Les “Entretiens du XXIe siècle"

Ils se sont déroulés le 29 octobre à Paris, en clôture du 1er Forum mondial de l'éducation et de la formation tout au long de la vie. À la tribune, Koïchiro Matsuura, Ján Figeľ, Catherine Odora-Hoppers et Jacques Attali.

Par - Le 16 novembre 2008.

“L'éducation doit être possible pour tous et tout au long de la vie, nous n'avons pas le droit d'échouer", a averti Koïchiro Matsuura, directeur général de l'Unesco. Une condamnation au succès qui s'inscrit dans la certitude que l'éducation est à la fois indispensable à l'épanouissement de l'humanité et à l'efficacité économique. “L'augmentation d'un an dans la scolarité d'un pays, a-t-il rappelé, peut accroître jusqu'à 6 % le PIB national." L'ETLV n'est pas pour autant “seulement une question pédagogique et technique", c'est aussi une question politique qui nous invite à “d'abord travailler à l'émergence de sociétés du savoir inclusives, participatives et globales". Un objectif qui implique de relever “deux défis pour concilier efficacité et équité : celui de l'investissement et celui de l'inclusion". Défi de l'investissement que “la crise financière actuelle ne saurait compromettre". Défi de l'inclusion pour “garantir qu'à aucun moment de sa vie, on ne sera exclu de la possibilité d'apprendre". Pour réussir, “l'éducation devra être accessible, d'un coût raisonnable et de qualité". Et d'appeler à la “réinvention de l'idée d'apprendre" grâce au concept d'éducation tout au long de la vie, qui propose une “manière globale d'envisager notre rapport au temps, au savoir et à nous-mêmes". Le directeur général a décrit une “révolution copernicienne", où “ce n'est plus le savoir qui tourne autour de la société, mais la société qui tourne autour du savoir".

L'éducation, aussi importante que la santé

Pour Jacques Attali – économiste, écrivain et président de PlaNet Finance –, “une des grandes révolutions à accomplir est de considérer l'éducation comme aussi importante que la santé". Et ce n'est “pas du tout le cas aujourd'hui, alors que l'ignorance est une maladie contagieuse qui entraîne les dictatures et la barbarie". À tel point que l'éducation lui apparaît comme un “formidable échec, alors que la santé est un succès : on n'enseigne pas mieux qu'avant, le niveau d'analphabétisme augmente, le système éducatif ne s'améliore pas malgré des dépenses publiques en forte croissance".

Jacques Attali a invité notamment à diversifier les formes de l'éducation en considérant le travail comme une “forme de formation". Estimant que “se former est une activité socialement utile qui mérite rémunération". Autre point de son argumentation, la dénonciation de l'absence de tout progrès en matière de méthodes pédagogiques. “L'introduction des technologies ne fait que continuer les méthodes traditionnelles, le progrès est nul : il faut toujours 2 000 heures pour apprendre une langue. Nous ne connaissons rien du fonctionnement du cerveau." D'où un appel au développement d'une “industrie de l'éducation qui articule neuro-sciences et sciences de l'éducation". Et une conclusion sans appel : “Si le secteur n'est pas capable de rentrer dans une vague de progrès technique et de productivité, tout le discours sur le développement de l'ETLV n'est que paroles vaines."

“Nous avons besoin d'instances mondiales sur l'éducation"

L'Europe évolue vers une “communauté fondée sur des personnes et des valeurs", estime le commissaire européen Ján Figeľ, chargé de l'éducation, de la formation, de la culture et de la jeunesse. Cette communauté naissante a besoin d'éducation : “Si nous pouvons rester ensemble, apprendre ensemble, nous aurons peut-être un XXIe siècle du « vivre ensemble » et pas seulement de l'« exister ensemble ». Nous avons besoin d'instances mondiales sur les finances, mais peut-être aussi et surtout sur l'éducation". Développant la question des contenus, Ján Figel' a souligné l'importance de “prévoir les connaissances dont nous aurons besoin autour de 2020". Il ne faut pas “normaliser" les contenus, mais s'en remettre à la “subsidiarité", en veillant seulement à la “compatibilité" des qualifications et diplômes, a-t-il ajouté en citant le modèle du cadre européen des qualifications : “Peu importe dans quel cadre on a étudié, ce qui importe, c'est ce que l'on a appris." À cet égard, “les stratégies d'apprentissage tout au long de la vie favorisent l'inclusion" et doivent donc devenir une “réalité".

Tenir compte des réalités de l'humanité

L'universalité des valeurs est bien occidentale pour Catherine Odora-Hoppers, professeur sud-africaine, responsable de la chaire de l'éducation pour le développement à l'Univer-sité de Pretoria. Interpellant l'Occident, et singulièrement l'Europe, sur leur capacité à prendre en compte les réalités du monde, Catherine Odora-Hoppers a appelé les décideurs à ne pas enfermer l'“éducation tout au long de la vie" (ETLV) dans les frontières du “formel" (i. e., la formation initiale). “70 % des Africains vivent en zone rurale", a-t-elle souligné, avant d'inviter les politiques à “repenser l'ETLV pour l'aligner sur les réalités de l'humanité, avec un système qui intègre la diversité : il faut une idéologie morale qui tienne compte de la réalité des personnes auxquelles elle s'adresse." Si nous voulons une “mondialisation qui fonctionne", il faut trouver le moyen de “concilier diversité culturelle et interdépendance du monde". À trop “réduire l'éducation au « formel » et à exiger l'alignement stratégique sur la réalité d'autres pays", nous engrangeons des “millions de laissés-pour-compte". Et de s'interroger en conclusion sur la capacité des Européens à “agir de manière morale, c'est-à-dire de voir les points saillants d'une différence".

[(Un cycle de conférences internationales

Organisés avec le Bureau de la prospective de l'Unesco, les “Entretiens du XXIe siècle" forment un cycle de conférences internationales visant à renforcer la fonction de veille intellectuelle et l'espace de dialogue international sur les principaux enjeux de l'avenir.

La session du 29 octobre, intitulée “Éducation pour tous tout au long de la vie : pour quand ?", était modérée par Hans d'Orville, sous-directeur général de la planification stratégique de l'Unesco.)]