Le “funny learning", parce que l'émotion stimule l'attention

Par - Le 16 juillet 2013.

Davantage une ambiance de Club Med,
voire de préau, que de salle de cours. Briques
de Lego et crocodiles Haribo sur les tables.
Rythmes afro-cubains en fond sonore. Et
pourtant, c'est bien en vue de se former que
la vingtaine de stagiaires présents dans la
pièce décorée de kakémonos en papier crépon
se sont déplacés.
Volonté d'infantilisation des stagiaires ?
“Plutôt de recréer un contexte de salle de
classe conviviale, sexy, sympa, et jouer avec
l'émotionnel des participants", rétorque
Brigitte Boussuat, la formatrice en charge
de l'animation de la session de formation.
Experte en conduite du changement au sein
de son cabinet, Advance Conseil1, c'est
elle qui a forgé le concept de “funny learning"
– marque déposée ! La séance du jour
constitue précisément une démonstration
pratique. Le fait est qu'une fois la circonspection
initiale passée, la formule semble
fonctionner.

Détourner les règles... pour les appliquer

En fin de journée, alors que les heures
s'étirent, que l'inattention et l'impatience
se font sentir, les stagiaires tendent à manipuler
spontanément les petites briques de
couleur entre leurs
mains plutôt que
consulter leurs textos
en douce. Ou se loger
un carambar entre les
dents, plutôt que de multiplier
les allers-retours
jusqu'à la machine à
café, au mépris du discours
du formateur.
“La partie « fun » de la
méthode permet d'influencer
positivement le
comportement des stagiaires
et de détourner
les règles habituelles
d'une session de formation,
pour les obliger
à les respecter. Par
exemple, imposer un gage à un stagiaire
dont le téléphone sonne durant le cours
plutôt que de lui ordonner de l'éteindre
de façon autoritaire contribue à maintenir
une ambiance propre à l'apprentissage et
à ne pas braquer le fautif contre le formateur",
explique Avelina Martin-Calvo, coach
spécialisée dans le management RH interculturel
et adepte de la méthode depuis
près de deux ans. Et de son aveu, même
les plus réticents, entraînés par l'effet
de groupe, finissent par se prendre au
jeu et à s'impliquer dans le processus
pédagogique, absorbés par sa déclinaison
ludique. En revanche, “le piège serait
que le formateur lui-même oublie que
personne n'est là pour jouer, mais pour
étudier, et que le ludique n'est ici qu'un
moyen", précise la consultante. Même le
fun exige du sérieux.

Pour ceux qui avaient du mal avec l'école

Aux yeux de certains praticiens, ce style
de formation correspondrait aux desiderata
“d'une génération Y habituée à papillonner,
à consommer l'entreprise autant que l'entreprise
la consomme et dont le rapport à
l'autorité s'associe mal avec des pratiques
formatives calquées sur le modèle scolaire",
comme le souligne Anne Courjeault, responsable
service assistance au sein de Ciel
(filiale du groupe informatique Sage), qui
a contribué à populariser la méthode chez
les techniciens informatique et les hotliners
de la maison-mère.
Mais à en croire la conceptrice du dispositif,
les “adulescents" turbulents de la digital
generation ne constituent pas le seul public du
funny learning. “De manière générale, cette
stratégie pédagogique – qui s'appuie sur
les dernières recherches des neurosciences
– concerne tous ceux dont le rapport avec
l'enseignement initial s'est révélé difficile,
qui souffrent à l'idée de retourner
dans une salle de cours, persuadés d'être
incapables d'apprendre." Autant d'appréhensions
que le recours au fun se propose
de lever, particulièrement en permettant
d'oublier l'ambiance potentiellement
oppressante de la salle de formation pour y
substituer un environnement favorisant les
échanges entre stagiaires et donc la transmission
des connaissances.
Quant au côté ludique des sessions formation,
il aurait également des vertus pour la
mémorisation, selon Claire Trevisani, formatrice-
consultante en management et communication
interpersonnelle associée de
Brigitte Boussuat. “On se rappelle toujours
des moments d'émotion. Et en créant cette
émotion, on stimule la mémoire de l'apprenant
sur les enseignements dispensés lors
de la formation."

Fun et FOAD

Néanmoins, le fun n'est pas l'apanage du
présentiel. Et la directrice d'Advance Conseil
a choisi de décliner le concept en ligne, par
le biais d'un outil blended learning, “Know-
Futures", dédié à l'identification du profil
comportemental des joueurs-apprenants et
au développement de leurs compétences
relationnelles selon la méthode 4 Colors
(voir encadré), créée par Brigitte Boussuat
voici une dizaine d'années. “Know-Futures",
à l'oreille, on croirait entendre le slogan
punk popularisé en 1977 par les Sex Pistols.
À l'écrit et à l'écran, le double-sens de
l'expression veut titiller la curiosité et, de
là, faire sourire. Du fun dans le e-learning ?
On croyait le créneau déjà occupé par les
serious games, mêlant déjà les deux concepts.
“Faux ! Utilisés isolément, les jeux sérieux,
comme d'ailleurs le tout-présentiel ou le
tout-digital, ont montré leurs limites",
insiste la consultante.

Why so serious ?

Trop de “serieux" et pas assez de “jeu" ?
C'est son constat. Les jeux sérieux le sont
trop. Sans compter que, conçus sur mesure
pour répondre aux problématiques particulières
des acheteurs, ils sont rarement
modulables et déclinables pour d'autres
structures, contrairement à ce qu'ambitionne
Know-Futures. L'outil constitue le
résultat de trois années de maturation.
D'ailleurs, en 2010, Brigitte Boussuat et
Claire Trevisani avaient déjà oeuvré ensemble
sur un premier projet, “MyGalaxyz", dont
le coût final – près d'un million d'euros,
alors – avait empêché la concrétisation.
“On avait vu trop gros…", regrette la seconde.
Mais en 2011, c'est le dossier “Know-
Futures" sous le bras que la directrice
d'Advance Conseil est allée frapper, six mois
durant, à la porte des principaux concepteurs
de serious games français – KTM Advance,
E-Doceo ou encore Daesign – pour que son
projet devienne réalité. Sans succès, ces
derniers étant trop focalisés sur leur propre
conception des contenus pédagogiques. “Si
je les avais écoutés, je ne serais plus chez
moi, mais chez eux, enfermée dans leur
architecture", résume-t-elle.

Conçu pour être adapté

D'où l'idée de s'associer à un studio de
création de jeux vidéo Actiplay – concepteur
de jeux marketing en ligne – pour produire
l'emballage graphique de l'outil. Outil modulable
dont l'utilisation est susceptible de
correspondre tant aux compétences comportementales
de managers anxieux que de demandeurs
d'emploi en perte d'estime d'euxmêmes,
de salariés de TPE ou de grands
groupes, puisque les “briques" de formation
sont conçues pour être adaptées aux besoins
de l'acheteur, en fonction de ses publics.
L'originalité n'est pas tant l'habillage
vidéoludique – quoique le contexte orienté
“science fiction" y participe – que dans la
possibilité de mélanger vidéos, fiches pratiques
à consulter, tests de compétences
personnelles, “radar" sur les résultants de
la personnalité du joueur et possibilité de
recourir, sous 48 heures, à un coach via
Skype ou webcam. “Know-Futures", projet
e-learning “3.0", continue sa séquence bêtatest
durant tout l'été, en prévision d'une sortie
officielle à la rentrée.

“QUATRE COLORS DANS LE VENT"

Méthode d'analyse comportementale, 4 Colors dessine “une boussole"
du comportement des individus selon leur attitude, qu'ils soient
“bleus" (“distants, logiques et factuels"), “rouges" (“rapides, décidés,
énergiques"), “verts" (“attentionnés, stables, coopérants" ) ou “jaunes"
(“optimistes, enthousiastes, communicants"). Le modèle n'est cependant
que généraliste, les couleurs n'étant que dominantes et pouvant varier en raison du
contexte. Donnant lieu à une certification, cette méthode a déjà séduit plus de 148 coachs,
formateurs et responsables RH, qui font désormais partie d'un réseau dédié aux nouvelles
pratiques pédagogiques s'étendant sur une douzaine de pays.

Manager avec les couleurs, Brigitte Bossuat, Patrick David et Jean-Marie Lagache.
Dunod éditeur (réédité en 2013).