PME : la ruée vers les coachs en temps de crise(s)

Effet de l'interminable crise − ou plutôt des crises du quotidien − les patrons de TPE seraient de plus en plus nombreux à se tourner vers des coachs pour prendre du recul et dénouer les tensions. Tour d'horizon.

Par - Le 16 novembre 2012.

“Encouragez les gens à s'intéresser à vous ! À votre métier ! À votre vie ! À votre famille ! C'est comme ça que vous vous assurerez le leadership sur vos collaborateurs et vos équipes !" À l'écran, l'homme parle vite, fait de grands gestes mesurés, affiche le bronzage et la dentition d'un surfeur californien et la coupe de cheveux du chanteur de Limp Bizkit. Moitié meilleur-ami-pour-la-vie, moitié gourou télévangéliste, Bryan C. Binkholder (auto-surnommé “The Financial coach") fait partie de ces superstars du coaching qui ont émergé à l'occasion de la crise financière américaine de 2008, dispensant ses conseils à la radio, à la télévision, sur internet ou au cours d'immenses keynotes, rassemblant plusieurs centaines de cadres, de salariés et de chefs d'entreprises. Rien de neuf, donc… si ce n'est que ceux venus l'écouter sont tous dirigeants ou collaborateurs de petites, voire très petites entreprises. Une petite révolution dans le milieu du coaching américain, jusqu'alors orienté vers les grandes structures. Et dans l'Hexagone ?

Si, en France, ces méthodes de hard-coaching façon grands shows hollywoodiens demeurent extrêmement marginales (voire inexistantes), le choix, pour des PME, voire des TPE, de recourir aux services de coachs s'est accru, particulièrement en ces temps de crise. Reste encore à savoir ce que l'on entend par “crise". “La crise ? J'en entends parler depuis 1984 !", observe Éric Scavinner, coach depuis trois ans et directeur d'un cabinet de coaching dans les départements des Hauts-de-Seine et de Seine-Saint-Denis, spécialisé dans l'accompagnement des petites (voire très petites) et moyennes entreprises. “Cette crise est donc de moins en moins conjoncturelle et tend à s'inscrire dans la durée. Et généralement, les chefs d'entreprise de petite taille ont tendance à y réagir seuls. De fait, face à des groupes de collaborateurs démotivés par les risques pesant sur leur emploi, les décideurs multiplient les actions de reporting afin de marquer leurs salariés « à la culotte » ou se surinvestissent de manière hyperactive pour tenter de remotiver les équipes… En réalité, c'est la pire méthode qui soit !" Éric Rochet, fondateur du cabinet Ressources externes et du réseau Neocoach (regroupant 40 cabinets de coaching en France, Belgique et Luxembourg) reconnaît également cette “solitude" des dirigeants de PME et TPE face aux situations de forte tension. “La plupart du temps, ces managers ne disposent pas, en interne, des outils, des ressources, du savoir, des structures, voire du recul pour appréhender les changements et faire face aux défis de leur marché. Sur la base de ce constat, nous rencontrons une forte demande de dirigeants cherchant l'œil d'un coach, sans complaisance, ainsi qu'un accompagnement, généralement individuel."

Coaching de proximité

Lui, en revanche, est moins prompt à désigner “la" crise que “les" crises, en tant que responsables des angoisses des PME. “Pour une petite structure, le recrutement d'un nouveau salarié peut représenter une crise. La transmission de son entreprise peut représenter également une crise. La mésentente entre deux collaborateurs ou services peut représenter une crise !" Cette dernière expérience, Vincent Havard l'a subie en 2011. Pourtant, il n'est ni responsable d'un service RH, ni capitaine d'industrie : juste un artisan-boulanger, patron de l'enseigne “Au vieux fournil" à Saint-Girons, dans l'Ariège, et employeur de douze personnes. “Deux de nos collaboratrices ne parvenaient pas à s'entendre entre elles, se souvient-il, pourtant, c'étaient de bons éléments, même si leur comportement négatif se ressentait tant en interne qu'auprès de nos clients. Alors, pour la première fois de ma vie, j'ai décidé de recourir aux services d'un coach, ce que je n'ai pas eu à regretter." Un mois d'intervention aura été nécessaire pour établir un plan d'action comportemental et en déduire les solutions pour évacuer la mésentente et, de fait, les tensions pesant sur l'entreprise. Philippe Cazaudehore, PDG d'un relais-château de Saint-Germain-en-Laye employant 50 personnes et qui subissait une mauvaise ambiance interservices, témoigne lui aussi de l'amélioration de la situation dans sa société après une année d'intervention. “Nous constatons, depuis l'action de coaching, d'une nette amélioration des relations entre services, grâce à la tenue d'une réunion mensuelle améliorant le fonctionnement de la communication interne. Les décisions sont désormais plus fluides et, surtout, le stress a presque disparu."

Hier “expert", aujourd'hui “accompagnant"

“Aujourd'hui, ce qu'attend un chef d'entreprise recourant aux services d'un coach n'est pas tant l'expertise que le « savoir-accompagner ». C'est toute la différence entre notre travail de coach et celui d'un psychologue ou d'un consultant qui se place d'emblée en position de sachant", explique Éric Scavinner. Une situation qui explique qu'en dix ans, la tendance soit passée du choix d'un coach disposant de bons outils à celle d'un accompagnant nanti d'une bonne qualité d'être.

Les outils, justement. Certains coachs font le choix de la programmation neuro-linguistique (PNL), d'autres recourent aux méthodes d'analyses transactionnelles ou aux travaux de Carl-Gustav Jung. Certains ne jurent que par la Gestalt-thérapie. D'aucuns, enfin, piochent volontiers dans les différentes méthodes existantes en fonction des cas qui se proposent à eux. “La règle d'or : le coaching professionnel ne doit jamais déborder sur la vie privée", Éric Rochet se veut inflexible sur ce point. À ce sujet, tant l'International coach federation (ICF, qui rassemble près de 18 000 professionnels du coaching)1 que le Conseil européen du mentorat et du coaching (EMCC, comptant près de 5 000 coachs) , les deux associations majeures de la profession, ont édité des chartes de bonnes pratiques et de bonne conduite introduisant des critères d'intégrité et professionnalisme drastiques pour les coachs. Problème : il n'existe aucun “conseil de l'ordre" susceptible de sanctionner un coach mal intentionné. “La tendance générale va vers la maîtrise de notre profession", rassure Éric Rochet, dont le cabinet adhère à l'ICF. “Il faut aussi faire confiance aux chefs d'entreprise pour savoir à qui ils ont affaire. En un quart d'heure, un manager sait s'il est en face d'un coach sérieux ou non", affirme, pour sa part, Éric Scavinner.

Quant aux prestations des coachs, elles restent très variables. “On peut voir des accompagnateurs facturer la session d'intervention entre 1 500 et 2 000 euros… ce qui n'a pas grand-chose de commun avec les stars du coaching qui suivent les grands patrons du Cac 40 et peuvent facturer 5 000 euros la journée", précise Éric Scavinner. Lui arrive-t-il d'assurer un “service après-vente" de ses prestations, en retournant dans les entreprises pour juger des résultats obtenus ? “Certains le font systématiquement, d'autres, jamais… pour ma part, je ne le fais pas autant que je le voudrais", avoue-t-il. Si le marché du coaching de PME-TPE ne fait pas encore l'objet de véritables études chiffrées, Éric Rochet l'estime cependant à plusieurs millions d'euros annuels. Des sommes susceptibles d'intéresser les Opca ? “Certains cabinets qui proposent également des activités de consulting ou de formations de coachs cotisent effectivement auprès d'Opca, mais l'activité de coach et celle relevant de la formation professionnelle sont différentes." Le débat n'est cependant pas tranché au sein de la profession, certains coachs s'estimant aussi légitimes que des formateurs dans leur domaine d'intervention...