Ani du 11 janvier : un accord clivant
Par Béatrice Delamer - Le 01 février 2013.
L'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 est à présent signé par une majorité de ses négociateurs. Qui ne se sont pas fait faute d'exprimer leurs espoirs ou bien leurs ressentiments assortis de mobilisation, compte tenu des enjeux. Propos croisés.
Le 11 janvier a donc été conclue la négociation relative à la sécurisation des parcours professionnels. La partie patronale, la CFDT, la CFE-CGC et la CFTC sont signataires de l'accord, mais ni la CGT ni FO. “Si l'accord est potentiellement historique, ce ne sera pas parce que tout le monde a signé, mais bel et bien en raison de son contenu", a déclaré la présidente du Medef, Laurence Parisot, à l'occasion de sa conférence de presse mensuelle tenue le 15 janvier. La veille, le comité exécutif de l'organisation patronale avait salué “le travail effectué depuis des années", évoquant les années 2008-2009 et la négociation sur les IRP (institutions représentatives du personnel).
Le Medef salue “le travail effectué depuis des années"
Le 16 janvier, la CGPME a signé l'Ani. Mais avec peu d'enthousiasme, l'organisation se réservant même le droit de “dénoncer sa signature", notamment en cas de “durcissement sur le CDD". “Les efforts consentis par la partie patronale sont conséquents", a précisé la confédération, évoquant surtout la généralisation de la complémentaire santé et l'acceptation d'une taxation accrue des contrats courts.
L'UPA a donné le 15 janvier mandat à son négociateur pour signer l'accord. Après avoir dénoncé plusieurs points qui favorisaient quelques grandes entreprises au détriment des autres, l'UPA “a réussi à faire évoluer le texte dans le bon sens", s'est-elle félicité. Estimant que l'accord était “globalement positif".
La CGT et FO vent debout
Mais avec le Medef désigné vainqueur par la CGT elle-même, l'accord national interprofessionnel n'apparaît guère frappé du sceau de la concorde. Dénonçant “une grave récession des droits sociaux", le bureau confédéral de la CGT a confirmé le 14 janvier l'avis négatif formulé par la délégation en clôture de la négociation. Agnès Le Bot, dirigeante nationale de la CGT et chef de file de la négociation décrit “au final un accord qui sécurise, pour la partie patronale, les procédures de licenciement, voire organise une certaine impunité pour les employeurs en matière de relations au travail". Rappelant que c'est le gouvernement qui a fixé la feuille de route de la négociation au lendemain de la conférence sociale des 9 et 10 juillet 2012, Agnès _ Le Bot estime aujourd'hui que, “non seulement on est à côté de la plaque, mais on est à l'opposé d'une véritable sécurisation de l'emploi : on fragilise les salariés à travers leurs contrats de travail, on facilite les licenciements, on fragilise les capacités d'intervention des représentants des salariés…"
Analyse voisine et amertume du côté de FO, le 16 janvier, à l'occasion d'une séance de décryptage de l'Ani. “Le patronat a bien négocié cet Ani pour entraîner l'adhésion de trois organisations syndicales. Félicitations à lui !", a ironisé le secrétaire général, Jean-Claude Mailly. La décision du rejet a été prise le 14, à l'unanimité de son bureau national de FO. “Pour le coup, il n'y a vraiment pas eu matière à débat", a ironisé le secrétaire général qui, dès le mois d'octobre dernier, dénonçait “une feuille de route gouvernementale imposant aux négociateurs un timing à la schlague". Et pour quel résultat, à ses yeux ? “La flexibilité, c'est maintenant !", a-t-il conclu, rappelant − preuves à l'appui − qu'à une époque pas si lointaine, le candidat Hollande jugeait le CDI intérimaire (notamment induit par l'Ani) “inacceptable" et susceptible de créer “une armée de réserve intérimaire" dans laquelle le patronat serait susceptible de puiser.
“Conjuguer acquis sociaux et efficacité économique"
“Nous sommes conscients que nous prenons quelques risques en signant cet accord", a précisé Bernard Van Craeyenest, le président de la CFE-CGC, le 15 janvier, à l'occasion de ses vœux à la presse. Indiquant que ce texte constituait “non un aboutissement, mais un début". Réuni le 14 janvier, le bureau national de la confédération de l'encadrement s'est prononcé unanimement en faveur de l'adoption d'un texte qualifié d'“ambitieux", mais dont l'extension (négociations à venir, travail parlementaire visant à le traduire dans la loi, etc.) “se poursuivront bien au-delà de 2013".
Le bureau national de la CFDT a également décidé à l'unanimité de signer l'Ani, a indiqué la fédération le 17 janvier, invoquant les “avancées pour l'emploi et les salariés". Le bureau a considéré que l'accord “permet d'ancrer le rôle de la démocratie sociale dans la modernisation de notre pays" et qu'il démontre que la négociation “produit des avancées importantes conjuguant acquis sociaux et efficacité économique". La CFDT entend ainsi “contribuer à la construction de solutions qui permettent, tout en préservant et en améliorant la situation sociale des salariés, de poser les bases du pacte social dont la France a besoin et de tracer la voie d'un nouveau modèle de développement économique, social et environnemental."
Conseil en évolution professionnelle
Concernant le conseil en évolution professionnel que l'Ani prévoit de créer, François Hommeril (CFE-CGC) le considère comme “l'un des chantiers-clés". Même s'“il va falloir que tous les acteurs impliqués dans les questions d'orientation, d'identification des besoins des entreprises et des demandes des salariés se mettent d'accord pour définir cette notion de conseil". L'institution chargée de ce service est à inventer.
Et les Régions seront certainement placées en première ligne pour l'imaginer.
POE ET CIF-CDD
Sur la partie formation, la CGPME a globalement obtenu satisfaction, puisqu'en début de négociation, elle avait plaidé pour un développement de la préparation opérationnelle à l'emploi (POE), en permettant aux Opca détenant les offres d'emploi de leurs entreprises adhérentes et ayant signé une convention avec Pôle emploi de proposer cette formule, en coordination avec l'entreprise intéressée, à des demandeurs d'emploi sélectionnés par Pôle emploi. Une mesure reprise quasiment mot pour mot dans le texte final de l'Ani.
Concernant le Cif-CDD, Force ouvrière estime que, si les mesures induites dans le texte seront effectivement de nature à en faire augmenter les demandes, l'absence de financements adaptés se traduira par un nombre de dossiers refusés accru. Mais son impact sera relatif, estime Stéphane Lardy (FO) : “On ne compte qu'environ 27 000 POE individuelles par an, ce qui relativise la portée de cet article".
“L'accord relatif à la sécurisation des parcours professionnels est potentiellement historique, a déclaré Laurence Parisot. Je dis « potentiellement » car il doit encore être ratifié par le Parlement. Nous souhaitons que l'Assemblée nationale et le Sénat respectent l'esprit, mais aussi la lettre de cet accord, et qu'ils votent le texte en l'état. En effet, celui-ci, dans sa globalité, a une logique, et en ôter la moindre disposition peut anéantir sa cohérence." Et d'ajouter : “La loi issue de l'Ani fera également l'objet de textes d'application. Là encore, nous seront vigilants."
C'est d'ailleurs “sous réserve de la transcription de l'Ani dans la loi, sans modification" que la CGPME a apposé sa signature en bas de l'accord. D'ores et déjà, l'organisation annonce qu'elle continuera “sans relâche" à œuvrer pour “lever les freins à l'emploi et faire en sorte qu'on s'engage véritablement sur la voie de la flexi-sécurité en gardant toujours à l'esprit que le carnet de commandes est le point-clé de la création d'emplois".
L'UPA veillera à ce que “la mise en œuvre de l'accord du 11 janvier respecte les intérêts des très nombreuses entreprises petites et moyennes, et au-delà continuera à placer ces catégories d'entreprises au cœur des choix économiques et sociaux".
La CFDT attend également la retranscription de l'accord dans la législation et la réglementation “en respectant les équilibres et en associant les parties signataires."
Dans les temps à venir, FO envisage de rencontrer l'ensemble des groupes parlementaires de l'Assemblée et du Sénat afin de les informer des conséquences de cet Ani, que Jean-Marc Ayrault viendra lui-même défendre au Palais-Bourbon. “Nous espérons également être entendu du gouvernement, si toutefois ce dernier accepte de recevoir les organisations non-signataires", a annoncé Jean-Claude Mailly, qui se refuse à croire à un passage en force gouvernemental.
Si le round de la négociation a, pour elle, été perdu, la CGT entend désormais battre le rappel pour contrer le projet de loi qui découlera de l'accord du 11 janvier. Se félicitant d'avoir vu le Medef reculer sur certains points de l'Ani, comme le contrat de projet, abandonné, ou le CDI intermittent, limité à une expérimentation auprès de l'industrie du chocolat, la vente d'articles de sports et les organismes de formation professionnelle, la CGT compte désormais obtenir d'autres résultats au Parlement. Aussi prévoit-elle d'“amplifier sa campagne d'information par l'édition d'un journal tiré à deux millions d'exemplaires à destination des salariés pour favoriser leur mobilisation". Objectif souligné par Agnès Le Bot : “Peser dans le débat parlementaire à venir".
GPEC
Le renforcement de la GPEC dans les plans de formation des entreprises a été jugé “non-opérationnel et manquant d'ambition" par FO. “L'extension du champ des thèmes à aborder lors de la négociation GPEC va, concrètement, complexifier la gestion des emplois et des compétences. Le résultat sera potentiellement inverse à celui recherché, c'est-à-dire moins d'accords GPEC, étant donné la difficulté supplémentaire à trouver un compromis."
À en croire François Hommeril, secrétaire national CFE-CGC aux questions de formation professionnelle, la confédération était dubitative quant à la mention d'une discussion relative à la création d'un compte personnel de formation, alors même que ce dispositif faisait déjà l'objet d'expérimentations menées par le Conseil national pour la formation tout au long de la vie (CNFPTLV). “Lors de la table ronde sur la formation, en juillet dernier, Thierry Repentin s'était justement engagé à ne pas créer un nouveau dispositif. Alors, lorsque nous avons vu que l'accord porterait sur la création d'un tel compte, nous nous sommes emparés de cette thématique pour transformer cet outil potentiellement dangereux en outil utile". Et aujourd'hui, le secrétaire national l'affirme : “Il est désormais faux de dire que le compte personnel de formation vise à fusionner le Dif avec le Cif. Au contraire, il redonne une seconde chance, alors que le Dif est peu utilisé et que le Cif a atteint son seuil de financement plancher, avec seulement 52 % de dossiers acceptés."
La création d'un compte personnel de formation constituait l'une des revendications de la CGPME qui, pour ce faire, souhaitait fusionner Dif et Cif et faire gérer ce nouveau droit par les Fongecif. Un point sur lequel les demandes de la CGPME demeurent en suspens, puisque les modalités d'application de ce compte sont renvoyées à une nouvelle négociation, ainsi qu'aux réflexions du CNFPTLV qui se concluront en mars prochain. Toutefois, FO et la CGT avaient, lors de la négociation, indiqué leur hostilité à l'encontre d'une telle fusion.
Le compte personnel de formation ? “Il n'existe tout simplement pas !", a souligné Stéphane Lardy, secrétaire confédéral de FO aux questions d'emploi et de formation professionnelle, le 16 janvier. Pour l'ancien meneur de la délégation Force ouvrière lors de la négociation, “au mieux, il s'agira d'un nouvel outil, mais sans droit associé, puisque les 20 heures acquises par an – dans la limite de 120 heures – ne sont rien d'autres que les droits au Dif dont bénéficient les salariés depuis l'Ani de 2003". Pire, selon lui : “La rédaction de cet article amène à penser que ce nouvel outil va potentiellement avoir pour effet de supprimer le Cif et le Dif." Quant à la notion même de compte personnel, Stéphane Lardy la remet directement en question. “Son utilisation sera soumise à l'accord de l'employeur (dans le cas des salariés) ou des acteurs de l'emploi (s'il est mobilisé par les demandeurs d'emploi)… où est le caractère personnel, là-dedans ?" Conclusion ? “Ce compte n'est rien d'autre qu'un relooking du Dif", a jugé Jean-Claude Mailly.
B. d'A.