Pourquoi la négociation formation s'est grippée

Par - Le 15 décembre 2013.

Ce dernier trimestre 2013 aura été marqué par la négociation sur la formation bien sûr, mais aussi
par d'autres annonces qui l'ont impactée, dont le rapport remis fin octobre à Michel Sapin par Jean-Denis
Combrexelle, directeur général du travail, sur la réforme de la représentativité patronale. Du reste, la
négociation s'est grippée lors de la séance du 5 novembre1. Car les conséquences potentielles dépassent
largement le seul champ des dispositifs formation.

Aux dires des négociateurs
patronaux à l'issue de la
séance de négociation du
5 décembre sur la réforme de
la formation professionnelle, ni
la remise, le 23 octobre dernier, du
rapport Combrexelle, ni l'annonce par
le ministre du Travail, le 14 novembre,
de la fin du financement des partenaires
sociaux par le biais de fonds
collectés au titre de la formation ne
constituent des éléments susceptibles
de faire achopper les discussions en
cours. Pour Florence Poivey, négociatrice
pour le Medef, l'unique objectif
de la négociation consiste à “donner
naissance à une réforme gagnante pour
tous et par tous". Aucune réserve non
plus de ala part de Geneviève Roy,
vice-présidente de la CGPME, pour
qui la question du financement de son
organisation par le biais des fonds de
la formation est une “affaire réglée"
(cf. ci-dessous). Seul Stéphane Lardy,
le secrétaire confédéral en charge de
l'emploi et de la formation professionnelle
de FO, reconnaissait bien
volontiers que l'arrivée simultanée de
ces trois sujets concomitants relevait
d'un “mauvais timing".

Qui a le plus à perdre ?

Difficile, cependant, d'imaginer que ces
questions soient totalement absentes
des esprits, particulièrement pour la
CGPME, qui aurait beaucoup à perdre
d'une réduction des fonds mutualisés de
la formation (près de 5 millions d'euros
issus de l'Agefos-PME contribuent au
financement de la Confédération des
petites et moyennes entreprises) ou
d'une redistribution des cartes de la
représentativité dans certaines branches
professionnelles.

On se souvient qu'en 2011, s'agissant de
représentativité de branches, la CGPME,
dans un communiqué commun publié
avec l'Usgeres (aujourd'hui Udes, organisation
patronale de l'économie sociale
et solidaire), avait émis le souhait que
seule une organisation réunissant plus
de 8 % des suffrages exprimés lors de
la mesure de l'audience puisse postuler
à la représentativité au plan national
interprofessionnel. Et avait ouvert la
possibilité pour celles ne dépassant pas
le seuil des 5 % de s'apparenter à une
structure répondant à ce critère pour
mettre leurs voix en commun. “Pour
marquer son désaccord avec cette proposition,
l'UIMM, adhérente à la fois
au Medef et à la CGPME, a décidé de
suspendre le versement de ses cotisations
à la seconde, la privant ainsi de 9 % de
ses ressources financières…", se souvient
Jean-Pierre Le Crom, historien du droit
et spécialiste du paritarisme à la Maison
des sciences de l'homme de l'Université
de Nantes [ 1 ]Auteur en 2011 d'un rapport pour la Dares dans lequel
il préconisait pour sa part un seuil de 15 %
des suffrages pour prétendre à la représentativité.
.

Le rapport de Jean-Denis
Combrexelle


8 % d'entreprises adhérentes à jour de
cotisation, c'est d'ailleurs le seuil retenu
par Jean-Denis Combrexelle dans son
rapport pour reconnaître le caractère représentatif
d'une organisation patronale
au sein d'une branche professionnelle.
Un seuil qui, aux yeux de l'universitaire
nantais, reste toutefois subjectif, du fait
de la possibilité de multi-adhésions (une
même branche pouvant appartenir à
plusieurs confédérations patronales), mais
aussi de la prise en compte de l'effectif des
entreprises adhérentes et de leur chiffre
d'affaires dans la mesure de leur “poids"
réel.

“L'administration a du mal à évaluer la
représentativité, souligne Jean-Pierre
Le Crom, et depuis les années 1980, elle
tend à considérer représentatives des organisations
de branche qui ne répondent
pas aux critères fixés en matière d'effectifs,
mais qui font preuve de bonne volonté
pour participer aux négociations collectives.
Aujourd'hui, le rapport Combrexelle suggère
de que l'administration soit déchargée de la
mission de l'évaluation de la représentativité
au profit de commissaires aux comptes…
Disposeront-ils de davantage de moyens de
mesure ? Je n'en suis pas sûr". Pour toutes
ces raisons, l'historien du droit s'inquiète
peu pour l'avenir de la représentativité des
trois principales organisations patronales,
alors que l'interdiction d'adhésions
multiples, comme suggérée par l'ancien
député Nicolas Perruchot
entrerait en violation de la liberté d'association
reconnue par la Constitution...
Question finances, en revanche, la
coupure avec les fonds de la formation
pourrait contraindre les mouvements
patronaux à un régime drastique, même
si le ministre du Travail a évoqué la possibilité
d'un financement public au travers
de subventions, à l'image de ce qui existe
pour les partis politiques. “Cela reviendrait
à entacher d'illégitimité la gestion des fonds
du paritarisme par les partenaires sociaux,
alors qu'ils le font par délégation de l'État",
observe Francis Kessler, professeur de
droit à Paris-1 Panthéon-Sorbonne.
Et quant à l'idée de faire financer le
dialogue social par l'impôt, “cela nécessiterait
que les organisations présentent des
justificatifs de dépenses à l'administration au
titre de leurs frais afférents à cette gestion…
et puis, sur quels budgets de l'État prélèverait-
on la part du financement des partenaires
sociaux ? Il est dommage qu'autant de
sujets convergents aient été posés sur la table
sans réflexion de fond".

B. d'A.

Auteur en 2011 d'un rapport pour la Dares dans lequel
il préconisait pour sa part un seuil de 15 %
des suffrages pour prétendre à la représentativité.

ENTRETIEN AVEC GENEVIÈVE ROY, VICE-PRÉSIDENTE DE LA CGPME

“Ni la représentativité patronale ni le financement du
paritarisme n'impactent la négociation sur la réforme"

L'émergence coup sur coup du rapport
Combrexelle sur la représentativité
patronale et du débat sur le financement
du paritarisme n'a-t-elle pas impacté la
négociation en cours ?


Ce n'est pas le cas. La CGPME est bien consciente
qu'à terme elle ne bénéficiera plus ni des fonds
issus du Fongefor, ni du produit provenant du
préciput1. On a compris que c'était fini et que
les financements parviendront par d'autres
canaux, qui demeurent encore à déterminer. Cela
n'impacte en rien une négociation dans laquelle
nous sommes entrés conscients de cette situation.

D'après l'ancien député Nicolas Perruchot,
l'Agefos-PME contribue pour près de
4,7 millions d'euros par an au financement
de la CGPME...


Si le projet du Medef visant à faire réduire les
fonds mutualisés de la formation aboutit, ce sont
surtout les salariés des PME-TPE qui sont déjà les
plus éloignés de la formation qui vont passer à la
trappe. 80 % de l'emploi en France est assuré par
des structures de moins de 250 salariés. On nous
reproche souvent que les accords que nous signons
aux côtés du Medef ne profitent qu'aux employés
des grandes entreprises… et bien, sur cette
négociation, nous réagissons, car le risque, c'est que
le projet du Medef n'aboutisse pas tuer la formation
dans les entreprises de moins de 300 salariés. C'est
là le véritable enjeu de cette négociation.

Le projet du Medef propose pourtant de
sécuriser les fonds mutualisés dans les TPE
de moins de dix salariés…


Mais pour ce faire, le Medef propose de
déshabiller les fonds mutualisés consacrés à la
professionnalisation en supprimant 2 milliards
pour redonner 300 millions aux TPE. Ce n'est
pas viable. Pas plus que n'est viable sa position
arc-boutée sur le 0,8 %. Comment peuvent-ils
espérer faire mieux avec moins ?

Ne craignez-vous pas que la réforme de
la représentativité ne profite qu'aux seuls
Medef et UPA [ 2 ]Voir l'Inffo n° 843 p. 16, et 845 p.2 au détriment de la
CGPME [ 3 ]Cette dernière étant “protégée" par son statut de
seule organisation d'employeur représentative sur le
champ de l'artisanat.
?


Le taux de 8 % d'adhésion retenu dans
le rapport Combrexelle comme critère de
représentativité ne me paraît pas de nature à
mettre la CGPME en danger. Notre organisation
ne fonctionne pas sur des adhésions directes
au plan national, mais sur l'adhésion des
entreprises à des branches ou sur des territoires
où la CGPME dispose de solides assises.

Propos recueillis par B. d'A.

C'EST AUSSI LA CARTE DES OPCA QUI EST EN JEU
Pour Pierre Ferracci, président du groupe
Alpha et contributeur au rapport Combrexelle, il
n'est pas surprenant que la réforme de la représentativité
patronale influence la négociation
de la réforme de la formation professionnelle,
comme le prouve la persistance de deux textes
patronaux. “Alors que les critères choisis par
le gouvernement vont être dévoilés, une lutte
d'influence pour démontrer son leadership
s'installe forcément, décrypte-t-il. Chacun
montre ses muscles et la négociation de la
formation professionnelle, sujet majeur, est
un lieu idéal pour le faire."

Mais ce n'est pas le seul élément perturbateur.
La réforme du financement des partenaires
sociaux, menée en parallèle, joue aussi son
rôle. “Pour ce qui concerne le financement
officiel, le sujet est réglé puisque Michel Sapin
a annoncé la fin du préciput", constate-t-il. Mais
la volonté du Medef de supprimer le 0,9 % pour
les grandes entreprises réduirait les ressources
de tous les Opca de 60 % − comme l'a chiffré
Geneviève Roy, vice-présidente de la CGPME,
dans l'édition des Échos du 5 décembre dernier.

“L'enjeu dépasse largement le préciput ! C'est
une remise en cause de la carte des Opca qui
est en jeu, même si l'Agefos-PME n'est pas le
premier concerné."

Pierre Ferracci poursuit : “Un Opca est un outil
puissant d'influence, plus que de financement.
Celui qui rend des services efficaces attire
les adhésions. Et les adhésions ce sont des
recettes supplémentaires. De toute évidence,
la CGPME défend l'Agefos-PME avec plus
d'ardeur, alors que le Medef ne considère
pas qu'Opcalia soit un problème prioritaire."
À suivre.

Béatrice Delamer

Notes   [ + ]

1. Auteur en 2011 d'un rapport pour la Dares dans lequel
il préconisait pour sa part un seuil de 15 %
des suffrages pour prétendre à la représentativité.
2. Voir l'Inffo n° 843 p. 16, et 845 p.2
3. Cette dernière étant “protégée" par son statut de
seule organisation d'employeur représentative sur le
champ de l'artisanat.