“Bientôt, on ne parlera plus de e-formation"

La vague de fond du “tout participatif", l'incidence de l'âge des apprenants, le retour de la formation-action opportunément rebaptisée “action-learning" et jusqu'à la disparition du concept de e-learning, du fait, tout simplement, de sa banalisation... Sur toutes ces questions, Philippe Lacroix et Steve Fiehl ont échangé lors des rencontres Focus RH.

Par - Le 01 novembre 2008.

À la confluence de nombreux domaines, les formes du e-learning ne cessent de muter, suivant les évolutions de la technologie et celles de la fonction formation. D'où l'intérêt de s'enquérir des “nouvelles tendances du e-learning", comme le spécialiste de la formation Stéphane Diebold[ 1 ]Tour à tour responsable de formation initiale et de formation continue, fondateur de l'institut de formation Avicenne, membre actif du Groupement des acteurs et responsables de formation en entreprise (Garf) comme de la Fédération européenne pour la formation et le développement (FEFD), Stéphane Diebold est un expert de la formation et du management. l'a proposé lors des rencontres Focus RH (à Paris le 14 octobre), en compagnie de deux prestataires majeurs du secteur, Philippe Lacroix, directeur de Demos eLearning Agency[ 2 ]www.elearningagency.com , et Steve Fiehl, directeur associé de Crossknow-ledge[ 3 ]www.crossknowledge.com.

Pour Philippe Lacroix, ce n'est finalement pas tant la succession des évolutions technologiques qui caractérise les nouvelles tendances du e-learning, que la transformation de la démarche formation des entreprises. Les logiques “top-down" sont balayées par la nouvelle “volonté des entreprises de faire collaborer les salariés" à l'élaboration du processus formation. “C'est une tendance qui vient du grand public, qui a su s'emparer des forums, blogs, wikis et autres réseaux sociaux." On retrouve cette implication chez les apprenants, qui ne se contentent “plus de consommer, mais participent à la formation".

En réponse à Stéphane Diebold, qui a évoqué l'échec de certaines initiatives participatives à visée pédagogique, Steve Fiehl a livré ses facteurs de succès : “Ne vous contentez pas de dire « Exprimez-vous », mais dites « Exprimez-vous dans le cadre d'un projet, avec des délais livrables », et là, ça marche !" Également, la vraie question n'est pas celle de l'appétence à la technologie, mais celle de l'enjeu : “Il faut absolument que le dispositif de formation soit connecté aux enjeux de l'entreprise." Point de vue partagé par Philippe Lacroix, qui précise qu'“il faut demander aux salariés de réagir, pas d'organiser."

Interrogés sur le rôle joué par l'âge dans l'accueil de l'innovation en formation, les prestataires ont récusé l'idée d'un “âge limite", mais ont observé des différences de comportement. “Ceux qui sont « nés avec » ont une prise en main facile de l'outil technologique, mais se comportent comme des zappeurs", a noté Philippe Lacroix. “À l'inverse, les autres peuvent rencontrer des difficultés, mais sont capables de concentration", qualité qui reste indispensable à tout apprentissage. Se basant sur l'expérience de Crossknowledge, Steve Fiehl a souligné l'importance primordiale du rapport à la formation : “Dans une population donnée, quels que soit leur âge, leur position dans l'emploi ou leur catégorie socioprofessionnelle, 10 à 15 % des personnes cherchent à se développer. Ce qui diffère vraiment, ce sont les styles d'apprentissage", qui, eux, peuvent être pris en compte dans une démarche de type e-learning.

Davantage de divergences entre nos deux prestataires sont apparues lorsque l'animateur a évoqué la question de l'impact sur les temps de formation présentiels. Si la complémentarité prédomine pour Philippe Lacroix, fervent défenseur de la relation humaine, qui voit dans le e-learning l'opportunité d'“améliorer l'efficacité de la formation présentielle", l'idée d'une “substitution totale de modalités à distance au présentiel" est parfaitement envisageable pour Steve Fiehl. Si cela ne se produit pas, “c'est parce que l'on donne à la formation des objectifs autres que strictement pédagogiques, notamment un rôle social". Un constat qui ne le détourne pas de sa conviction initiale : “La seule solution pour former plus vite, plus souvent, plus de gens – à budget constant ou réduit – c'est plus de distance. On ne peut plus faire de la formation en salle juste par dogme."

Parmi les tendances phares du secteur, le directeur associé de Crossknowledge a relevé l'“action learning"[ 4 ]Formation-action. , pas une nouveauté en soi, mais une valeur en hausse, tant il devient “de plus en plus absurde de déconnecter la formation du terrain". Et de pointer cette étrangeté linguistique : “Les gens « partent » en formation et en « reviennent », comme s'ils revenaient dans le monde réel." Quand on sait que “80 % de l'acquis disparaît quinze jours après une formation en salle, a-t-il poursuivi, on conçoit mieux qu'apprendre devrait être de l'ordre du quotidien. L'idée, c'est d'apprendre en travaillant."

Ce à quoi souscrit pleinement Philippe Lacroix, qui a cité en exemple une mission réalisée pour la branche médicale de General Electric. “Pas question de mobiliser une population de chirurgiens sur des journées entières, nous avons donc mis la formation au cœur du logiciel d'imagerie médicale, avec l'idée d'apprendre juste ce dont on a besoin, au moment nécessaire."

Impossible par ailleurs d'évoquer la problématique de la connexion au réel sans aborder les “serious games", qui ont suscité intérêt poli et prudence des intervenants[ 5 ]À souligner qu'aucun des deux n'a, à ce jour, développé une activité significative en matière de “serious game".. Pas encore assez aboutis, pour Steve Fiehl, qui les a jugés toujours “trop chers et trop éloignés du réel" ; sujet à caution, pour Philippe Lacroix, qui a relevé qu'“il est très facile de se prendre pour quelqu'un d'autre quand on incarne un avatar". L'une des formes possibles du e-learning, donc, mais pas forcément la panacée.

On l'aura compris, pour le directeur de Demos eLearning Agency, le “plus formation" du e-learning n'est pas à chercher dans la dimension technologique, mais dans les réseaux, à même de lever cette contradiction qu'il fait sienne : “La formation sera toujours un acte individuel, on se forme toujours seul, mais jamais sans les autres"...

Le mot de la fin est revenu à Steve Fiehl, pour qui l'avenir du e-learning réside dans sa disparition ! Une disparition qui n'aura rien, bien sûr, d'une cessation de commerce, mais qui relèvera davantage d'un effacement, quand la “totale évidence" aura pris le pas sur le caractère novateur. “Bientôt, a-t-il conclu, on ne parlera plus de e-formation, de la même manière que l'on ne parle plus du téléphone. Il n'y aura plus d'opposition entre le « en salle » et le « à distance », mais une banalisation du e-learning, appelé à se fondre dans les systèmes de formation."

Notes   [ + ]

1. Tour à tour responsable de formation initiale et de formation continue, fondateur de l'institut de formation Avicenne, membre actif du Groupement des acteurs et responsables de formation en entreprise (Garf) comme de la Fédération européenne pour la formation et le développement (FEFD), Stéphane Diebold est un expert de la formation et du management.
2. www.elearningagency.com
3. www.crossknowledge.com
4. Formation-action.
5. À souligner qu'aucun des deux n'a, à ce jour, développé une activité significative en matière de “serious game".