Dérives sectaires : a-t-on raison d'être parano ?

Par - Le 01 novembre 2013.

Au premier regard, les programmes pédagogiques
semblent alléchants : “Fondements des relations
publiques", “Des outils pour le monde du travail",
“Fondements de l'organisation", “Solutions pour un
environnement dangereux"… Sommes-nous en train
de consulter le catalogue d'un OF spécialisé dans le
management ? Perdu ! Tous ces intitulés sont ceux
des “cours en ligne" proposés sur le site du Celebrity
Center de Paris, le temple principal de la Scientologie
en France. Ils sont d'ailleurs toujours disponibles
en ligne alors que le 16 octobre, l'Église fondée par
L. Ron Hubbard vient d'être condamnée par la Cour
de cassation pour “escroquerie en bande organisée".
Qu'on se rassure cependant, le Celebrity Center n'est pas
organisme de formation certifié et les vidéos “pédagogiques"
mises en ligne ne laissent que peu de doute sur
la nature de l'organisation. La visite est cependant instructive
car les thèmes abordés (santé, développement
personnel, gestion des organisations) sont représentatifs
des domaines dans lesquels peuvent se manifester charlatanisme
et dérives sectaires.

1 % des contrôles

En février 2012, à l'occasion de la parution du
guide “Savoir déceler les dérives sectaires dans la
formation professionnelle"1 édité par la Mission
interministérielle de vigilance et de lutte contre les
sectes (Miviludes), Nadine Morano, alors ministre
en charge du dossier, avait indiqué que les quelque
4 000 contrôles opérés l'année précédente par les
services de l'État avaient abouti à la suspension
de l'agrément d'une quarantaine d'organismes
exerçant dans le domaine de la formation comportementale,
du bien-être et du développement
personnel. 1 sur 100, le ratio n'a peut-être
pas de quoi attiser la paranoïa envers les 50 000
organismes de formation enregistrés.

“Les brebis galeuses sont rares, reconnaît d'ailleurs
Serge Blisko, le président de la Miviludes, mais leurs
dégâts peuvent être considérables, surtout s'ils exercent
dans des domaines psychologiques ou thérapeutiques.
Le souci, c'est qu'à l'heure actuelle, il est facile de
se faire enregistrer comme OF auprès des pouvoirs
publics. Alors, il n'y a pas le choix : les contrôles des
services de l'État doivent être plus fréquents."

Code K 1 103...

En 2012, justement, l'instruction ministérielle
donnée à la DGEFP pour l'année suivante l'enjoignait
clairement à exercer son contrôle en priorité
sur les organismes exerçant dans le domaine des
“pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique"
(PNCAVT) en ciblant plus particulièrement
ceux dont l'activité entrait dans le cadre du code
Rome [ 1 ]Rome : Répertoire opérationnel des métiers et des emplois
(de Pôle emploi).
K 1 103, relatif au développement personnel.
Un premier bilan, portant sur le premier
trimestre 2013, montre que sur 193 contrôles clôturés,
4 seulement avaient donné lieu à un signalement
à la Miviludes. “Les services de contrôle exercent un
contrôle administratif et financier en application du
droit commun, qui rend difficile la prise en compte
des critères de dangerosité, caractéristiques de la dérive
sectaire, comme la déstabilisation mentale, la rupture
avec l'environnement familial ou les risques d'atteinte
à l'intégrité physique", explique Stéphane Rémy,
chef de mission à la sous-direction des politiques de
formation et du contrôle de la DGEFP. “Si le développement
personnel ne relève pas à proprement parler
du champ de la formation professionnelle continue (ces
formations n'étant pas imputables si elles ne répondent
pas un objectif de formation professionnelle), certaines
séquences de formations dites de développement
personnel peuvent contribuer à un objectif professionnel.
Par exemple, une séquence de formation visant à
améliorer la qualité de l'expression en public. C'est sur
cette zone-là qu'il faut se montrer vigilant."

Se méfier des “théories alternatives"...

Ces zones-là, sises entre formation et santé,
demeurent floues même si les pouvoirs publics y
adaptent leur arsenal. Ainsi, le décret du 7 mai 2012
– dit “décret Accoyer" – durcit drastiquement
l'exercice de la profession de psychothérapeute.
Terminée, l'époque où il suffisait d'avoir simplement
suivi soi-même une telle psychothérapie et quelques
stages épars pour pouvoir à son tour prétendre à
l'exercice de cette profession. Désormais, seuls des
professionnels de santé diplômés et ayant suivi les
formations adaptées pourront oeuvrer en tant que
tels. “Malheureusement, les escrocs savent se réfugier
derrière des dénominations pseudo-scientifiques, souvent
issues des théories alternatives anglo-saxonnes pour se
donner une aura de sérieux", regrette Serge Blisko, qui
préconise “l'arrêt de l'agrément ou du financement de
gens qui forment à des métiers qui n'existent pas".

Difficile, cependant, car les domaines médicaux ou
thérapeutiques dépendent d'une recherche scientifique
en constante évolution. Et le terme “innovation"
n'y est pas forcément synonyme d'escroquerie.
“Aujourd'hui, les professionnels de santé ne sont plus
formés à accompagner certaines pathologies comme il
l'étaient il y a dix ans", témoigne Florence Leduc,
directrice de la formation et de la vie associative au
sein de la Fédération des établissements hospitaliers
et d'aide à la personne (Fehap), administratrice et
membre du comité d'éthique d'Unifaf, l'Opca de la
branche sanitaire, sociale et médico-sociale.
Exemple : la maladie d'Alzheimer, toujours incurable,
mais dont l'accompagnement peut se traduire par
des exercices de stimulation de la mémoire par les
pratiques artistiques, menés par des infirmiers qu'il
faut bien former à l'exercice. “Nous différencions bien
les approches dites « complémentaires » – qui ne relèvent
pas de la médecine mais peuvent aider le patient – des
approches « alternatives » qui s'inscrivent davantage
dans le domaine des pseudo-sciences", explique Florence
Leduc. Et pour ce faire, Unifaf a fait le choix de ne
financer que des formations dont les contenus pédagogiques
s'appuient sur des recherches scientifiques
validées ou inscrites dans le domaine public.
Et si d'aventure un OF était soupçonné de comportements
douteux – Unifaf recense en moyenne trois
dossiers suspects par an – l'Opca a pour politique
de le placer sur sa “liste noire", une procédure
se traduisant par une alerte des établissements
adhérents, mais aussi par son retrait des appels
d'offres d'Unifaf. “Mais davantage que la présence
sectaire, nos problèmes restent avant tout liés au charlatanisme
et à l'exercice illégal de la médecine", annonce
Jean-Pierre Delfino, le directeur de l'Opca.

Pas inscrit dans les missions des Opca

Les Opca, justement. Parfois accusés de financer des
sectes au travers de la formation professionnelle, quels
sont exactement les moyens dont ils disposent pour
lutter contre la dérive sectaire ? “Pas grand-chose !",
affirme Joël Ruiz, le directeur général d'Agefos-PME,
dont l'un des directeurs régionaux fut, voici plusieurs
années, harcelé par un groupe sectaire pour avoir refusé
de financer une formation douteuse. Mais davantage
qu'une absence de moyens, le fait est qu'il n'appartient
pas aux organismes paritaires de faire la chasse aux
gourous. “L'une des erreurs de l'émission « Cash investigation
» a été de considérer que les Opca ont une mission de
lutte contre la dérive sectaire, ce n'est pas le cas !", souligne
Jean-Philippe Cépède, directeur du pôle juridique de
Centre Inffo. Pourtant, encouragés par la DGEFP, il
arrive à certains de dépasser leurs compétences stricto
sensu en imposant des procédures de contrôles aux prestataires
qu'ils financent.

En Allemagne, une labellisation efficace

Afin de réduire le risque sectaire dans son offre de
formation, l'Allemagne a, voici trois ans, lancé une
grande campagne de labellisation des OF, ce qui s'est
soldé par une division par trois du nombre d'organismes
actifs. Un tel processus est-il souhaitable pour
la France ? Pierre Ferracci, président du groupe Alpha,
juge que non. “Il faut plutôt que la demande redevienne
maître de l'offre et que les représentants du personnel, dans
les entreprises, se réapproprient le plan de formation."
Mais au-delà du plan de formation, c'est principalement
sur le dos du Dif – qui permet de financer
des formations dont le cadre dépasse celui du développement
des compétences [ 2 ]Depuis 2003, l'usage du plan de formation a été recentré
sur le développement des compétences aprofessionnelles.
– que prospèrent les
formations douteuses. Un fait qui pose la question du
futur compte personnel de formation (CPF), dont la
vocation se veut universelle. “Peut-être ce dispositif permettra-
t-il aux salariés de choisir les formations qui leur
conviennent le mieux et donc, d'éviter les OF douteux ?",
s'interroge Serge Blisko. Ou peut-être la future loi
qui en décrira les contours décidera d'en restreindre
l'usage aux filières certifiées ou qualifiantes ? À voir si
cela contribuera à réduire le risque sectaire ou si les
charlatans se montreront plus malins.

“L'acheteur a la responsabilité de son investissement"

“On fait un mauvais procès au marché de la formation
professionnelle, trop souvent accusé de dérives, estime
Jean-Philippe Cépède. Il faut cesser de se focaliser sur
les prestataires et se rappeler que in fine, l'acheteur
− entreprise ou particulier − a la responsabilité de son
investissement. Il dispose du catalogue, il dispose d'un
contrat ou d'une convention de formation qu'il peut
rompre en cas de doute. Il existe des marchés bien moins
réglementés que celui de la formation !"

Dérives sectaires : de quoi parle-t-on ?
En France, la création d'un mouvement religieux ou philosophique n'est en rien
interdit. En soi, c'est moins la notion de “secte" qui pose problème que l'abus
sur les biens et les personnes susceptible d'en découler. La Miviludes qualifie
ainsi la dérive sectaire : “Un dévoiement de la liberté de pensée, d'opinion ou de
religion qui porte atteinte à l'ordre public, aux lois ou aux règlements, aux droits
fondamentaux, à la sécurité ou à l'intégrité des personnes. Elle se caractérise par
la mise en oeuvre, par un groupe organisé ou par un individu isolé, quelle que soit
sa nature ou son activité, de pressions ou de techniques ayant pour but de créer,
de maintenir ou d'exploiter chez une personne un état de sujétion psychologique
ou physique, la privant d'une partie de son libre arbitre, avec des conséquences
dommageables pour cette personne, son entourage ou pour la société."

Le développement personnel : dans le champ de la formation, ou pas ?
Sur le portail de la liste publique des organismes de formation, une rapide recherche
avec le mot-clé “développement personnel" permet d'obtenir 6 318 OF répertoriés
exerçant dans les domaines du développement comportemental et relationnel,
domaine accusé d'être l'une des portes d'entrée du risque sectaire. Pourtant, cette
notion n'apparaît nulle part dans le Code du travail et repose en grande partie sur les
définitions qu'en a données l'administration comme relevant de tout ce qui n'était
pas strictement de la professionnalisation. “Néanmoins, force est de constater que
certaines actions centrées sur le développement de l'individu peuvent aussi avoir un
caractère professionnel pour certains publics, note Fouzi Fethi, juriste à Centre Inffo.
Faut-il pour autant les exclure ? Pas nécessairement." Car à la différence de ce qui
relève de la formation initiale et donc du service public, le monde de la formation
reste un marché ouvert où n'existe aucune liste des formations imputables. “Dans le
cas des formations au bien-être, la position de l'administration demeure la suspicion,
même si les contrôleurs n'ont pas la compétence de regarder la qualité pédagogique",
indique le juriste. La vigilance demeure donc du ressort de l'acheteur de formation. En
attendant que, peut-être, un jour, le Conseil d'État publie un arrêt définissant une fois
pour toutes ce que doit être le bien-fondé d'une action de formation.

Notes   [ + ]

1. Rome : Répertoire opérationnel des métiers et des emplois
(de Pôle emploi).
2. Depuis 2003, l'usage du plan de formation a été recentré
sur le développement des compétences aprofessionnelles.