L'avant-projet de loi sécurisation de l'emploi prépare une transposition prudente de l'Ani du 11 janvier

Par - Le 16 février 2013.

L'accord national interprofessionnel du 11 janvier “compétitivité et sécurisation" va être transposé dans la législation. Suscitant l'inquiétude et la vigilance à la fois de ses signataires, au premier rang desquels le Medef, et de ses deux virulents opposants, la CGT et FO.

“Nous avons dû trancher et faire des choix concernant les points où l'accord du 11 janvier était ambigu, imprécis ou incomplet." C'est ce qu'a expliqué Gilles Gateau, directeur de cabinet de Michel Sapin, ministre du Travail, à l'occasion d'une conférence de presse tenue le 11 février pour présenter l'avant-projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi.

Celui-ci transpose l'Ani (accord national interprofessionnel) du 11 janvier 2013 − “pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité des entreprises et de la sécurisation de l'emploi et des parcours professionnels des salariés" − conclu par les partenaires sociaux mais non signé par la CGT ni par FO (L'Inffo n° 827, pp. 14-15), syndicats qui continuent à s'opposer au texte avec détermination.

Il s'agit bien ici d'un avant-projet de loi, qui peut évoluer, comme l'a souligné le directeur de cabinet. Il a été envoyé au Conseil d'État et doit être soumis à la consultation formelle d'organes tels que le CNFPTLV (Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie). Des consultations rapides toutefois, car le projet de loi finalisé doit être présenté au conseil des ministres le 6 mars prochain.

Compte personnel de formation

Ce devrait être l'innovation majeure de cette nouvelle réforme : l'article 2 de l'avant-projet prévoit la création d'un compte personnel de formation et d'un conseil en évaluation professionnelle, conformément aux articles 5 et 16 de l'Ani.

Le principe de création de ce compte personnel de formation sera posé à l'article L. 6111-1 du Code du travail, directement à la suite des grands objectifs du système de formation professionnelle. La loi ne réglera pas tout : les concertations prévues par l'Ani du 11 janvier, qui doivent associer les partenaires sociaux, les Régions et l'État, ainsi que les travaux en cours du CNFPTLV − puisque, pour rappel, le Conseil avait été saisi d'une réflexion sur un tel compte personnel avant même la conclusion de l'Ani −, préciseront les modalités de sa mise en œuvre.

D'ailleurs, plusieurs points-clés de cet Ani ne sont pas repris par l'avant-projet de loi. Ainsi du chiffrage des droits acquis par le salarié au titre du compte (20 heures par an dans l'Ani, non précisé dans l'avant-projet de loi). L'accord était aussi plus précis quant aux modalités : nécessaire accord de l'employeur, signature d'une convention de financement État-Régions-partenaires sociaux, etc. Ici encore, le gouvernement semble vouloir laisser à de futures négociations le soin d'arbitrer sur ces points.

Conseil en évolution professionnelle

Si l'objet du conseil en évolution professionnelle tel que prévu par l'avant-projet de loi est conforme à celui négocié par les partenaires sociaux dans l'Ani, le gouvernement précise qu'il a vocation à être mis en œuvre localement dans le cadre du service public d'orientation. L'accord, de son côté, prévoyait plutôt “une articulation avec les pouvoirs publics et les dispositifs tels que le service public de l'orientation".

GPEC

L'article 10 du texte (qui transpose l'article 15 de l'Ani), instaure une négociation, tous les trois ans, portant sur les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l'entreprise. La GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences) en est un volet à part entière. Sur ce point, la loi reprend telles quelles les dispositions de l'accord.

L'article 9, quant à lui, porte intégralement sur la GPEC en déclinaison de l'article 14 de l'Ani. Il vise à en améliorer les articulations :
• avec la consultation du comité d'entreprise sur les orientations stratégiques de l'entreprise et sur leurs conséquences sur l'évolution des métiers et des compétences (article 4 de l'avant-projet de loi, conformément à l'article 12 de l'Ani) ;
• avec la mise en place d'une négociation sur la mobilité interne (article 10 de l'avant-projet) ;
• avec la politique de formation professionnelle de l'entreprise, et en particulier avec le plan de formation, qui s'inscrira dans le cadre des orientations triennales négociées dans l'entreprise ;
• avec la politique de lutte contre la précarité, en intégrant à la négociation GPEC les perspectives de recours aux différentes formes de contrat de travail.
Si les partenaires sociaux ont souhaité que la question des contrats de génération soit abordée dans la négociation GPEC, l'avant-projet de loi n'en fait cependant pas mention.

Contrat de travail intermittent

L'article 18, qui reprend l'article 22 de l'accord, prévoit que les entreprises de moins de 50 salariés appartenant à trois secteurs (notamment celui de la formation professionnelle) pourront expérimenter le recours direct au contrat de travail intermittent.
Cif-CDD et POE

Enfin, les volets de l'Ani consacrés, d'une part, à la facilitation des mesures de préparation opérationnelle à l'emploi (POE) pour les demandeurs d'emploi, et, d'autre part, à l'accès des salariés de moins de 30 ans en CDD au congé individuel de formation ne sont pas repris dans l'avant-projet de loi.

Réforme de l'apprentissage : Thierry Repentin veut “davantage de paritarisme" dans la collecte

Ce sera “l'autre" réforme de la formation en 2013 : le projet de loi “alternance", annoncé pour le mois de juin (L'Inffo n° 827, p. 2). Thierry Repentin, ministre délégué chargé de la Formation professionnelle et de l'Apprentissage, a présenté ses pistes de travail à l'occasion d'un discours prononcé au siège de CCI France, le 12 février. Énonçant quatre principes : “Lisibilité, équité, démocratie sociale, responsabilité des entreprises."

Lisibilité, “parce que personne ne conteste que le système soit trop complexe, compréhensible par les seuls spécialistes, et très difficile à appréhender par les plus petites entreprises. En outre, le réseau des collecteurs est trop touffu, trop morcelé, trop concurrentiel", a affirmé Thierry Repentin, qui n'a jamais caché son souhait de diminuer le nombre d'Octa (organismes collecteurs de la taxe d'apprentissage), qui est de 144 aujourd'hui. Équité, aussi, parce que le mode de répartition de la taxe “génère des inégalités, notamment territoriales, qui ne peuvent perdurer". Les Régions dénoncent un système dans lequel les Octa de branche affectent leurs fonds libres aux CFA de leur branche et les Octa consulaires privilégient également leur propre réseau. Au sujet de la “démocratie sociale", Thierry Repentin a noté qu'une grande partie de la collecte échappait aujourd'hui au paritarisme. Et ce sont bien les Octa consulaires qui sont visés. Les CCI collectent environ un quart de la taxe. Le ministre a précisé ensuite que la réforme concernerait également la CDA (contribution au développement de l'apprentissage, 0,18 % de la masse salariale, reversée par l'Octa au Trésor public), qui alimente les Fonds régionaux de l'apprentissage. Enfin, Thierry Repentin a cité la “responsabilité des entreprises" parce que “ce sont bien les entreprises qui au bout du compte s'engagent en signant des contrats d'apprentissage. Il ne faut donc pas rompre leurs liens avec les lieux de formation".

L'accompagnement des apprentis

Thierry Repentin a également mis l'accent sur les questions d'hébergement, de logement et de restauration des apprentis. Il attache une grande importance au développement des projets de l'action “Formation en alternance et hébergement" du programme des investissements d'avenir, déployé par la Caisse des dépôts et consignations : près de 240 millions d'euros ont d'ores et déjà été mobilisés pour la mise en œuvre de 56 projets qui génèreront 12 000 places supplémentaires en apprentissage, pendant que 4 000 places d'hébergement seront construites, reconstruites
ou rénovées. L'accompagnement des apprentis sera un critère déterminant.

Le Medef demande une transposition fidèle de l'accord national interprofessionnel

Signataire de l'accord national interprofessionnel, le Medef estime, concernant l'avant-projet de loi transmis au Conseil d'État le 11 février, “que l'essentiel des dispositions concernant l'emploi et le marché du travail trouve à ce stade une traduction satisfaisante". Laurence Parisot, présidente du Medef, souhaite “que la loi traduise pleinement la lettre et l'esprit de l'accord du 11 janvier". Elle appelle “le gouvernement et le Parlement à respecter cette nouvelle étape de démocratie sociale". En d'autres termes, le Medef sera particulièrement vigilant aux suites législatives qui seront données sur la base de ce texte. D'ores et déjà, le syndicat patronal met en garde contre toute tentative de modifier sur les bancs de l'Assemblée l'accord âprement négocié par les partenaires sociaux, et signé par trois syndicats de salariés.

Claire Padych