Quelles réponses “formation" à la crise de l'agroalimentaire breton ?

Par - Le 01 décembre 2013.

Rejetant pêle-mêle contraintes administratives et État “jacobin", ils ont choisi le bonnet rouge en référence à une révolte antifiscale, celle qui secoua la Bretagne en 1675. Si les portiques écotaxe ont joué le rôle de déclencheurs, c'est l'effondrement de la filière avicole qui a cristallisé leur colère. Les autorités institutionnelles entendent reprendre la main, à l'aide de promesses de financements. Le mot “formation" est prononcé...

Pas G8, ou G20. B16. Tel est le nom de Code de la conférence territoriale, qui doit − d'ici la fin de l'année − construire le “Pacte d'avenir pour la Bretagne", outil de “mobilisation collective du territoire". Siègent à ce B16 (“Bretagne à 16") Pierrick Massiot, président de Région, les quatre présidents de Conseils généraux (dont, pour les Côtes-d'Armor, Claudy Lebreton, également président de l'ADF, Association des Départements de France), et les présidents d'intercommunalités. Une tentative de dialogue institutionnel pour le moins difficile, dans un contexte de manifestations violentes.

Christian Troadec, maire DVG de Carhaix et porte-parole du collectif “Vivre, travailler et décider en Bretagne", mène la fronde[ 1 ] Avec Thierry Merret, président de la FDSEA du Finistère, Marc Le Fur, député UMP des Côtes-d'Armor, Nadine Hourmant et Olivier Le Bras, délégués syndicaux Force ouvrière, Daniel Sauvaget, PDG de l'entreprise Tilly-Sabco, Patrick Caré, président du Medef Bretagne. avec le mouvement des “Bonnets rouges" : actions coup de poing et destructions de portiques écotaxe (l'absence des péages étant un symbole fort dans cette région). Un mouvement qui a perdu le 15 novembre le soutien de Force ouvrière, le seul syndicat de salariés qui se tenait à ses côtés, et qui regrette que les “Bonnets rouges" aient pris le chemin du régionalisme.

L'agroalimentaire breton est plongé dans une crise économique et sociale profonde. Le volailler Doux supprimait 971 emplois fin 2012, un autre volailler, Tilly-Sabco, prévoit pour janvier 300 emplois supprimés sur 340 menacés, la coopérative d'abattage et de transformation Gad parle de 1 000 emplois, et le groupe norvégien Marine Harvest, de 300 emplois, à Poullaouen, dans le Finistère. Selon le Collectif avicole français (CAF), l'arrêt des subventions européennes à l'exportation condamne à terme les 4 000 emplois directs de la filière volaillère française.

15 millions… puis 1 milliard

Avec les ministres concernés, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault s'était engagé, le 16 octobre, à aider la Bretagne à surmonter cette crise. Une enveloppe de 15 millions d'euros a été dégagée pour “financer leurs investissements de modernisation". Plus spécifiquement, un “Plan Bretagne pour l'agroalimentaire" − charge au préfet et au président de Région de le mettre au point − concernera également les “compétences humaines". Des groupes de travail ont été constitués. Enfin, l'élaboration du contrat de plan État-Région se voit accélérée : sa signature pourrait intervenir en début d'année 2014. Le ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll, et celui chargé de l'Agroalimentaire, Guillaume Garot, se sont rendus le 8 novembre en Bretagne avec des annonces plus conséquentes : l'enveloppe consacrée à la Bretagne dans le cadre du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) serait doublée dans la future Pac (2014-2020), passant de 175 à 368 millions d'euros sur sept ans. Et l'économie bretonne bénéficierait en outre de 450 millions d'euros débloqués par la Banque publique d'investissement (BPI) et de 555 millions par l'État − donc, 1 milliard d'euros.

Comment redresser l'agroalimentaire ?

Deux jours plus tôt, les élus du groupe “Droite et centre de Bretagne", représentés par Bernadette Malgorn et Gilles Dufeigneux, participaient à la première réunion du “groupe politique de suivi du Pacte d'avenir pour la Bretagne" du Conseil régional. Les conseillers régionaux d'opposition revendiquent la simplification des normes administratives pour créer et développer les exploitations agricoles : “La Bretagne doit affirmer son excellence dans la production animale et sa transformation", ce qui “n'exclut pas des réflexions sur la création à moyen terme de nouvelles filières. Mais on ne reconstruira pas l'économie bretonne en faisant table rase d'une agriculture productive et d'une industrie agroalimentaire performante."

Répondant aux questions de L'Inffo, François Danchaud, secrétaire général du groupe d'opposition, insiste sur ce point : “Il faut augmenter le niveau de qualification. On ne peut pas abandonner la branche. En effectifs, l'agroalimentaire en Bretagne représente sept fois l'usine Citroën... En 2008, la région avait plutôt bien passé la crise financière car l'exportation avait joué un rôle d'amortisseur. La Bretagne compte 3 millions d'habitants, et produit de quoi en nourrir 30 millions ! Tout est dit : il faut exporter." Au-delà, “nous avons vécu longtemps sur le mythe d'un agroalimentaire non délocalisable, entre ses sites de production et de transformation. Or, il est bel et bien délocalisable, et pour l'éviter, il faut une volonté politique. La formation peut jouer un rôle décisif, à travers la modernisation des unités de production".

Le contrat de sécurisation professionnelle

Emblématique de la crise, le groupe Gad est déficitaire depuis 2008 et a enregistré 20 millions d'euros de pertes en 2012. En octobre, le tribunal de commerce de Rennes a homologué le “plan de continuation" du groupe, entraînant le licenciement de près de 1 000 salariés : la coopérative Cecab, actionnaire majoritaire de Gad, ferme l'abattoir de Lampaul-Guimiliau dans le Finistère (889 salariés), le siège de Gad à Saint-Martin-des-Champs (50 emplois), et l'atelier de Saint-Nazaire en Loire-Atlantique (60 employés). Seul l'abattoir de Josselin dans le Morbihan (650 personnes) est maintenu. Il devrait bénéficier d'un plan d'investissement d'environ 35 millions d'euros sur trois ans. Cecab devrait y recruter 343 personnes, mais, compte tenu de la distance entre les sites, sans doute peu de reclassés de Lampaul-Guimiliau. Ainsi, seulement 5 salariés de Saint-Nazaire ont accepté de partir à Josselin.

L'État a annoncé mobiliser le contrat de sécurisation professionnelle pour l'ensemble des licenciés : “Ce dispositif permettra un quasi-maintien du salaire net des anciens salariés de Gad pendant douze mois, et un accès facilité à la formation", a fait valoir le gouvernement. Attentif à ce que “l'ensemble des salariés de Gad qui auront besoin d'une action de formation pour retrouver un emploi puisse voir ce projet financé". Le groupe Droite et centre de Bretagne reste lui aussi vigilant quant à la mise en œuvre de ce contrat de sécurisation professionnelle renforcé : “Car pour l'instant, observe François Danchaud, rien n'est mis en place !" Une étude sur les opportunités territoriales de reconversion sur le territoire va être menée afin de permettre d'identifier les emplois susceptibles d'être disponibles directement ou à l'issue d'une action de reconversion pour les salariés de Gad. Le gouvernement a lancé un “appel à la solidarité de filière" et aux entreprises pouvant accueillir les licenciés.

Le chèque reconversion

Alors que la crise dure depuis 2008, son accélération récente en Bretagne rend difficile les bilans, explique-t-on au Gref, le Carif Bretagne. Pour l'heure, le projet de budget 2014 de la Région, qui sera voté en février, n'a pas été modifié significativement concernant la formation. Les crédits de paiements de la mission “formation tout au long de la vie" sont chiffrés à 110,4 millions d'euros.

Au Conseil régional, “nous n'avons pas de désaccord fondamental sur la formation professionnelle, c'est un sujet qui fait relatif consensus, nous indique François Danchaud, pour le groupe Droite et centre de Bretagne. Les dispositifs ont été améliorés et continuent d'être adaptés à la conjoncture économique. Le chèque reconversion, qui permet l'accompagnement des salariés, n'est pas un point de clivage : nous avons voté pour..."

Ce “chèque reconversion" est l'un des dispositifs phares. Il a été créé en mai 2009 pour apporter une réponse aux besoins de formation des salariés en congé de reclassement, aux personnes récemment licenciées en contrat de sécurisation professionnelle, et, selon certains critères, à des salariés en chômage partiel. Il permet de “favoriser les transitions entre les différents statuts" (de salarié à stagiaire notamment), “en évitant que les personnes concernées ne se trouvent momentanément dans une situation non sécurisée" (perte du statut de salarié et attente d'un autre statut) au regard de la réalisation de leur projet de formation. Les formations qualifiantes ou non sont éligibles à cette mesure dès lors qu'elles s'intègrent dans un projet professionnel validé. Un cofinancement est systématiquement recherché auprès des entreprises concernées, de l'État et des Opca. Pôle emploi peut apporter un complément.

En 2010, le nombre de bénéficiaires était de 587, puis 606 l'année suivante, chiffre tombé à 300 en 2012. Mais qui devrait remonter à 650 pour 2013. Au pré-budget de la Région, 600 000 euros sont prévus en 2014 sur cette ligne.

“Sept orientations prioritaires"

Le Conseil économique, social et environnemental de Bretagne vient de publier son “Bilan d'activités 2010-2013", sous l'intitulé “Sept orientations prioritaires pour la Bretagne". “Se former" est le 5e axe. Avec notamment un point sur le contrat de plan régional de développement des formations professionnelles. Élaboré en 2011 et applicable jusqu'en 2015, le dernier CPRDF de la Région Bretagne se décline en 18 volets (concernant l'accès à la qualification, l'accompagnement des branches et des territoires, le droit à l'orientation, la gouvernance).

Pour favoriser l'élévation générale du niveau de qualification, le Ceser partage avec la Région et l'État la priorité donnée au développement de l'alternance. Les mots “partenariat" et “accompagnement" reviennent souvent dans ce document consensuel.

Un jeune sur sept sans emploi ni formation

“Le diplôme reste un rempart à l'exclusion sociale mais il ne constitue pas une garantie absolue", confirme une récente enquête de l'Insee (“Octant analyse"). En Bretagne, un jeune sur sept n'est ni en emploi ni en formation : 6 % des 15-19 ans, 17 % des 20-29 ans. Et ce sont même 3 000 jeunes de 15 à 17 ans qui sont dans cette situation. Trois ans après leur entrée sur le marché du travail, les jeunes Bretons ont fréquenté en moyenne 3,3 entreprises (un peu plus que la moyenne métropolitaine). Seul trois sur dix restent dans l'entreprise où ils ont débuté. Les jeunes femmes, plus diplômées que les jeunes hommes, sont plus sujettes au déclassement même si les écarts se réduisent. 60 % des jeunes hommes ont un emploi qualifié contre 50 % des jeunes femmes.

“Région d'excellence en matière d'égalité"

À ce titre − et c'est un autre point des politiques formation qui retient l'attention − une expérimentation a été menée par la Région auprès des ex-salariées du groupe Doux, qui a donné lieu à la signature d'une convention “Région d'excellence en matière d'égalité professionnelle" par le ministère et le Conseil régional. Laquelle était d'ailleurs célébrée le 12 novembre dernier, au ministère des Droits des femmes. Imaginée voici un an, avec l'annonce de la vague de licenciements par Doux, cette expérimentation porte sur les trois sites de production du Morbihan (Pleucadeuc, Sérent et La Vraie Croix).

Un travail a été conduit avec Pôle emploi et Opcalia pour “une approche genrée des situations, afin d'ouvrir aux femmes licenciées la possibilité réelle d'intégrer toute la palette des métiers", a expliqué Gaëlle Abily, vice-présidente de la Région en charge de l'égalité femmes-hommes (et membre du Haut-conseil pour l'égalité).

“Parmi les 422 ex-salariés de chez Doux, 66 % sont des femmes. 84 % sont ouvrières ou employées, pour 59 % des hommes. Ces informations sont capitales, car on ne reclasse pas de la même façon les ouvriers et les cadres." Au moins, “31 % des femmes sont en formation, pour 11,26 % des hommes". La Région a confié la mise en œuvre de cet accompagnement “genré" à un cabinet (Perfégal) et à l'association Entreprendre au féminin Bretagne.

Droit d'inventaire

Pas certain que cela suffise à apaiser les Bonnets rouges. En ce qui concerne les orientations pour l'avenir de la Bretagne, a déclaré le 14 novembre l'ancienne préfète Bernadette Malgorn, chef de file du groupe Droite et centre de Bretagne, “le gouvernement décline toute une série de dispositifs existants ou se contente d'anticiper des programmes à venir, comme le contrat de plan État-Région". Ajoutant : “Ces sujets sont trop sérieux pour être traités en quelques jours et pilotés de Paris. Ils réclament un débat de fond." À suivre. Avec Thierry Merret, président de la FDSEA du Finistère, Marc Le Fur, député UMP des Côtes-d'Armor, Nadine Hourmant et Olivier Le Bras, délégués syndicaux Force ouvrière, Daniel Sauvaget, PDG de l'entreprise Tilly-Sabco, Patrick Caré, président du Medef Bretagne.

Notes   [ + ]

1. Avec Thierry Merret, président de la FDSEA du Finistère, Marc Le Fur, député UMP des Côtes-d'Armor, Nadine Hourmant et Olivier Le Bras, délégués syndicaux Force ouvrière, Daniel Sauvaget, PDG de l'entreprise Tilly-Sabco, Patrick Caré, président du Medef Bretagne.