Le Fongecif Bretagne mobilisé contre l'illettrisme
À Rennes, le 11 décembre dernier, le Fongecif Bretagne organisait un premier colloque consacré à la lutte contre l'illettrisme dans une Région que l'on pensait alors préservée contre cette problématique. L'occasion, pour son président, Michel Rollo, de signer une première charte de partenariat, avec l'ANLCI.
Par Benjamin d'Alguerre - Le 01 janvier 2013.
À en croire les statistiques, le problème de l'illettrisme semble bien loin des préoccupations des acteurs de la formation professionnelle en Bretagne. Car, avec des résultats exemplaires au baccalauréat et un taux d'illettrisme de 3,1 % [ 1 ]Informations remontées à partir des données obtenues lors des Journées Défense citoyenneté (JDC) et des statistiques de l'Éducation nationale en Bretagne. (contre une moyenne nationale de 4,2 %), on ne relève qu'un peu plus de 150 000 illettrés dans cette Région qui a plutôt bien résisté à la crise grâce à un secteur agro-alimentaire construit autour d'entreprises familiales. Une terre privilégiée, la Bretagne ? C'était du moins le cas jusqu'en 2011 et l'annonce de plusieurs plans sociaux au sein d'un secteur jusqu'alors épargné avec, en sus, le cas “hyper-révélateur" de Doux-Cœur de Bretagne, lorsqu'il s'est avéré que sur 426 salariés licenciés… la moitié était en situation d'illettrisme !
“Les bons chiffres généraux avaient occulté la réalité de l'illettrisme d'un nombre non négligeable de personnes de plus de 45 ans, ainsi que l'existence de bassins locaux, dans les Côtes d'Armor ou le Morbihan, au sein desquels la situation était alarmante", a expliqué Sylvie Tiercin Le Meur, chargée de mission régionale illettrisme. Une situation d'autant plus préoccupante alors que le Centre de ressources sur l'illettrisme avait été supprimé par les services de l'État.
“En juin 2010, le Fongecif Bretagne avait répondu à un appel à projets du FPSPP pour établir un projet de développement des formations aux savoirs de base", a rappelé Michel Rollo, le président du conseil d'administration du Fongecif. Un programme entièrement financé par le Fonds paritaire à hauteur d'1,4 million d'euros qui aura permis à près de 150 personnes d'entrer dans un cycle d'apprentissage des compétences clés au titre du congé individuel de formation. “150 personnes, c'est peu…, a admis Dominique Crochu, le directeur du Fongecif Bretagne, mais c'est beaucoup si l'on se souvient qu'avant le lancement de ce dispositif, le nombre de personnes à entrer en formation sur les savoirs de base n'était, en moyenne, que de trois par an."
Et si le Fongecif s'est particulièrement impliqué (aux côtés d'Opcalia et de son programme “1001 Lettres", ou d'Agefos-PME qui a mobilisé son dispositif “DécliCC" dans la région), c'est parce que le choix du congé de formation paraissait le plus pertinent compte tenu des objectif. “Un Cif permet de concevoir un parcours de formation hors temps de travail de 400 heures, nécessaire à l'acquisition de telles compétences. Pris sur le temps de travail, le même cycle ne pourrait excéder une quarantaine d'heures, ce qui est insuffisant."
Des financements inadaptés aux réalités concrètes
Demeure toutefois l'écueil du mode administratif du financement des politiques de lutte contre l'illettrisme, dont la nature peut constituer un frein au déploiement des dispositifs nécessaires aux volumes de personnes à former. Anne Vinérier, docteure en sciences de l'éducation et responsable du mouvement de formateurs La chaîne des savoirs, l'aura regretté : “Le mode de subvention existant répond encore à des appels d'offres réglementés par le Code des marchés publics. Actuellement, cette façon de procéder est inadaptée aux besoins du public, qui a besoin de structures stables et de tisser des liens de confiance avec le pédagogue. Le modèle tel qu'il existe aujourd'hui exclut, de fait, certains individus". À ses yeux, en effet, “les illettrés n'accèdent pas davantage à la formation qu'il y a trente ans". Une affirmation corroborée par Hervé Fernandez, directeur de l'Association nationale de lutte contre l'illettrisme, venu au colloque signer la charte d'engagement “Illettrisme : grande cause nationale 2013" avec Michel Rollo (voir encadré) : “Les formations aux savoirs de base touchent essentiellement des migrants non-francophones ou des analphabètes pour qui l'on peut déployer des pédagogies basées de type français-langue étrangère (FLE). En comparaison, le public en situation d'illettrisme accède moins à la formation."
Pour Georgette Bréard, vice-présidente du Conseil régional en charge des questions de formation, la disparition du Centre de ressources contre l'illettrisme a fortement contribué à la difficile identification des illettrés bretons. “Nous travaillons avec les associations, les missions locales ou d'autres structures de terrain, mais à l'heure où l'on évoque un accroissement des compétences régionales en matière de formation, la Bretagne manque d'un coordinateur de cette nature", a-t-elle regretté.
Renforcer les partenariats, mutualiser les forces
Si les compétences des Régions se verront accrues par le troisième acte de la décentralisation, l'éventualité de voir l'État réglementer par décret en matière de compétences-clés a été débattue. Hervé Fernandez désapprouvant cette option : “L'illettrisme n'est pas l'affaire d'un seul acteur, fût-il l'État. En Régions, cette problématique nécessite la mobilisation de nombre d'acteurs : les Rectorats, les Opca, les Opacif, les associations, les Missions locales, les CIO, les partenaires sociaux, le service public de l'emploi et les services de l'État. Tous doivent agir en concertation, en fonction de leurs compétences."
Plusieurs initiatives ont ainsi vu le jour en Bretagne : si le Fongecif a choisi de former ses propres collaborateurs (tant en contact avec le public qu'avec les entreprises ou les Opca) à la question de l'illettrisme, le Gref (Gip emploi-formation régional) continue de déployer sa plateforme en ligne en direction des acteurs de la formation.
Quant à la CGT régionale, elle a fait de cette lutte l'un des axes majeurs de la politique de formation de ses délégués syndicaux pour 2013. Et d'ailleurs, si les acteurs de la lutte contre l'illettrisme saluent l'implication de l'ensemble des partenaires sociaux (syndicaux ou patronaux) sur cette question, ils ne se sont pas moins reconnu satisfaits de voir le spécialiste de la question à la centrale de Montreuil adoubé pour en devenir le futur numéro 1. “La voix de Thierry Lepaon en matière de lutte contre l'illettrisme est importante. Il a défendu cette cause au Conseil d'orientation pour l'emploi et au Conseil économique, social et environnemental. De plus, il soutient notre projet de grande cause nationale 2013 !", s'est félicité Hervé Fernandez.
Mais pour l'heure, en Bretagne, le Fongecif poursuit son action de formation et d'information en renforçant les partenariats et mutualisant les forces en présence. “Heureusement, les entreprises adhérentes du Fongecif Bretagne sont particulièrement impliquées et notre Région possède une forte tradition de paritarisme, ce qui constitue un atout dans cette lutte", a souligné Michel Rollo. Et concernant les résultats très concrets des programmes déployés, c'est probablement Gérard L. [ 2 ]À sa demande, son anonymat a été préservé. , illettré pendant trente-cinq ans, qui en aura le mieux témoigné. “Je me suis tu pendant des années et ça ne m'a rien apporté. Aujourd'hui, c'est tout le contraire ! J'aime lire, j'ai repris une formation sur les savoirs de base mise en place et financée par le Fongecif, j'ai des projets et… je lis le dictionnaire tous les jours !"
Illettrisme : grande cause 2013 ?
En apposant son paraphe au bas de la charte élaborée par l'ANLCI, Michel Rollo aura fait du Fongecif Bretagne dont il préside le conseil d'administration, le 62e partenaire de l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme. Une charte qui entend “réaffirmer la place de la prévention et la lutte contre l'illettrisme au cœur de ses priorités d'action", “piloter une campagne d'information et un programme d'actions autour d'un message positif et valorisant" ou “donner à tous les chiffres et données nécessaires pour réaffirmer la nécessité de partager les tâches et les moyens". Mais aussi promouvoir la cause défendue par l'ANLCI auprès du Premier ministre afin de faire labelliser par celui-ci la lutte contre l'illettrisme en tant que “grande cause nationale pour 2013", puisque l'Agence compte mettre en ligne un site dédié, mais aussi organiser une série d'événements qui courront sur l'ensemble de l'année. Par ailleurs, l'ANLCI publiera, dès le début 2013, les nouveaux chiffres de l'illettrisme en France, obtenus à partir de l'enquête Insee lancée en 2011. Parmi les promoteurs de l'opération “Illettrisme : grande cause 2013", on trouve d'ores et déjà le Cese, le Conseil d'orientation pour l'emploi, alors que la ministre délégué à la Réussite éducative, Marie-Pau Langevin, s'est déclarée “à titre personnel" favorable à l'initiative.
Notes
1. | ↑ | Informations remontées à partir des données obtenues lors des Journées Défense citoyenneté (JDC) et des statistiques de l'Éducation nationale en Bretagne. |
2. | ↑ | À sa demande, son anonymat a été préservé. |