La formation professionnelle aux États-Unis
Par Knock Billy - Le 16 janvier 2013.
La main-d'œuvre qualifiée, clé de la “réindustrialisation"
Y aurait-il quelques points communs entre les systèmes de formation français et américain ?
Il n'y a pas grand-chose de commun entre les systèmes de formation professionnelle en France et aux États-Unis, si ce n'est le caractère inégalitaire de l'accès à ces dispositifs. Alors que le système de formation professionnelle est considéré en France comme “le jardin du paritarisme", avec néanmoins une régulation partagée entre l'État et les partenaires sociaux, ni le gouvernement fédéral ni l'AFL-CIO [ 1 ]American federation of labor - Congress of industrial organizations
(principal regroupement syndical). et encore moins les associations d'employeurs aux États-Unis, n'ont de pouvoir régulateur en la matière. Ce pouvoir a été délégué aux États, lesquels gèrent les fonds de la formation professionnelle, fixent les standards de qualification à leur échelle, etc.
En France, le système de formation professionnelle est marqué par une forte implication des syndicats de salariés et d'employeurs au niveau national, même si les Régions sont montées en puissance depuis les années 1990. Aux États-Unis, il est plus fragmenté et moins développé, du fait de la faible implication des organisations patronales, hormis dans quelques secteurs, comme celui de la construction, qui attire 80 % des jeunes en formation par apprentissage. Il faut rappeler qu'ici, il n'y a pas d'organisation qui fédère (et négocie au nom de) tous les employeurs au niveau national, comme c'est le cas en France, avec le Medef, la CGPME ou l'UPA. Paritaire, le système français de formation professionnelle est piloté par les organisations syndicales et patronales qui adoptent des accords interprofessionnels, repris par la loi, collectent et gèrent une partie des fonds qui lui sont destinés. Aux États-Unis, ce sont les États et les entreprises qui ont la capacité d'initiative, du fait du caractère très décentralisé du système.
La mutualisation des coûts de la formation n'est donc pas
une préoccupation des acteurs ?
Les employeurs américains n'ont pas opté, à l'instar de leurs homologues français, pour une mutualisation du financement de la formation professionnelle (obligation de financement de l'entreprise, variable selon la taille). Face à un taux élevé de turn-over, les entreprises ont privilégié plutôt une politique de formation “just in time" (juste à temps), qui leur permet d'acquérir les compétences adaptées aux besoins des postes de travail, et en attendent un retour immédiat sur investissement. C'est le “chacun pour soi". Difficile pour un employeur d'envisager de financer la formation d'un salarié dont les compétences profiteraient à un autre (free rider). L'entreprise donne les moyens au salarié de travailler pour elle et rien que pour elle seule. Le système de formation aux États-Unis est donc à l'image du pays : très libéral.
Si les dispositifs fédéraux permettent à tous les citoyens de se former en vue d'une réinsertion professionnelle, les entreprises américaines n'investissent donc que pour la formation exclusive de leurs collaborateurs.
Même dans le cadre d'une réflexion de “réindustrialisation"
et de création de nouveaux emplois industriels ?
Quand bien même les entreprises participent au financement de la formation de leur main-d'œuvre, elles le font avec parcimonie. Ainsi par exemple, bien que les entreprises de haute technologie (informatique, logiciels, etc.) se disent confrontées à un déficit de main-d'œuvre, elles préfèrent recourir à des travailleurs qualifiés étrangers (ingénieurs, notamment), dans le cadre d'une immigration de travail (visas temporaires ou H-1B visas), en faisant pression auprès du Congrès en faveur d'une hausse de leur quota [ 2 ]Environ 65 000 par an., plutôt que d'œuvrer à l'amélioration du système d'éducation et de formation professionnelle.
Un des avantages, pour elles, étant l'accès à un réservoir mondial de main-d'œuvre qualifiée dont ni elles ni le gouvernement fédéral ou les États n'ont à supporter le coût de l'éducation ou de la formation. Cette situation est d'ailleurs vivement critiquée par les syndicats, qui prônent un engagement renforcé des entreprises dans la formation des salariés.
Barack Obama a-t-il annoncé une action sur ces questions ?
On peut s'attendre à des initiatives de la part du président réélu pour un second mandat sur les questions de l'immigration (visas temporaires notamment) et de la formation professionnelle. Sa volonté de redynamiser l'industrie américaine devrait logiquement le conduire en effet à s'attaquer au problème de la pénurie de main-d'œuvre qualifiée, donc à renforcer les dispositifs de formation professionnelle.
Il devrait donc continuer d'œuvrer au rapprochement des programmes de formation professionnelle du ministère du Travail (Department of Labor), et de ceux mis en œuvre par le ministère de l'Éducation, comme il a tenté de le faire ces dernières années, malgré l'opposition systématique des républicains.
L'“American jobs act" proposé précédemment ne visait-il pas
le même objectif ?
Dans ce programme, Barack Obama souhaitait le développement
des compétences et des emplois : construction de routes, d'aéroports
et de voies ferrées, retour à l'emploi des vétérans (anciens combattants) et des chômeurs, modernisation des établissements de formation, etc. Mais il faut reconnaître que très peu de dispositions de ce programme ont été adoptées, du fait d'un blocage de toutes ces initiatives par un Congrès plus divisé idéologiquement que jamais.
L'ambition du gouvernement Obama de relancer l'économie américaine, donc l'emploi, en s'appuyant sur la formation professionnelle, s'illustre notamment dans sa proposition de loi budgétaire 2013. Celle-ci vise à renforcer les moyens financiers des community colleges, établissements de formation technique et professionnelle qui constituent la première marche du système éducatif pour des publics défavorisés (en échec scolaire ou à bas revenus). L'objectif est clairement de renforcer les liens de ces établissements avec les entreprises et les secteurs d'activité demandeurs d'emploi, notamment l'“industrie manufacturière avancée" (haute technologie, etc.). Il s'agit aussi de renforcer les moyens d'action de ces établissements, de les inciter à adopter une culture de résultats, en les encourageant à accompagner efficacement vers l'emploi ces publics très fragilisés. La création d'un fonds spécifique destiné à renforcer les liens entre les community colleges et les entreprises participe clairement de cette politique.
Créé en 2000 dans le cadre du Programme fédéral d'emploi et de formation, le compte individuel de formation (Individual training account, ITA) vise à mieux concilier efficacité et équité en promouvant l'initiative individuelle.
Ce dispositif a été mis en place dans le cadre du Workforce investment act (WIA) voté en 1998, politique d'emploi fédérale qui prévoit que les services de formation ne soient plus délivrés qu'à travers ces comptes, à l'exception des actions de formation en entreprise, ou “sur mesure". L'objectif étant de mieux “responsabiliser l'individu dans le choix de sa formation et de son prestataire, en lui donnant les moyens d'être un « consommateur » avisé de formation", explique Coralie Perez, chercheuse au centre d'économie de la Sorbonne.
Pour les dislocated workers
L'accès à ce dispositif est réservé aux bénéficiaires des programmes d'emploi et de formation fédéraux destinés aux adultes et/ou aux demandeurs d'emploi suite à un licenciement (dislocated workers). Au total, neuf titulaires de ce compte sur dix sont sans emploi. Sont exclus du champ des bénéficiaires la plupart des salariés en emploi. Vues les ressources limitées allouées au dispositif, “les services sont hiérarchisés et la formation est une action proposée en dernier recours".
Financé par l'État fédéral, le dispositif est déployé sur l'ensemble du territoire. Cependant, sa mise en œuvre (notamment sur le montant, les contraintes sur le choix de la formation, ainsi que les services associés), assurée par les conseillers des agences locales pour l'emploi (one stop centers ou worforce agency), varie selon les États.
La valeur modale allouée au compte individuel de formation est de 5 000 dollars, qui permettent au titulaire d'“acheter" des actions de formation. Celles-ci doivent “correspondre à des emplois disponibles sur le marché local du travail", répondre à des exigences en termes de coûts imposés par l'État ou la zone d'emploi (workforce investment areas) dont dépend le bénéficiaire, et choisies parmi une liste de prestataires éligibles arrêtée par l'État (eligible training providers). Sont exclues du champ des formations éligibles celles réalisées dans l'entreprise (on-the-job training) et/ou pour l'adaptation à un poste de travail (customized training).
Le compte est plutôt conçu comme un bon (voucher), et le montant non dépensé pour la formation sur la période déterminée est repris. “Il n'y a clairement pas d'incitation à épargner", rappelle Coralie Perez. Qui ajoute : “Dans les pays ayant mis en place ce dispositif, la logique sous-jacente au compte individuel de formation renvoie de façon plus large à la problématique de l'État social actif1 et à l'objectif central d'empowerment des individus".
Coralie Perez a étudié, avec Jérôme Gautié, les expériences de comptes individuels de formation aux États-Unis, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas (“compte individuel de formation : fondements et enseignements"). Elle a également collaboré à une “Étude comparée
sur le développement des dispositifs individuels dans les politiques
de l'emploi" réalisée par le Centre européen d'expertise en évaluation (Euréval) pour le compte du Centre d'analyse stratégique (CAS).
Notes
1. | ↑ | American federation of labor - Congress of industrial organizations (principal regroupement syndical). |
2. | ↑ | Environ 65 000 par an. |