Rapport du CNFPTLV - La construction d'un compte "individuel" de formation pour tous

Par - Le 01 mars 2013.

“Compte personnel", comme l'indique l'avant-projet de loi ou “compte individuel", selon les termes du rapport que le CNFPTLV vient de rendre public, il s'agira bien d'un droit à la formation pour tous, et pas seulement pour les salariés. Donnant ainsi plus de sens à une expression – la formation “tout au long de la vie" – couramment utilisée depuis plus de dix ans, mais qui peine à devenir réalité.

“Le Conseil propose que le compte individuel de formation prenne la forme d'un réceptacle permettant de combiner les trois mécanismes d'épargne, de dotation et de droit de tirage […] Le compte ainsi construit se détache de la logique des statuts pour constituer un droit attaché à la personne." C'est ce que souligne le rapport du CNFPTLV (Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie) intitulé “Réflexion sur la création d'un compte individuel de formation", dont l'examen pour avis est fixé au 18 mars.

Ce rapport avait été commandé par le ministre chargé de la Formation professionnelle et de l'Apprentissage début septembre 2012, bien avant la conclusion de l'Ani du 11 janvier 2013. Le groupe de travail, composé de 25 membres du Conseil, s'est réuni six fois d'octobre à janvier. Le rapport issu de leurs échanges “comporte des éléments de convergence, mais également des points de questionnements non résolus".

La création du “compte personnel de formation" est prévue par l'avant-projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi, qui transposera l'accord national interprofessionnel (L'Inffo n° 828, p. 2).

Une plus-value identifiée dans deux situations

Le CNFPTLV a identifié deux situations pour lesquelles le recours à un outil individualisé serait susceptible d'offrir une plus-value. La première concerne ceux qui constatent “ne pas détenir le bagage minimum en termes de compétences pour s'insérer socialement et professionnellement". La seconde est construite sur le constat de “la difficulté à acquérir une nouvelle qualification une fois quitté le monde du travail". Ces deux situations répondant à des problématiques différentes, le Conseil écarte la mise en place d'une réponse “clé en main" au profit d'un compte individuel basé sur un ensemble d'options, construites comme apportant des réponses à des situations particulières concrètes.

Trois types de ressources

Ainsi, le groupe de travail du CNFPTLV suggère que le compte individuel permette à son titulaire de collecter trois types de ressources. “Dans un mécanisme d'épargne, la personne verrait son compte abondé périodiquement de crédits horaires", dont elle pourrait elle-même contribuer à la constitution. Dans un mécanisme de dotation, en revanche, les pouvoirs publics “pourraient abonder le compte de crédits en relation avec la nature du parcours accompli en formation initiale". Enfin, pour ce qui est du mécanisme de “droit de tirage", le compte serait “abondé par une garantie de l'exercice d'un droit, en fonction de décisions relevant d'orientations politiques assignées par les financeurs des organismes de fonds mutualisés".

Réaffectation de fonds existants

Un tel système permettrait, selon le rapport, de s'adresser à l'ensemble des citoyens, et non uniquement aux salariés. Son autre avantage : “Il implique l'ensemble des responsables du système de formation, partenaires sociaux et pouvoirs publics, associés dans la construction de ce droit et des outils qui le matérialisent."
Conscient des contraintes de financement pesant sur les acteurs, le CNFPTLV invite, parallèlement, à ce que la mise en place du nouvel outil permette la réaffectation de fonds existants, et, d'autre part, soit soumise à évaluation.

Aurélie Gerlach

L'articulation avec l'existant

Comment articuler le compte individuel de formation avec les dispositifs existants ? Le CNFPTLV considère “qu'il n'est pas concevable que le compte individuel vienne s'ajouter à un ensemble de dispositifs déjà complexe et dont la complexité, souvent dénoncée, est sans doute largement responsable des difficultés d'accès à la formation rencontrées par beaucoup."

Un premier mode d'articulation concernerait “la réingénierie des dispositifs existants", afin de les modifier pour prendre en compte le nouvel outil. “Il faudra renforcer le diagnostic des qualités et des limites des dispositifs actuels dont l'évaluation est souvent lacunaire, afin de prendre en compte les modalités et les calendriers de leur transformation, voire de supprimer certains dispositifs à caractère trop confidentiel ou d'autres qui, bien que connaissant un certain développement, s'écartent des ambitions ayant présidé à leur création", souligne le rapport.

À l'inverse, la mise en place du nouvel outil ne doit pas se faire au détriment de dispositifs éprouvés. “Les dispositifs actuels seraient ainsi fondus en tout ou partie dans le compte individuel ou bien, s'ils demeurent, changeraient de nature pour devenir un complément éventuel à la mise en œuvre d'une action pour laquelle les droits disponibles sur le compte ne seraient pas suffisants", indique le CNFPTLV.

David Garcia

De nouveaux droits attachés à la personne

C'est à une très large majorité (60 voix pour, 5 voix contre et 4 abstentions) que l'avant-projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi a reçu un avis favorable du CNFPTLV réuni en séance plénière le 19 février.

“Le texte retraduit bien les principes et points importants de l'Ani. Quant au compte personnel de formation, il en reprend les principes de base", confiait Catherine Bourrut, secrétaire confédérale CFDT, à l'issue du Conseil. Même si “certains points de l'accord n'y figurent pas, le gouvernement ayant considéré que plusieurs questions étaient plutôt du ressort des partenaires sociaux gestionnaires des fonds de la formation".

Pour une “adoption rapide des mesures réglementaires"
Dans une déclaration lue au cours de la séance, Jean-Pierre Therry, secrétaire confédéral de la CFTC, a fait part de son souhait d'une “adoption rapide des mesures réglementaires qui devront reprendre les précisions apportées par les partenaires sociaux s'agissant du montant des droits acquis (20 heures par an plafonnées à 120 heures), des modalités de mise en œuvre (mobilisation par la personne pour accéder à une formation à titre individuel, initiative du salarié en accord avec son employeur, etc.) et de financement (signature d'une convention de financement État-Régions-partenaires sociaux)".

Le risque de “porter préjudice au salarié"

Trois organisations syndicales ont voté défavorablement : la CGT, FO et la FSU. Paul Desaigues, conseiller confédéral à la CGT, juge que le texte comporte des éléments qui peuvent “porter préjudice au salarié". Concernant le compte personnel de formation, “il reste sur des généralités sans donner aucune indication quant aux modalités de construction du compte personnel, pas plus qu'aux dispositifs et droits que pourrait contenir ce compte. Or, l'Ani est très insuffisant dans ce domaine, puisqu'il se cantonne à prévoir
l'absorption du Dif par le compte individuel. Nous pensons qu'un compte individuel devra inclure des droits attachés à la personne allant bien au-delà des heures de Dif envisagées", estime Paul Desaigues. Moyennant quoi, la CGT s'oppose “à l'inscription prématurée du compte personnel dans le Code du travail".

Une logique véritable de sécurisation"

Pour le conseiller confédéral, les dispositions de l'avant-projet de loi “agrègent des dispositifs qui existent déjà dans le droit mais qui ne sont pas outillés". Il ajoute : “Nous voulons que les parlementaires comprennent le sens de l'Ani et le traduisent dans une logique véritable de sécurisation", ajoute-t-il.
A. G. et D. G.

Un compte “universel", “portable", “solidaire"...

Jérôme Giudicelli, directeur adjoint du cabinet de Thierry Repentin, ministre délégué chargé de la Formation professionnelle et de l'Apprentissage, est revenu sur les contours du futur compte personnel de formation lors du séminaire “Les nouveaux enjeux stratégiques de la formation professionnelle", organisé par Centre Inffo et Sciences-Po le 21 février dernier. En quelques mots-clés.
“Universalité." Ce compte devra bénéficier à tout le monde : salariés, indépendants, professions libérales, personnes en recherche d'emploi, etc.

“Solidarité." Il ne faut pas l'envisager sous forme de capitalisation, mais d'un système “solidaire", contribuant à aider les publics les plus fragilisés.

“Portabilité." L'objet de ce compte est de suivre la personne tout au long de sa carrière. Il faudrait aller beaucoup plus loin que le droit individuel de formation (Dif).

“Autonomie." Son titulaire devra pouvoir choisir ses formations.

“Lisibilité et matérialité." Le compte doit pouvoir être consultable, facile d'accès. Son titulaire pourra connaître à tout moment son état, ses droits acquis.

“Accompagnement pour les garanties collectives." À travers un conseil sur la formation professionnelle, mis en place par les partenaires sociaux en dehors de l'entreprise.

“Il faut que ces critères soient pris en compte, sinon il y a un risque d'aggravation des inégalités", a prévenu Jérôme Giudicelli, en précisant qu'“il reste un travail d'affinage qui passera par la négociation avec les partenaires, mais aussi avec les Régions et l'État, notamment sur la question de la dotation du compte personnel de formation..."

Claire Padych