François Hollande veut “réorienter les financements de la formation professionnelle"

Par - Le 16 mars 2013.

Retour aux fondamentaux : remise en ordre du système français de formation “complexe et cloisonné". C'est la tonalité du “discours de Blois" prononcé le 4 mars par le président de la République. La nouvelle réforme est en marche.

La France compte aujourd'hui 55 000 organismes de formation, dont un tiers n'exerce pas cette activité à titre principal, c'est trop. Nous devons recentrer le système sur moins d'organismes et exiger plus de qualité. Un véritable système de certification, d'évaluation et de validation sera mis en place qui garantira l'efficacité des prestations délivrées." C'est ce qu'a déclaré François Hollande à l'occasion d'un déplacement à Blois (Loir-et-Cher), le 4 mars dernier, consacré à la future réforme de l'apprentissage et de la formation professionnelle. Le projet de loi était jusqu'ici annoncé pour le début de l'été 2013, François Hollande a annoncé qu'il devrait être prêt “à la fin de l'année".

“Complexe, cloisonné, inégalitaire"

“L'effort de formation professionnelle représente en France 1,6 % de notre PIB, près de 32 milliards d'euros. C'est un investissement important, il ne donne pourtant pas tous les fruits que l'on pourrait en attendre", a insisté le président de la République.

Un système jugé “complexe, cloisonné, inégalitaire", et il est “temps de procéder aux rééquilibrages nécessaires". La priorité doit être donnée à la formation des jeunes peu ou pas qualifiés, aux travailleurs les plus précaires, aux salariés de plus de 50 ans et, surtout, aux demandeurs d'emploi.

S'il s'est félicité de la (future) création du “compte personnel de formation" par l'Ani du 11 janvier 2013, François Hollande a déclaré qu'il fallait “aller encore plus loin". La concertation engagée avec les partenaires sociaux par Michel Sapin et Thierry Repentin pour préparer
le prochain projet de loi sur la formation professionnelle et l'apprentissage aura pour premier objectif de “réorienter les financements de la formation professionnelle vers les demandeurs d'emploi, mais aussi vers les salariés menacés par les mutations
technologiques".

“Rationalisation" des rôles

Pour le président de la République, tout doit être fait pour raccourcir les délais d'accès à la formation. “L'objectif est qu'au moins un chômeur sur deux se voit proposer une formation moins de deux mois après avoir perdu son emploi (un sur quatre aujourd'hui).

Aucun chômeur ne devra attendre plus de six mois pour entrer en formation, là où aujourd'hui le délai dépasse quinze mois pour 25 % des inscrits." Le gouvernement devrait s'appuyer sur deux leviers : une affectation plus importante des ressources de la formation professionnelle vers les demandeurs d'emploi, “ce qui suppose que l'État, les partenaires sociaux et les Régions acceptent de consacrer plus de moyens à cette priorité", et une “rationalisation" des rôles entre les Régions et Pôle emploi : “Les Régions doivent devenir pleinement responsables de la définition et de la commande des formations, et Pôle emploi doit se consacrer au suivi individuel des demandeurs d'emploi et à leur orientation."

Répondre aux secteurs en tension

Le chef de l'État a fait part de son souhait de préparer aux “métiers de demain", dans les filières émergentes de l'énergie, des réseaux numériques, des services aux personnes, ainsi que dans des métiers artisanaux en tension : le bâtiment, l'agroalimentaire ou encore le tourisme.

Il a à ce propos déclaré que 56 dossiers étaient soutenus dans le cadre du PIA (programme d'investissements d'avenir) pour un montant total de 240 millions d'euros. “Environ 12 000 places nouvelles d'apprentissage seront ainsi ouvertes et 4 000 places d'hébergement pour apprentis seront construites ou rénovées."

“La taxe d'apprentissage doit être consacrée à l'apprentissage"

S'il souhaite l'augmentation du nombre d'apprentis, François Hollande veut également que ce contrat soit proposé “à tous les publics", alors que seulement 6 % des apprentis seraient issus des zones urbaines sensibles. “Pour y parvenir la taxe d'apprentissage doit être consacrée à l'apprentissage.

Cela paraît une évidence, et pourtant, aujourd'hui, près d'un tiers de cette taxe sert à financer d'autres formations, souvent de haut niveau, et qui ne relèvent pas de cette logique." Il en a appelé également aux collectivités locales qui “accueillent aujourd'hui moins de 6 500 apprentis" pour qu'elles introduisent une clause d'alternance dans leurs marchés publics.

Des responsabilités à clarifier

La loi sur l'alternance devra “clarifier les compétences" de chacun. L'État, a-t-il exposé, a vocation à rester pleinement le pilote des politiques de l'emploi, “qu'il s'agisse du cadre social et fiscal ou de la mise en place de nouveaux leviers". Toutefois, il a jugé que cette politique n'aurait d'efficacité “qu'en une coordination étroite avec
les Régions" − dont la prochaine loi de décentralisation devrait
élargir les compétences en matière de formation
des jeunes.

Mais les partenaires sociaux doivent “prendre aussi leurs responsabilités". Deux évolutions seraient ici nécessaires : “D'abord, faire en sorte que, par le dialogue social, une place particulière soit faite [dans les plans de formation] aux salariés présentant des bas niveaux de formation (…).

Ensuite, qu'une partie des moyens soit directement destinée à la formation des demandeurs d'emploi."

Aurélie Gerlach

Commentaire de jean-Marie Luttringer, consultant en droit de la formation

“Voici que François Hollande, après Nicolas Sarkozy et François Fillon, donne le « la » d'une réforme « courageuse » de la formation professionnelle en pointant l'usage douteux qui serait fait des 32 milliards de ressources dont ce domaine est doté", a protesté le consultant en droit de la formation Jean-Marie Luttringer, dans une analyse publiée le 11 mars. À ses
yeux, “considérer que les 32 milliards de la formation professionnelle constitueraient un ensemble homogène, comme le serait le budget d'un ministère en charge d'une fonction régalienne et que le ministre aurait la capacité (sur injonction de Bercy) de réduire, est une erreur de jugement manifeste qui repose sur une méconnaissance de la logique propre de notre système de formation professionnelle et de l'histoire dont il est issu".

Simple agrégat statistique, l'expression “32 milliards" ne tient pas compte de la diversité de ses composantes : taxe d'apprentissage, contribution assise sur la masse salariale des salariés du secteur privé, ou sur celle des salariés du secteur public, cotisations comportant une part employeur et une part salariale assise sur la masse salariale du secteur privé pour financer pour partie la formation des demandeurs d'emploi (assurance chômage), contribution des entreprises dues en application d'accords collectifs, contribution volontaire des entreprises en dehors de toute obligation, dépenses consenties également à titre volontaire par les ménages… Jean-Marie Luttringer estime que cette manière d'appréhender la problématique
de la formation professionnelle “méconnaît la réalité et la diversité de l'activité de formation, mais également ses principes d'organisation", et “conduit à une impasse".

David Garcia

LA FFP PRÊTE À DÉBATTRE DE LA CERTIFICATION DES ORGANISMES DE FORMATION

La Fédération de la formation professionnelle (FFP) a accueilli favorablement l'annonce de François Hollande, le 4 mars à Blois, concernant la mise en place d'un “véritable système de certification, d'évaluation, et de validation qui garantira l'efficacité des formations délivrées". Rappelant qu'elle “s'est positionnée dès 1994, en créant l'Office professionnel de qualification des organismes de formation (OPQF) avec les pouvoirs publics, au sein duquel siègent des représentants de l'administration". À ce titre, elle est “prête à s'associer aux nouveaux travaux qui seraient engagés dans cette perspective".

Pour Jacques Abécassis, conseiller qualité à la FFP, interrogé par L'Inffo, le nouveau système de certification devra “utiliser les certifications existantes (qualification OPQF avec 900 organismes de formation qualifiés, normes Afnor avec 120 organismes certifiés, norme Iso 29990, labels des entreprises et des Régions, etc.) et en réduire le nombre". Il ajoute : “L'objectif est de voir comment nous pouvons garantir l'efficacité des prestations de formation en évitant d'inventer un nouveau système de certification qui risque de rendre plus confus la lisibilité de la qualité."

Ne pas ajouter de la confusion

Au sujet du nombre trop élevé d'organismes de formation dénoncé par François Hollande, Jacques Abécassis confirme que “seuls 15 500 organismes exercent cette activité à titre principal et réalisent un chiffre d'affaires de 7 milliards d'euros par an. Si nous prenons en compte le nombre de numéros de déclaration d'activité délivrés par les Direccte, nous passons à 80 000 organismes. La volonté du président de la République de recentrer le système sur moins d'organismes a pour but de rendre le marché plus lisible mais pour nous, il l'est déjà, notamment par rapport aux actions engagées sur le terrain.

Ainsi, 1 000 organismes de formation font le marché aujourd'hui, avec un chiffre d'affaires supérieur à 1,5 million d'euros par an, soit 47 % du CA total ; si on compte les OF à partir d'un CA de 150 000 euros, ils sont 5 400 et représentent 35 % des organismes et 94 % du CA total", indique-t-il.

En outre, la FFP “salue l'intérêt porté par le gouvernement à la formation et l'insertion professionnelle des demandeurs d'emploi. Avec plus de 50 % de ses adhérents formant et accompagnant près de 800 000 demandeurs d'emploi chaque année, la FFP œuvre, au travers de l'action de ses adhérents pour une insertion durable dans l'emploi".

Philippe Grandin

LA RÉFORME BOULEVERSERA-T-ELLE LE SYSTÈME ACTUEL ?

“L'étonnement." Tel est le sentiment qu'a ressenti Michel Clézio, président de la Fédération des Urof (Unions régionales des organismes de formation), lorsqu'il a appris la volonté du chef de l'État d'entamer “une réforme vaste et courageuse" de la formation professionnelle dans les mois à venir. “La situation est pour le moins paradoxale, confiet- il à L'Inffo. Il existe manifestement une dichotomie
entre les désidératas des partenaires sociaux, qui ne souhaitaient pas de nouvelle réforme en profondeur après celle de 2009, et le volontarisme affiché par François Hollande. D'ailleurs, le projet initial que Thierry Repentin devait présenter à l'été prochain n'apparaissait manifestement pas aussi ambitieux que le bouleversement en profondeur de la formation professionnelle que le président a
appelé de ses voeux".

Ceci étant, ajoute-il, “ce qu'a dit le président est su depuis quinze ans. Les difficultés de notre système de formation continue sont connues au travers des nombreux rapports qui paraissent régulièrement et aboutissent toujours au même constat : les fonds
de la formation sont éparpillés entre une multitude d'instances qui, parfois, les considèrent comme une forme de propriété légitime sous prétexte que ces crédits sont d'origine paritaire", observe Michel
Clézio. Qui, en dépit du volontarisme affiché, doute que la future réforme remette en cause cette situation.

À l'en croire, les dossiers auxquels il faut s'attaquer “courageusement" sont nombreux : qu'il s'agisse de la gestion paritaire des fonds, des difficultés de gouvernance de Pôle emploi, impactant ses relations avec les acteurs de la formation, ou encore le transfert du service public de l'orientation aux Régions prévu dans l'imminent acte III de la décentralisation, “alors même que certaines n'ont pas fait démonstration de leur maîtrise du financement de la formation".

Benjamin d'Alguerre

OFFRE DE FORMATION : ATTENTION AUX “EFFETS D'OPTIQUE"

Alors que d'aucuns désespèrent à l'idée que l'annonce de François Hollande du 4 mars dernier ne mène qu'à une “énième réforme" de la
formation professionnelle, l'Afref [ 1 ]Association française de réflexion et d'échanges sur la formation, par la voix de son nouveau président, Fabrice Gutnik, sociologue d'entreprises, psychologue du travail et docteur en sciences de l'éducation, préfère se réjouir. Dans son discours de Blois, François Hollande a jugé qu'une offre de formation impliquant plus de 55 000 organismes devait être régulée. Fabrice Gutnik est d'accord, tout en enjoignant à la méfiance envers les “effets d'optique faussés". Dans certaines régions, indique-t-il notamment, l'offre et la demande de formation ne sont pas synchrones, souvent par manque d'organismes formateurs.
“Sur ces territoires, les acteurs politiques régionaux doivent impérativement, à l'aide d'un véritable pilotage politique, pousser les synergies entre les acteurs privés et publics (Afpa, services de formation continue des Universités, Cnam, etc.) afin de ne pas laisser sur le carreau les publics les plus fragiles."

Pour le sociologue, la réforme annoncée doit “s'inscrire dans l'esprit des objectifs de la loi de 1971 et de l'éducation permanente". Un
“esprit de 1971" qui doit se traduire par une montée en gamme de la qualité pédagogique et de l'accompagnement. “Ces exigences devront
amener à réfléchir sur les métiers de la formation, à commencer par celui de formateur, leur évolution et leur valorisation par le biais de la
certification, la promotion des initiatives innovantes et le partage des bonnes pratiques entre professionnels".

À ses yeux, “l'intérêt général implique de penser la formation aussi bien en termes citoyens, de culture générale, de besoins des territoires, qu'en termes économiques, et pas uniquement à titre personnel, sans quoi ce sont encore les sur-formés qui en bénéficieront, au détriment des publics en difficulté".

Autant de thèmes que l'Afref souhaite porter dans le débat à venir. C'est d'ailleurs pour cela que Fabrice Gutnik a rejoint le “Collectif des présidents" d'associations, piloté par Yves Attou. “Tout en respectant la place des partenaires sociaux dans les concertations, il est normal qu'une grande démocratie telle que la nôtre sache écouter la parole de la société civile."

Benjamin d'Alguerre

Notes   [ + ]

1. Association française de réflexion et d'échanges sur la formation