L'individualisation et la gestion des âges s'imposent dans la relation formation-emploi

Par - Le 01 décembre 2013.

En partenariat avec le cabinet
conseil Facem et le Conseil
régional d'Île-de-France, l'Association
de réflexion et d'échange
sur la formation (Afref) organisait
le 13 novembre le colloque “Les
relations emploi-formation-santé :
le défi de la gestion des âges".
L'occasion de débattre sur l'évolution
du droit à la formation dans un
contexte marqué par l'individualisation
croissante de ce dernier,
désormais de plus en plus attaché
aux personnes et non plus à leur
seul statut.

Dans le cadre de la réforme des
retraites – encore en cours –
les partenaires sociaux sont
amenés à étudier la possibilité
d'un “compte pénibilité"
prenant en compte les métiers
jugés physiquement épuisants.
Voici quelques mois, entrait en
vigueur le contrat de génération,
censé assurer une meilleure
transmission entre seniors et
juniors. Auparavant, 2011 avait
vu la mise en oeuvre d'un plan de
lutte contre les discriminations
comprenant un volet consacré
aux questions d'âge, et de lois sur
le développement de l'alternance
et l'encadrement des stages.

En 2010, c'était la réforme des
retraites d'alors qui posait les
premiers jalons de la prise de
conscience de la pénibilité du
travail, là encore en tenant
compte de critères liés à l'âge…
Remonter plus loin reviendrait à
établir un inventaire à la Prévert,
mais force est de constater
qu'en matière de droits sociaux,
la tendance, depuis le début des
années 2000, est au renforcement
des liens intergénérationnels,
ainsi qu'à la prise en compte
des parcours professionnels, de
l'entrée sur le marché du travail
à la sortie. Et l'actuelle négociation
sur le compte personnel de
formation (CPF) et le conseil en
évolution professionnelle franchit
encore un degré dans la personnalisation
des droits sociaux.

Problématiques
“formation et santé"


Une évolution logique, selon
Fabrice Gutnik, le président de
l'Afref, puisque la plupart des
droits sociaux négociés au cours
des Trente Glorieuses – incluant
la réforme de la formation professionnelle
de 1971 – étaient
attachés à l'emploi en CDI.
Aujourd'hui, les gagnants, ce sont
ceux qui ont su – ou pu – s'adapter
aux conditions de flexibilité de
l'emploi. Quant aux autres…
“ce sont les presque 9 millions
d'analphabètes et d'illettrés,
les seniors, les décrocheurs, les
juniors qui entrent sur le marché
de l'emploi, les chômeurs qui
doivent attendre six mois pour
entrer en formation…".
À ce titre, les problématiques
d'emploi et de formation ne
sauraient exister seules, en
dehors des situations personnelles
des individus. Déjà en 1986,
la spécialiste de l'enseignement
Lucie Tanguy, du CNRS, s'interrogeait
sur L'introuvable relation
formation-emploi, dans l'ouvrage
collectif éponyme.

Aux deux extrémités
du spectre des âges


Si les questions de tutorat et
d'insertion des juniors dans
l'entreprise sont de plus en plus
présentes dans le débat public,
“les PME peinent à conserver
les jeunes qu'elles recrutent",
soulignait Louiza Mezreb, la
directrice générale du groupe
Facem, organisme de conseil
et de formation en performance
sociale. Au point, parfois,
de voir les compétences se
perdre, comme c'est le cas dans
certaines industries du cuir ou
du textile.

À l'autre bout du spectre, les
seniors, qui s'étaient vu reconnaître,
en 2010, des droits
tenant compte de la pénibilité
de l'emploi qu'ils avaient exercé
dans leur entreprise… s'en sont
surtout servi pour la quitter. “Ces
droits n'étaient alors reconnus
que sous l'angle purement
réparateur et ne se sont souvent
concrétisés que par la retraite
anticipée", a regretté Bertrand
Libert, médecin du travail.
Une erreur qui pourrait bien se
voir corrigée par la négociation
d'un “compte" traduisant ce
caractère pénible par l'ouverture
de droits à la formation
pour connaître des évolutions
de carrière, ou par la possibilité
d'exercer à temps partiel. “Que
feront les salariés de ce compte ?
S'en serviront-ils pour racheter
des trimestres ou l'utiliseront-ils
pour se former ou se maintenir
plus longtemps dans l'entreprise,
même à temps partiel ?",
s'interrogeait le médecin. Et
surtout, le mobiliseront-ils ? En
2010, on estimait que près de
20 000 seniors par an auraient
pu faire valoir la pénibilité de
leur emploi. En 2012, seuls 6 000
l'avaient fait.

Une information
sur l'offre “homogène,
lisible et universelle"


Mais dans un monde aussi
marqué par l'individualisation du
droit à la formation, le public est
en droit d'attendre une information
de qualité et remise à jour
en permanence. Une exigence
à laquelle certaines structures
régionales ont déjà répondu en
mettant en place des annuaires
d'information en ligne sur l'offre
existante.

Toutefois, avec 2 % d'actifs
changeant de région chaque
année, l'existence d'une base
de données nationale et structurante
pourrait permettre une
adéquation accrue entre les
besoins des particuliers et les
nouveaux droits (CPF et conseil
en évolution professionnelle) qui
leur seront bientôt ouverts.
“Une base de données comme
Dokélio, alimentée par les Carif-
Oref, mais aussi l'Apec, Pôle
emploi ou encore l'Agefiph,
permettrait de rendre ces droits
effectifs et non pas simplement
théoriques, a indiqué Julien
Veyrier, directeur de Centre Inffo,
maître d'oeuvre du projet Dokélio.
Les mutations économiques et
l'individualisation des droits
provoquent déjà une croissance
phénoménale des besoins en
formation tout au long de la vie et
impliquent donc l'existence d'une
information homogène, lisible et
universelle."

À condition, toutefois, que les
nouveaux droits qui naîtront
de la discussion des partenaires
sociaux et l'existence de
nouveaux outils relatifs à l'information
sur l'offre soient suffisamment
“publicisés".

En effet, à en croire Fabrice
Gutnik, en 2012, seuls 53 % des
actifs avouaient “avoir entendu
parler" du Dif, alors que celui-ci
existe depuis dix ans déjà. “Sur
ce plan, la mobilisation du service
public de l'emploi et des services
régionaux de l'orientation sera
indispensable", a précisé le
président de l'Afref.

Un “moment
historique"


À l'heure où la négociation sur la
formation entre dans la dernière
ligne droite du calendrier, le
colloque de l'Afref ambitionnait
de jeter des passerelles entre
les représentants des salariés et
ceux des employeurs.

“Cette négociation est un moment
historique, confiait Fabrice Gutnik,
celui qui permettra peut-être de
repenser les droits sociaux dans
leur ensemble, en imaginant le
niveau de protection sociale susceptible
de les garantir, comme
l'avait fait le Conseil national de
la Résistance en 1945".