“QPC" : le contrôle par l'État des dépenses de formation devant le Conseil constitutionnel

Pour la première fois depuis l'entrée en vigueur, en mars 2010, de la “question prioritaire de constitutionnalité" (QPC, une procédure visant l'examen a posteriori de la conformité de lois déjà existantes avec la Constitution), le domaine de la formation professionnelle a fait l'objet d'un tel examen par les sages. Le 11 septembre, ils étaient saisis, sur demande du Conseil d'État, de la question des sanctions administratives pesant sur les organismes de formation dont les dépenses se voient rejetées par les services de contrôle de l'État. Le Conseil constitutionnel a tranché le 21 septembre : le contrôle des dépenses des organismes de formation par les services de l'État est bien conforme à la Constitution.

Par - Le 01 octobre 2012.

Saisis par le 2 juillet 2012 (L'Inffo n° 816, p. 27) par deux organismes de formation − Egelia et La Fourmi Immo −, les sages étaient appelés à se prononcer sur la conformité à la Constitution des articles L. 6362-5, L. 6362-7 et L. 6362-10 du Code du travail1 relatifs au contrôle de dépenses de formation des organismes de formation. Des contrôles, aux dires des avocats des plaignants, à la fois entachés par la nature “trop floue" de la notion de “bien-fondé" et susceptibles “d'entraver la liberté de commerce et d'industrie".

Rappel des faits : en novembre 2009, Egelia, organisme dispensant des formations informatiques, se voit condamné à verser une somme de 177 000 euros au Trésor public. Le motif ? Cet institut, dans le cadre de la dématérialisation de ses services, offrait à ses stagiaires les ordinateurs sur lesquels ces derniers avaient effectué leurs apprentissages pédagogiques. Le coût d'un nouveau paramétrage des machines étant jugé plus élevé que le don de l'ordinateur. Un octroi que la DGEFP avait alors jugé similaire à un cadeau accordé à la clientèle, sans rapport avec la dépense imputable à une action de formation. L'autre plaignant, La Fourmi Immo (organisme formant de futurs professionnels de l'immobilier), s'était vu pour sa part astreint au versement de 255 000 euros au Trésor public en sanction de dépenses de frais de déplacement destinés à jauger de la satisfaction de ses clients, frais jugés non imputables par les services de l'État.

La notion de “bien-fondé"

En ligne de mire de la QPC : les mentions légales relatives aux “mentions et pièces établissant l'origine des produits et des fonds reçus, ainsi que la nature et la réalité des dépenses exposées pour l'exercice des activités conduites en matière de formation professionnelle continue", ainsi qu'au “bien-fondé de ces dépenses à leurs activités ainsi que la conformité de l'utilisation des fonds aux dispositions légales régissant ces activités". Le bien-fondé : “Une notion trop floue", a plaidé Me Pierre-Manuel Cloix, avocat d'Egelia, citant la circulaire DGEFP n°2011-26 du 15 novembre 2011 accordant une certaine marge aux agents en charge du contrôle. “C'est là tout le problème !", a-t-il indiqué, insistant sur le fait que, dans le cas de son client, ces dons de matériel informatique “relevaient du contenu pédagogique des apprentissages dispensés, contenu normalement exclu du contrôle administratif". Aux yeux de l'avocat, cette marge de manœuvre accordée aux agents de l'État pourrait se révéler dommageable aux organismes adossant leurs méthodes pédagogiques aux nouvelles technologies, “quitte à mettre en péril les organismes proposant des actions de formation novatrices".

“Atteinte à la liberté d'entreprendre"

Avocat de La Fourmi Immo, Me Cyril Parlant a également mis en cause les dispositions légales du contrôle. Lesquelles, selon lui, “vont bien au-delà des objectifs initiaux de 1975 qui consistaient simplement à éviter les dérives". Si, pour ce spécialiste du droit social, le contrôle de l'État est légitime dès lors qu'il s'agit des deniers publics ou “quasi-publics" (fonds issus de l'obligation légale des entreprises), il ne l'est plus dès lors que les sommes dépensées proviennent des fonds strictement privés que mobilisent les organismes de formation. Une situation qualifiée par lui d'“intolérable". “À ma connaissance, il n'existe aucun autre domaine d'activité que celui de la formation continue qui soit autant soumis à contrôle", a donc estimé l'avocat, qui voit dans le “flou" de la notion de bien-fondé “une atteinte à la liberté d'entreprendre, aggravée par une entorse au principe de l'égalité de tous devant la loi".

“Les dispositions contestées font bien référence aux obligations auxquelles les organismes de formation sont soumis du fait des activités qu'ils exercent et les prestataires exerçant dans ce domaine ne sont autorisés à rattacher leurs dépenses qu'à leur activité de formation", a contre-argumenté Xavier Pottier, chargé des questions de constitutionnalité auprès des services du Premier ministre, venu, en fin de plaidoiries, porter la parole du gouvernement. De même, le représentant de l'État a rappelé la différence existant entre “la liberté d'entreprise et la libre jouissance des fonds publics", rejetant donc les griefs présentés par les avocats et d'inciter.

La décision de non-renvoi

Le Conseil constitutionnel a donc écarté les arguments des deux avocats, et prononcé une “décision de non-renvoi". “Le législateur a défini de façon suffisamment précise les obligations dont la méconnaissance est réprimée. Il en va notamment ainsi de l'obligation de justifier le bien-fondé des dépenses effectuées au titre de la formation professionnelle continue", ont expliqué les sages. Quant à la liberté d'entreprendre, elle n'est, à leurs yeux, pas non plus menacée par les services de l'État, puisqu'en instaurant de tels contrôles sur les fonds publics ou issus de l'obligation légale des entreprises, “le législateur a poursuivi un but d'intérêt général et n'a pas porté une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre".

Une différenciation des dépenses de formation et des dépenses commerciales

Joint par L'Inffo à l'issue du prononcé du verdict, Me Cyril Parlant, avocat de La Fourmi Immo, s'est avoué “peu surpris". S'il espérait cependant que les sages émettent une “réserve d'interprétation" (une indication sur la façon d'interpréter le texte), l'avocat souhaite conserver une “lecture optimiste" des considérants de l'arrêt rendu, et plus particulièrement du 11e. “Le Conseil constitutionnel y évoque bien la justification du bien-fondé des dépenses effectuées par les organismes au titre de la formation professionnelle continue. Il est possible d'en lire que le Conseil distingue clairement les dépenses liées à l'activité de formation et celle relevant du fonctionnement commercial des entreprises." Une interprétation qui, à ses yeux, permettra à l'avenir une meilleure traçabilité des fonds et de différencier les fonds publics (provenant des Opca, de l'État, des Régions ou de la collecte obligatoire) des fonds issus des particuliers ou dépassant l'obligation légale. “Telle que rédigée, la décision peut permettre une meilleure clarification de la situation, mais je resterai néanmoins vigilant", estime Me Parlant, spécialiste du droit social depuis une quinzaine d'années et qui “est sollicité au moins une fois pas mois par des organismes s'estimant victimes de contrôles excessifs".

Regrettant toutefois que “les contrôles portent sur les dépenses plutôt que sur la qualité des contenus pédagogiques", l'avocat n'exclut pas de solliciter à l'avenir une nouvelle QPC, portant, cette fois, sur l'article L. 6362-6 du Code du travail, portant sur l'obligation de remboursement des co-contractants en cas d'inexécution d'une convention de formation.

B. d'A

Entretien avec Marie Morel, sous-directrice des politiques
de formation et du contrôle à la DGEFP

“Le législateur a poursuivi un but d'intérêt général en instituant
un contrôle des activités"

Quelle analyse faites-vous de la décision du Conseil constitutionnel ?

La question prioritaire de constitutionnalité était relative à la conformité aux principes de valeur constitutionnelle des articles L. 6362-5, L. 6362-7 et L. 6362-10 du Code du travail. Le Conseil constitutionnel a rejeté tous les griefs invoqués et a jugé l'ensemble de ces dispositions conformes à la Constitution.
Concernant l'atteinte à la liberté d'entreprendre, il a considéré que le contrôle des organismes prestataires de formation professionnelle continue est destiné à vérifier que les sommes, versées par les personnes publiques en faveur de la formation professionnelle, ou par les employeurs au titre de leur obligation de contribuer au financement de la formation professionnelle continue, sont affectées à cette seule fin. Par conséquent, le législateur a ainsi poursuivi un but d'intérêt général en instituant un contrôle des activités conduites par ces organismes en matière de formation professionnelle continue, et n'a pas porté une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre.

Et concernant l'atteinte au principe de légalité des délits et des peines ?

Ce principe est garanti par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Le Conseil constitutionnel a considéré que, pour que le contrôle conduit par l'administration soit efficace, le législateur a institué des sanctions ayant le caractère d'une punition, qui visent à réprimer la méconnaissance d'obligations qui sont suffisamment définies dans le Code du travail. En effet, le Conseil a jugé que l'obligation de justifier le “bien-fondé" des dépenses effectuées au titre de la formation professionnelle continue est une obligation suffisamment précise, puisqu'elle impose aux organismes de formation de justifier que les dépenses engagées ont été utiles à la réalisation des actions de formation professionnelle.

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a considéré que le renvoi “aux dispositions légales régissant ces activités", mentionné dans l'article contesté, est circonscrit aux dispositions qui réglementent spécifiquement les activités de formation professionnelle continue, telles qu'elles sont définies au Code du travail (partie VI).

Même si les décisions en matière de contrôle de la formation professionnelle ne sont pas à titre principal fondées sur ce motif, il est naturellement important pour les services de contrôle que le cadre légal et réglementaire soit conforté.

Propos recueillis par K. B.

La notion de “dépenses utiles"

“Un avis éclairant !" Avocat d'Egilia, Me Pierre-Manuel Cloix se refuse à interpréter la décision des sages comme une défaite pour son client et, au delà, pour les OF en général. Lui qui, lors de l'audience du 11 septembre, avait plaidé en faveur d'une définition plus précise de la notion du “bien-fondé de ces dépenses à leurs activités ainsi que la conformité de l'utilisation des fonds aux dispositions légales régissant ces activités" (circulaire DGEFP n°2011-26 du 15 novembre 2011 relative à la marge de manœuvre des agents en charge du contrôle), estime que l'arrêté rendu par le Conseil a le mérite d'éclairer les imprécisions de l'article L. 6362-5 du Code du travail.
Le 11e considérant stipule que l'obligation de justifier le bien-fondé des dépenses faites “a pour objet d'imposer que ces dépenses soient utiles à la réalisation des actions de formation professionnelle". Pour Pierre-Manuel Cloix, tout repose, précisément, sur cette notion de “dépenses utiles". “En utilisant cette expression en lieu et place de « dépenses nécessaires » – beaucoup plus restrictive – le Conseil constitutionnel élargit le champ des dépenses susceptibles d'être effectuées par un organisme de formation sans le limiter à la seule action pédagogique !"
Juste un adjectif, mais qui a son importance. En effet, s'il n'escompte pas aller jusque devant l'échelon européen dans le cadre d'un “contrôle de conventionnalité" (afin de juger de la conformité du texte avec les règlements communautaires), il n'en indique pas moins que l'arrêté permettra à son client de se présenter à nouveau en première instance, devant le Tribunal administratif de Paris, “afin que ce dernier se prononce sur la nature de dépenses en cours".

B. d'A.

Questions à Jean-Philippe Cépède, directeur du pôle juridique observatoire, et Paul de Vaublanc, chargé d'études juridiques, Centre Inffo

Une décision “pédagogique"

Quels enseignements tirez-vous de la décision du Conseil constitutionnel ?

J.-Ph. C. - Sur le fond, tout a été dit. Sur la forme, il me semble que l'on peut qualifier cette décision de décision “pédagogique". En effet, avant de se lancer dans son analyse sur chacun des griefs, le Conseil constitutionnel rappelle sa doctrine. Cette doctrine est l'étalonnage qui lui permet de mesurer si les articles critiqués respectent ou non la constitution. Le rappel de cette doctrine permettra de diagnostiquer si d'autres dispositions du Code du travail et, pourquoi pas, du contrôle de la formation professionnelle continue, respectent ou pas la Constitution. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel accompagne sa décision d'un document intitulé “commentaire" qui permet de comprendre la spécificité du travail des juges constitutionnels. Enfin, il faut signaler que tous les acteurs de la formation professionnelle continue doivent se sentir concernés par cette décision, car ces dispositions ne visent pas seulement les prestataires de formation. En effet, elles sont applicables notamment aux entreprises et aux Opca.

P. de V. - Il faut préciser également que cette QPC est importante puisqu'aucune QPC ne peut plus remettre en question la viabilité de ces trois articles. En effet, un juge ne peut transmettre une QPC que si la disposition litigieuse n'a jamais été déclarée conforme à la Constitution. Ainsi, pour ces trois articles contestés, le débat est clos. Par ailleurs, “les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles".

Propos recueillis par F. B.

Des contrôles "dans l'intérêt des organismes"

Les modalités de contrôle constituent-elles un danger pour les organismes de formation ? Pas vraiment, à en croire Michel Clézio, président de la Fédération nationale des Urof (Unions régionales des organismes de formation) pour qui les deux plaintes portées devant le Conseil constitutionnel par Elegia et La Fourmi Immo constituent “des cas d'espèce".

“Les spécificités liées aux situations rencontrées par ces deux organismes ne me paraissent pas de nature à tirer un enseignement politique sur la constitutionnalité du contrôle en tant que tel", nous a-t-il indiqué, le 17 septembre. Et s'il estime naturel que les organismes de formation puissent être amenés à financer des démarches commerciales “à la marge de leur activité de formation", le président des Urof n'en rappelle pas moins l'importance du contrôle des fonds de la formation par les services de l'État. “Il est normal et légitime que l'État assure un contrôle strict sur les fonds publics, mais aussi sur les sommes issues de l'obligation de cotisation des entreprises, puisque les taux de collecte sont déterminées par loi, faisant d'elles, de fait, des fonds quasi-fiscaux", estime-t-il, rappelant que sa fédération a toujours soutenu les contrôles étatiques dans l'intérêt des organismes de formation. “Ils ont si souvent été qualifiés d'organismes dépensiers ou inefficaces que seuls des contrôles stricts sont susceptibles de démontrer le contraire ! Les organismes adhérents à la Fédération des Urof demeurent favorables à l'idée d'ouvrir grandes leurs portes aux services de l'État."