Thierry Lepaon, un négociateur formation à la tête de la CGT

Par - Le 01 avril 2013.

Il y avait du challenge à portraiturer, une semaine et demie avant son intronisation officielle, le futur secrétaire général du premier syndicat français, à l'agenda aussi chargé que celui d'un ministre. “Il vous rappellera… enfin, il va essayer ", promettait le service de presse du syndicat depuis quelque temps déjà. Et c'est au moment où l'on n'y croit plus, où l'on commence sérieusement à envisager un plan B, que le téléphone a sonné, le 13 mars au soir : “Allô ? C'est Thierry Lepaon. C'est toujours d'accord pour l'entretien ? " Hasard calendaire : le même jour, trente-deux minutes auparavant très exactement, une fumée blanche dans le ciel de Rome venait d'annoncer l'élection d'un autre numéro 1. La coïncidence le fait sourire, guère plus. Thierry Lepaon assume son appartenance au PCF, tout en assurant que la CGT n'est pas le relais du Front de gauche.

Un OS chez les Moulinex

À l'en croire, l'homme qui, depuis le 22 mars dernier, préside à la direction de la centrale de Montreuil, “n'a jamais voulu faire carrière". De fait, c'est en 1977, à dix-sept ans, qu'il entre comme ouvrier soudeur chez Caterpillar, en Normandie, sa région natale. La même année, il s'indigne contre “un salaire, inférieur de 20 % à celui de mes collègues sous prétexte que j'étais mineur", et choisit de s'investir dans l'action syndicale, à la CGT où il prend sa carte… avant de prendre la porte car, dans le monde industriel des années soixante-dix, le militantisme “rouge" est particulièrement mal vu. “Ça ne m'a pas rendu malheureux, à l'époque, il y avait du boulot partout..."

Partout, c'est chez Spie Batignolles, où il crée une section syndicale qui s'oppose alors aux élus CFDT, “qui ne se préoccupaient que des bureaux d'études et pas des ouvriers". Licencié pendant son séjour sous les drapeaux (court : il est réformé en moins d'un mois), il perd son procès aux prud'hommes contre son ex-employeur et n'est pas
réintégré.

La suite du parcours, c'est Moulinex et l'activisme syndical départemental, puis régional. DS, DSC, CE, CCE, CEE, CA… autant d'acronymes qui jalonnent le parcours de Thierry Lepaon jusqu'au conflit final qui voit “les Moulinex" échouer à empêcher la fermeture du site.

À l'époque, le cabinet d'expertise comptable Secafi Alpha est en charge du diagnostic de l'entreprise. Son président, Pierre Ferracci, se souvient d'un Thierry Lepaon “très au fait des questions d'emploi, qui s'était alors employé à développer des relations avec les collectivités locales et régionales. Un cégétiste pour qui « compromis » n'était pas un gros mot". Las, le dépôt de bilan final est prononcé, mais le conflit médiatisé a permis aux instances nationales du syndicat de repérer le prometteur Lepaon, bientôt secrétaire départemental de l'Union CGT du Calvados et membre du Cese de Basse- Normandie. Une ascension qui lui est reprochée, encore aujourd'hui, par les anciens Moulinex réunis au sein de l'association Apic Mix. “Il sait comment se placer. Il sait quels sont ses intérêts. Il n'est pas dans le collectif ! Ce mec est une coquille vide !", peste Maguy Lalizel, ex-CFDT et présidente de
l'association.

“Ce mec", cependant, assume ses choix passés : “Personne ne m'a reproché mon activité syndicale d'alors. Mais adhérer à leur association et se retrouver tous les jeudis pour se pleurer mutuellement dans les bras, ce n'était pas mon truc…"

Cormelles - Montreuil

D'autant que la fermeture du site de Cormellesle- Royal est 'occasion de découvrir que 10 % de l'effectif est en situation d'illettrisme. “Pour cet ancien élève à la scolarité difficile, c'était l'occasion de s'emparer de cette thématique", indique Pierre Ferracci. _ De fait, après s'être fait l'auteur d'un rapport pour le Conseil économique et social de Basse-Normandie, Thierry Lepaon sera celui, en 2006 (année où il est conjointement élu à la commission exécutive de la centrale syndicale de la CGT et désigné membre du Conseil d'orientation pour l'emploi), de vingt-deux propositions de lutte contre l'illettrisme. Il milite pour en faire une grande cause nationale. “Sa voix a été importante pour que cela devienne effectif en 2013", souligne Hervé Fernandez, directeur de l'ANLCI.

De l'éducation différée à la formation continue, il n'y a qu'un pas et celui-ci est franchi en 2008, lorsqu'il est choisi pour mener la délégation CGT lors de l'Ani sur la formation professionnelle. “Ce fut un négociateur habile", se souvient Jean-Michel Pottier, leader patronal de la CGPME lors de cette négociation. “Un homme doté d'une grande capacité à obtenir le plus possible, jusqu'au dernier moment !"

Le patron

Et c'est précisément “au dernier moment" qu'il se voit adoubé par Bernard Thibault après les échecs d'Éric Aubin et de Nadine Prigent à s'imposer à la tête de la centrale de Montreuil. Bernard, le “mec simple", qui a choisi Thierry, “le mec normal", pour prendre les rênes d'une CGT en bisbille avec sa rivale cédétiste, quelques jours après que des militants de la première aient publiquement brûlé le drapeau de la seconde. Ambiance… Malgré cela, il l'assure : “Berger et moi, on sait se parler. Les relations seront cordiales avec Laurent !" Et avec Laurence ? “Là, ça risque d'être plus compliqué…"

2001 - meneur du conflit chez Moulinex (Calvados)

2008 - conduit la délégation de la CGT dans les négociations sur la réforme de la formation

2010 - préside le groupe CGT au Conseil économique, social et environnemental

2013 - secrétaire général de la CGT