l'éducation, à l'Université de Caen), crée un certain “malaise" au sein de ce domaine professionnel qui n'a jamais été clairement défini. Une première étude relative à ce malaise a donc été réalisée et publiée dans le n° 119 de Formation emploi.
“La segmentation des parcours de formation en modules malmène la cohérence du groupe de formation. Celui-ci tend à devenir multiple, les personnes se croisent au fur et à mesure des options, des niveaux, des modules", indique Maude Hatano-Chalvidan. Conséquence : un “éclatement des groupes d'apprentis formateurs", amenés à se recomposer de manière constante pendant la durée de la formation, ayant pour conséquence de “renvoyer de manière systématique la personne à sa responsabilité individuelle quant à son investissement formation". Et ce processus (accru par le recours à la VAE, notamment) crée des besoins d'accompagnement quasi-personnalisés pour ces futurs travailleurs sociaux via, concrètement, la multiplication des entretiens individuels, massivement perçus comme “chronophages" par ceux-ci. Ces modifications dans la formation des travailleurs sociaux impacte également leur implication auprès des publics accompagnés. “L'accompagnement des candidats est donc devenu plus lourd et oblige également les établissements à des réaménagements organisationnels", poussant certains d'entre eux à développer une “transversalité administrative" induite par le développement de ces parcours “à la carte". Sans négliger, pour le formé, la multiplication des occasions de travailler seul qui demandent “une réelle aptitude à l'indépendance, à l'autonomie, voire à la solitude", le confrontant également à une batterie de modules de formation à distance, eux-mêmes vecteurs d'“une responsabilisation plus forte et plus pesante dans la maîtrise de sa trajectoire professionnelle".
Professionnalisation par compétences, ou par métiers ?
Autant de processus “mettant en tension l'appareil du travail social", qui peuvent, certes, revêtir des avantages pour les entreprises (flexibilité du temps de formation pour les salariés, participation à la conception de la formation ou de son évaluation, etc.), mais qui contribuent à morceler les formats classiques d'apprentissage basés sur des unités de temps, de lieu et de groupe. “Dans ce contexte, nous observons des modes d'organisation des formations hybrides, à cheval entre le modèle traditionnel et celui tendant à l'individualisation des parcours", note Maude Hatano-Chalvidan. De fait, la nouvelle organisation de la formation des travailleurs sociaux tend à faire émerger deux logiques de professionnalisation : “Certaines formations consacrées aux métiers emblématiques parviennent à conserver des espaces collectifs, des parcours uniques de formation et proposent, en parallèle, des voies alternatives, telles que l'alternance ou la formation continue en modèle modulaire", observe l'universitaire. Une “professionnalisation par les compétences" qui a vu apparaître “une professionnalisation par métiers". Et d'en conclure à “l'ambivalence" des formations dans le cadre du travail social.
Deux logiques d'action, donc. Qui pourraient s'en voir adjoindre de nouvelles au fur et à mesure de l'avancée du processus de décentralisation, conférant aux Régions de nouvelles responsabilités. “Dès lors, beaucoup de responsables et de coordinateurs de formation s'interrogent aujourd'hui sur la portée et le sens de leurs actions pédagogiques ou de leur travail d'ingénierie." Des interrogations susceptibles de se révéler anxiogènes pour la profession. D'où l'appel de la chercheuse : “Dans un environnement professionnel soumis à de multiples réformes successives et, par conséquent, un jeu rendu instable et imprévisible, l'harmonisation des pratiques pédagogiques demeure, ainsi, un enjeu fondamental des politiques et pratiques de formation du champ du travail social."