Entretien avec Nicolas Perruchot, ancien rapporteur parlementaire

Par - Le 15 décembre 2013.

“Mieux valait purger la question du financement des
partenaires sociaux avant d'entamer une nouvelle
réforme de la formation"

Député Nouveau Centre jusqu'en 2012 [ 1 ]Aujourd'hui conseiller régional UMP de la
Région Centre.
,
Nicolas Perruchot a présidé une commission
d'enquête parlementaire et présenté en 2011
son rapport Les mécanismes de financement
des organisations syndicales d'employeurs
et de salariés [ 2 ]Voir notre article sur le rapport Perruchot dans L'Inffo
n° 807 p. 5, et L'Inffo n° 840, p. 14.
. Ce dernier n'a pas été voté,
mais sa diffusion a alimenté le débat,
actuellement ravivé.

Négociation, débats sur la représentativité
et sur le financement... Les cartes ne
sont-elles pas brouillées ?


La question mérite d'être posée. Ne valait-il
pas mieux “purger" la question du financement
des organisations syndicales et patronales
avant d'initier une réforme de la formation
professionnelle ? Je le pense. En mélangeant
ainsi les sujets, on court le risque de voir la
négociation en cours n'aboutir à aucune évolution
concrète.

La part de la formation dans le financement
des organisations patronales expliquet-
elle les tensions existant actuellement
entre le Medef et la CGPME ?


Selon les chiffres collectés fin 2010, sur
lesquels je me suis basé pour l'écriture du
rapport, 66 millions d'euros issus des fonds
de la formation servaient au financement des
partenaires sociaux, dont près de 29 millions
d'euros au titre du Fongefor et 37 par le biais
du préciput (alimenté au travers de la collecte
des Opca). Si le produit du Fongefor est réparti
de façon égalitaire entre les organisations
syndicales (2,9 millions par syndicat en 2010), la
clé de répartition patronale, en revanche, varie
en fonction des organisations, puisque le Medef
se taille la part du lion en prenant 57,5 % de ce
produit (8,3 millions en 2010), la CGPME 32,5 %
(4,7 millions) et l'UPA 10 % (1,4 million). Pourquoi
une telle règle de répartition ? La commission
d'enquête parlementaire n'a jamais reçu de
réponse claire des organisations patronales
lorsque la question leur fut posée.

Quelle serait la conséquence, pour les
organisations patronales, d'un taux de
contribution obligatoire des entreprises
ramené de 0,9 % à 0,5 %, comme le propose
le Medef ?


Une réduction de la cotisation des entreprises
au titre du plan de formation verrait le produit du
préciput et du Fongefor se réduire d'autant, ce
qui se traduirait par une perte de centaines de
milliers d'euros − voire de millions − pour certaines
organisations, notamment la CGPME et l'UPA,
qui n'auront alors d'autre choix que de se tourner
vers l'État pour solliciter des aides susceptibles de
compenser les sommes perdues. D'un autre côté,
je comprends l'opiniâtreté de la CGPME à vouloir
défendre un modèle de mutualisation qui permette
aux PME et TPE de bénéficier d'un maximum de
fonds pour garantir la formation professionnelle de
leurs collaborateurs.

Le 14 novembre, Michel Sapin adressait
un courrier aux dirigeants des huit
organisations représentatives pour évoquer
la fin de leur financement par les fonds de la
formation...


J'y suis plutôt favorable. Aujourd'hui, ce
financement manque cruellement de transparence
et même le Parlement rencontre toutes les
difficultés du monde pour avoir accès à ces
données, ce qui est inacceptable dans une
démocratie. Reste cependant à déterminer la
manière dont sera financée la démocratie sociale.
S'agira-t-il de subventions directes versées par
l'État dans le cadre de la loi de finances annuelle à
l'image de ce qui existe pour les partis politiques ?
Cette solution permettrait effectivement d'éviter
nombre d'errements, mais cela pose alors le
problème du calcul de la représentativité des
organisations patronales puisque, aujourd'hui
encore, une entreprise peut adhérer par
l'intermédiaire de sa branche professionnelle à
plusieurs mouvements d'employeurs.

Êtes-vous favorable à ce principe
d'adhésion multiple ?


Non. Une interdiction permettrait de clarifier le
système électoral qui préside à la représentativité
des organisations patronales. Tel qu'il existe, le
système de la multi-adhésion n'est pas sain.

Cela ne risque-t-il pas de provoquer un
bouleversement aboutissant, au final, à
ne laisser la parole patronale qu'au seul
Medef ?


En 2008, on prétendait déjà que la réforme de la
représentativité syndicale ne profiterait qu'aux
seules CGT et CFDT, au détriment des trois autres.
Or, les élections qui ont suivi ont démontré que les
cinq centrales représentatives l'étaient restées. Je
ne m'inquiète pas trop pour le Medef, la CGPME
et l'UPA, qui s'appuient sur des structures très
fortes. Toutefois, le système de représentativité tel
qu'il existe reste figé sur un modèle qui date d'un
demi-siècle. Je ne suis pas certain que ce soit très
bon pour la démocratie sociale. Si un changement
de scrutin avait pour conséquence de faire émerger
d'autres mouvements (Udes, UnaPL, etc.), cela
signifierait que le paysage social change et qu'il
est normal d'en tenir compte.

Pensez-vous que les partenaires sociaux
parviendront à conclure un texte dans les
temps impartis, avant que le gouvernement
reprenne la main ?


Je ne suis pas certain qu'on puisse faire dépendre
un sujet aussi complexe que celui de la formation
professionnelle d'une seule négociation entre
partenaires sociaux et d'un seul projet de loi, alors
que les PSE se multiplient dans notre pays et que
le déploiement de solutions formation massives
est plus que jamais nécessaire. Le gouvernement
passera-t-il en force, si le texte final des partenaires
sociaux n'est pas satisfaisant ? J'en doute.

Notes   [ + ]

1. Aujourd'hui conseiller régional UMP de la
Région Centre.
2. Voir notre article sur le rapport Perruchot dans L'Inffo
n° 807 p. 5, et L'Inffo n° 840, p. 14.