Réforme de la formation : le calendrier et la méthode
Par Philippe Grandin - Le 16 juillet 2013.
La réforme de la formation
professionnelle et de
l'alternance doit, selon les
voeux du gouvernement,
se concrétiser par la
présentation d'un projet de
loi fin 2013 et une adoption
début 2014. Mais plusieurs
projets progressent
parallèlement, au risque de
la confusion. Clarification.
Suite à la tenue de la “grande
conférence sociale pour l'emploi"
des 20 et 21 juin 2013, les
modalités de son élaboration se
dessinent. Le calendrier est serré
et les cadres de discussions multiples,
ce qui constituera, tant pour l'État
que pour les parties représentées, un
véritable exercice de coordination.
En effet, sont prévus en parallèle une
négociation interprofessionnelle, une
concertation quadripartite (État-Région-
partenaires sociaux), des groupes
de travail techniques, et une concertation
sur le sujet de l'alternance.
Une négociation interprofessionnelle
Les organisations patronales et syndicales
représentatives sont appelées à
négocier, à partir de la rentrée, dans
l'optique de la signature d'un nouvel
Ani sur la formation professionnelle.
Suite à la conférence sociale, le gouvernement
vient de leur envoyer un
document d'orientation récapitulant
les points à négocier. En trois volets :
sécuriser les parcours professionnels
en déployant le compte de formation
et en améliorant l'accès à la formation,
en particulier de ceux qui en ont
le plus besoin ; faire de la formation
professionnelle un “investissement
de compétitivité" au sein de l'entreprise
; contribuer à une gouvernance
des politiques de formation professionnelle
“plus simple et plus efficace".
Une concertation quadripartite
Cette concertation est prévue
par la loi relative à la
sécurisation de l'emploi
du 14 juin 2013, et rassemble
l'État, les Régions
ainsi que les organisations
patronales et syndicales
pour discuter de “la
mise en oeuvre du compte
personnel de formation".
Les acteurs se sont déjà réunis
deux fois, le 21 mai et
le 12 juin. Alors qu'initialement,
seules une ou deux
réunions devaient avoir
lieu, cette concertation se
poursuivra en parallèle de
la négociation interprofessionnelle.
En effet, les partenaires
sociaux n'étant pas
les seules parties prenantes
en charge de la mise en
oeuvre de politiques de la
formation, il a été décidé de plus impliquer
les Régions et l'État dans l'élaboration
de la future réforme.
Le gouvernement a préparé pour les
membres du groupe quadripartite un
mandat récapitulant les questions qui
sont de leur ressort, afin d'opérer un
partage clair des tâches avec la négociation
interprofessionnelle. À l'occasion
de la dernière réunion du groupe, les
acteurs ont déjà opéré une première
division du travail. Au ministère, la
charge de coordonner les interactions
entre ce groupe et la négociation interprofessionnelle.
Par ailleurs, une personnalité
qualifiée sera chargée de présider
le groupe quadripartite et devrait
être nommée très prochainement.
Des groupes de travail techniques
En marge de la concertation quadripartite,
seront installés des groupes de
travail (ou un seul, selon arbitrages)
qui s'attaqueront à des sujets plus techniques,
tels que la mise en oeuvre du
“conseil en évolution professionnelle"
prévu par la loi relative à la sécurisation
de l'emploi. Le système de gestion
du CPF et l'articulation avec l'offre
de formation seront les deux autres
thèmes abordés. Ces groupes techniques
devront rendre compte de
leurs travaux et faire des propositions
devant le groupe quadripartite.
Une concertation sur l'alternance
Un volet alternance, également compris
dans la future réforme, fera de
son côté l'objet d'une concertation
qui réunira dès la rentrée les parties
concernées par le dossier (la composition
n'étant pas encore connue). Sera
notamment abordée la question du
financement des contrats d'apprentissage
et de professionnalisation, ainsi
que le système de gestion de la collecte.
Ce dossier a déjà fait l'objet d'un important
travail entre la fin de l'année
2012 et le premier trimestre 2013 par
le cabinet de Thierry Repentin, alors
ministre délégué à la Formation professionnelle
et de l'Apprentissage. Le
ministère du Travail devrait également
fournir aux différentes parties un document
détaillant les points à discuter.
Aurélie Gerlach
LE “DOCUMENT D'ORIENTATION" FIXE COMME ENJEUX LA SÉCURISATION DES PARCOURS ET LA COMPÉTITIVITÉ
Le ministère du Travail a présenté, le
8 juillet, le “document d'orientation" fixant
les objectifs de la prochaine négociation sur
la réforme de la formation professionnelle.
L'ambition du gouvernement, déjà formulée
dans la “feuille de route" issue de la conférence
sociale, ne consiste pas à engager un
énième ajustement du système de formation
sur le plan structurel et sur le plan de
son mécanisme, mais bien de refonder un
certain nombre de dispositifs.
Le document d'orientation précise d'ailleurs
que “cette négociation se déroulera, conformément
aux voeux des organisations syndicales
et patronales représentatives
au niveau national et interprofessionnel,
en coordination étroite avec la concertation
quadripartite associant les Régions et
l'État sur les questions concernant de
manière conjointe l'ensemble de ces acteurs".
Sachant que le ministère doit déterminer le
mode d'aller-retour entre les négociateurs
et le groupe quadripartite qui travaille sur
la mise en oeuvre du compte personnel de
formation et l'évolution du service public de
l'orientation. Sans oublier la concertation,
prévue à la rentrée prochaine, sur la collecte
de la taxe d'apprentissage et la sécurisation
du parcours des jeunes.
Mais c'est de sécurisation des parcours des
actifs, salariés et demandeurs d'emploi,
qu'il est question ici. La négociation devra
permettre notamment “d'assurer la mise en
oeuvre opérationnelle du compte personnel
de formation en définissant les règles de
mobilisation du compte par un salarié dans
sa relation à l'employeur, les modalités
d'utilisation et de prise en charge du compte
lorsqu'il est mobilisé après un changement
d'employeur, la part de financement du
compte qui relève des partenaires sociaux,
et enfin, l'articulation concrète entre le
compte et les autres dispositifs de formation
des salariés (Cif, période de professionnalisation)".
Plan de formation et_dialogue social...
Deuxième axe, faire de la formation professionnelle
un “investissement de compétitivité"
au sein de l'entreprise. Dans cette
perspective, “l'appétence" des salariés et
des employeurs pour la formation constitue
un enjeu majeur. La négociation aura pour
tâche de “faire évoluer le plan de formation
de l'entreprise, d'accroître l'accès à la formation
des salariés des PME et TPE, et de
préciser comment le dialogue social peut
contribuer à une meilleure mobilisation des
différents dispositifs concourant à la formation
des salariés".
Enfin, la priorité accordée à la sécurisation
des parcours professionnels ainsi que
la mise en oeuvre du compte personnel de
formation, “qui transcende les statuts et
sollicite également les pouvoirs publics",
amènera les négociateurs à s'interroger
sur une gouvernance des politiques de
formation professionnelle “plus simple et
plus efficace". Elle doit permettre, selon
le gouvernement, de conforter le paritarisme
national et régional sur le champ de
l'emploi, de l'orientation et la formation
professionnelle et de définir comment ces
organisations peuvent contribuer, “dans le
respect de l'autonomie propre à chacune,
à la construction et à la mise en oeuvre
d'une stratégie régionale et concertée
en matière d'orientation professionnelle,
de développement de l'alternance et de
formation professionnelle des salariés
comme des demandeurs d'emploi", mais
également d'améliorer la capacité d'anticipation,
de suivi et de proposer des solutions
pour simplifier le pilotage et la gestion des
dispositifs.
En conclusion, le gouvernement propose
que “cette négociation aboutisse dans un
délai compatible avec la préparation d'un
projet de loi avant la fin de l'année 2013".
C'est là que la bât pourrait blesser.
Philippe Grandin
POUR LA CGT : “UN CALENDRIER IMPOSSIBLE À TENIR !"
Moins d'un semestre pour discuter et se
mettre d'accord en vue d'un projet de loi,
“c'est un calendrier impossible à tenir",
prévient Paul Desaigues, conseiller formation
initiale et continue à la CGT, dans un
entretien accordé à L'Inffo. Et de rappeler
qu'au moment de la négociation du précédent
accord national interprofessionnel
en 2008, Nicolas Sarkozy avait déjà voulu
avancer au pas de charge. L'accord national
interprofessionnel du 7 janvier 2009 a finalement
été transformé en loi le 24 novembre
de la même année. “Ce gouvernement nous
met une pression plus importante encore",
déplore-t-il.
Le document d'orientation contient, de
l'avis de Paul Desaigues, “des sujets très
intéressants", conformes aux discussions
qui ont eu lieu lors de la conférence sociale
des 20 et 21 juin 2013. Il note toutefois un
“manque de transparence", notamment en
termes de bases de données pour les structures
inférieures à 50 salariés. Il estime que
“l'usager est oublié" et qu'il y a un “manque
de reconnaissance de la certification".
Un “droit d'initiative" du salarié ?
Mais c'est sur le compte personnel de formation
(CPF) que les discussions risquent
d'être les plus âpres. La transition entre le
droit individuel à la formation (Dif) et le CPF
n'est pas évidente, même si Paul Desaigues
souhaiterait qu'un “droit d'initiative" à la
formation, relevant du salarié, puisse faire
partie du dispositif futur. Par conséquent,
le mécanisme de régulation du refus de
l'employeur devrait être examiné de près,
en particulier si la formation demandée fait
partie d'une priorité de branche, estime-t-il.
De même, il serait utile de se pencher sur
le calcul en heures, qui est l'une des composantes
du Dif. Ce système peut poser
des problèmes, notamment pour les publics
défavorisés qui doivent parfois bénéficier
de formations en plusieurs étapes – d'une
durée importante. Enfin, le financement du
CPF reste une question majeure sur laquelle
les partenaires passeront certainement une
bonne partie des réunions à débattre.
Claire Padych
POUR LE MEDEF, PROMOTION SOCIALE ET COMPÉTITIVITÉ DOIVENT ÊTRE CONJUGUÉES
La première Université d'été de l'Association
française pour la réflexion et l'échange
sur la formation (Afref) [ 1 ]Voir aussi dans ce numéro, p. 29. s'est penchée, le
9 juillet, sur la professionnalisation des
acteurs de la formation au regard des mutations
actuelles.
Alain Druelles, directeur adjoint de la formation
au Medef, est revenu sur la prochaine
réforme de la formation en se plaçant du
point de vue de la professionnalisation.
“Il s'agit de revenir aux fondamentaux, à
savoir la promotion sociale et la compétitivité
des entreprises, présents depuis 1971.
Les sociétés qui arrivent à conjuguer ces
deux enjeux misent sur l'éducation, la formation…",
a-t-il fait valoir, tout en indiquant
que “la négociation qui s'annonce
va se dérouler dans un cadre budgétaire
contraignant".
Il a également rappelé les évolutions
récentes de la formation professionnelle :
“Accroissement de la formation en interne
au sein des entreprises ; diversité des
modes d'apprentissage et accès croissant à
la connaissance ; mesure du retour sur investissement
dans les grandes entreprises"...
Sur ce dernier point, Alain Druelles a souligné
que “la formation échappait à ce type
d'analyse, mais qu'aujourd'hui, la pression
est croissante et se tourne vers l'encadrement
intermédiaire (N + 1), assez démuni
face à ce type de demande". À côté de cette
problématique (impliquant évaluation de la
formation et prise en compte des parcours
individuels), une autre concerne la professionnalisation
de la... gouvernance institutionnelle
des politiques de formation.
Philippe Grandin
LA “RÉARTICULATION" INQUIÈTE LA CFTC
“Le Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels est le grand absent
du document d'orientation fourni aux partenaires sociaux. Cela m'inquiète !"
Telle est la réaction de Jean-Pierre Therry (CFTC) face au document d'orientation.
De manière générale, il s'inquiète des questions relatives au financement du compte
personnel de formation. “Je voudrais qu'une réunion des financeurs soit intégrée à
la concertation quadripartite", déclare-t-il. Il s'interroge également sur l'ambition
affichée dans le document d'une “réarticulation" des dispositifs de formation
existants. Pour Jean-Pierre Therry, il sera important, au cours de la négociation,
de définir des publics prioritaires pour bénéficier de formation au titre du CPF.
“Dans les premières années de mise en oeuvre de la réforme, et même si dans
les textes, le compte est universel, il sera impossible de prendre en charge la
formation de tout le monde ! Cela ne veut pas dire que des salariés ne pourront
pas en bénéficier, mais qu'il faut définir des enveloppes !" Comme d'autres parties
prenantes, le représentant de la CFTC juge le timing “trop serré" et doute de la
capacité des partenaires sociaux à aboutir à un accord avant la fin 2013
COMMENT LES PROJETS DE RÉFORME (IN)ABOUTISSENT...
“Pour une formation professionnelle plus
efficiente." C'est le titre – et l'ambition –
d'un cycle de conférences-débats proposé
conjointement par la Caisse des dépôts et la
chaire “Transitions démographiques - transitions
économiques" du Pôle de recherche
et d'enseignement ParisTech, dont la première
séance se tenait le 25 juin dernier.
Fil rouge de ces travaux amenés à se prolonger
sur plusieurs étapes : la formation
professionnelle face au vieillissement de la
population. Mais pour cette première journée
d'échanges, c'est surtout le sujet de la
réforme qui fut abordé par le principal invité
du jour, l'universitaire Marc Ferracci [ 2 ]Économiste et membre du Crest (Centre de
recherche en économie et statistiques), Marc Ferracci
est responsable d'un master au sein de l'Institut
d'économie et de management de Nantes..
la succession de “réformes inabouties"
Marc Ferracci, qui, en octobre 2011 – en
collaboration avec Pierre Cahuc et André
Zylberberg – signait un rapport, commandé
par l'Institut Montaigne, qui agita le Landerneau
de la formation professionnelle.
Son titre – “En finir avec les réformes inabouties"
– était alors éloquent et son propos
(rien de moins que la suppression de la
cotisation obligatoire des entreprises) l'était
tout autant. Deux ans et quelques mois plus
tard, l'universitaire nantais n'a pas changé
son fusil d'épaule et prophétise : la réforme,
dont les discussions débuteront en septembre,
sera encore une fois “inaboutie".
La faute, selon lui, à un système biaisé dès
le départ, particulièrement par l'instauration
d'une contribution obligatoire, dont le
résultat se constate aujourd'hui : “Celui qui
paie décide. Ce sont donc les entreprises,
davantage que les salariés, qui déterminent
les actions à mener. D'où la multiplication
des formations courtes, adaptées au poste
de travail, davantage qu'à la promotion
sociale…" Pour preuve : en 1974, la durée
de formation moyenne s'élevait à près de 63
heures par an. Un chiffre tombé à 15 heures
par an en 2005, selon les chiffres du ministère
du Travail. Une situation qui privilégie
le rendement immédiat et la formation des
publics les mieux qualifiés (en 2007, 23,4 %
des titulaires de CAP-BEP avaient eu accès à
la formation, contre 44,3 % des diplômés de
l'enseignement supérieur).
la “manne" de la contribution légale…
Une situation qui n'amène pas les particuliers
à investir dans les mécanismes de développement
de leurs propres compétences.
En 2008, selon la Dares, 4 % des dépenses
de formation, en France, provenaient des
ménages, contre 16 % au Royaume-Uni
et 35 % en Allemagne. Outre-Rhin, d'ailleurs,
on ne compte que 3 500 organismes
formateurs agréés par les pouvoirs publics
contre 58 000 en France. La conséquence,
selon Marc Ferracci, d'un système français
qui fonctionne en profitant à la fois de la
“manne" de l'obligation légale et d'un agrément
ministériel trop facilement accordé,
contrairement au modèle allemand où les OF
sont contraints de justifier la pertinence des
formations dispensées par rapport au marché
de l'emploi et à ses débouchés concrets.
Ces 90 millions des Opca qui financent le paritarisme
Et tant qu'à jeter un pavé dans la mare, Marc
Ferracci aura également insisté sur la place
de la formation dans le fonctionnement du
paritarisme pour expliquer la réticence des
partenaires sociaux à réformer le système
en profondeur. “Ceux qui négocient les
réformes de la formation sont aussi ceux
qui en vivent !", assénait l'universitaire,
citant, à titre d'exemple, les 90 millions
d'euros annuels que syndicats et organisations
patronales tirent de la gestion
des Opca. “Sans oublier les frais de gestion
– 9,9 % de la collecte des organismes
paritaires – qui permettent de rémunérer un
certain nombre de permanents syndicaux."
Et de saluer la “franchise" de François
Chérèque, l'ancien leader de la CFDT, qui,
en son temps, avait concédé que près de
800 permanents de son syndicat tiraient
leurs revenus des fonds du paritarisme.
“Aucune réforme de la formation professionnelle
ne sera possible sans réforme
du financement des partenaires sociaux",
a conclu Marc Ferracci, favorable à une évolution
vers un “syndicalisme de service" qui
verrait les représentants des employés ou
des employeurs payés par une contribution
correspondant à la qualité du conseil
apporté aux salariés...
Cif + Dif + une partie du “0,9 %" = abondement du CPF
Tout ce qui limite l'obligation légale lui
sied donc, ce qui implique le futur compte
personnel de formation, acté par l'Ani du
11 janvier 2013 et traduit, depuis, dans la
loi de sécurisation de l'emploi. Demeure la
question de son abondement. À ses yeux,
et au vu de l'échec relatif du Dif et du
Cif, le transfert des droits associés à ces
outils dans le compte paraîtrait une bonne
base de financement pour le futur CPF. Une
base à laquelle s'adjoindrait une partie
du “0,9 %" de l'obligation légale. “Il n'y
aurait rien de pire qu'une sédentarisation
du compte personnel qui existerait
parallèlement au Cif et du Dif", expliquait
l'auteur du rapport de l'Institut Montaigne
qui, cependant, veut croire dans ce futur
dispositif. “Il est évident que, pendant ses
premières années d'existence, le compte
constituera une usine à gaz, tant il apparaît
complexe. Mais tout ce qui va dans le sens
d'une formation personnalisée va dans le
bon sens."
Benjamin d'Alguerre
Notes
1. | ↑ | Voir aussi dans ce numéro, p. 29. |
2. | ↑ | Économiste et membre du Crest (Centre de recherche en économie et statistiques), Marc Ferracci est responsable d'un master au sein de l'Institut d'économie et de management de Nantes. |