Accessibilité numérique et handicap : les acteurs publics hors la loi ?

Par - Le 01 juillet 2012.

Dans son article 47, la loi du 11 février 2005 relative à l'égalité des droits et des chances apparaît claire : l'accessibilité (y compris numérique) concerne “tous les services de l'État, des collectivités territoriales et des établissements publics qui en dépendent". Une disposition légale qui concerne également les organismes de formation publics, mais aussi les privés bénéficiant d'un financement étatique ou issus des collectivités locales. Problème : en l'absence de contrôles et de sanctions, le texte relève encore du vœu pieux.

Le législateur avait fixé le 14 mai 2012 comme date limite pour les organismes de formation (OF) pour adapter leurs documents, sites internet, contenus et méthodes pédagogiques aux besoins de leurs stagiaires handicapés. Alors, sept ans après la loi, les OF sont-ils fin prêts à relever le défi de l'accessibilité numérique. “Non !", répond Sonia Le Louarn, secrétaire générale du Forum français pour la formation ouverte et à distance (Fffod). “La majorité des OF publics n'ont pas jugé utile de s'adapter et sont donc entrés, depuis le 14 mai dernier, dans l'illégalité. Quant aux organismes privés, ils ne se sentent pas obligés d'appliquer la loi puisqu'ils voient leurs homologues publics ne pas s'en soucier."

Une situation peu glorieuse pour la France, très en retard sur les États-Unis qui, eux, ont intégré depuis longtemps la question de l'accessibilité numérique dans le corpus de la lutte contre les discriminations dès 1973 au travers de la section 508 du Rehabilitation Act (amendé par le Workforce Investment Act de 1998). “En France, il aura fallu attendre l'année 2005…", regrette Jean-Philippe Simonnet, responsable des développements internet et chef de projet accessibilité à Centre Inffo, impliqué par ailleurs dans la gestion du portail Médias sous-titrés, consacré à promouvoir le sous-titrage à destination des sourds et malentendants. En 2006, la Convention des Nations Unies, dans son article 9, avait d'ailleurs clairement proclamé le droit à l'accessibilité pour tous, “sans discrimination de situation sociale, professionnelle ou financière, tant dans les zones rurales qu'urbaines". Une convention ratifiée par la France et l'Union européenne le 23 décembre 2010.

Et depuis ? Pas grand-chose, à en croire les professionnels impliqués dans les questions d'accessibilité. “Le Référentiel général d'accessibilité pour les administrations (RGAA), censé rendre progressivement accessible l'ensemble des informations fournies par ces services de l'État, demeure encore méconnu, voire jugé trop généraliste, pour ne pas dire ésotérique", estime Jean-Philippe Simonnet, d'autant que les consignes de l'État se limitent souvent à de simples recommandations en dépit de l'obligation légale issue de la loi du 11 février 2005 et du décret du 14 mai 2009 la complétant.
Un groupe de chercheurs et de spécialistes, baptisé Collectif article 47, s'est d'ailleurs investi dans une simplification des règles du RGAA, afin de permettre aux services publics de mieux se les approprier.

Toutefois, en dépit de ce travail et d'un appel lancé aux ministres de Nicolas Sarkozy concernés (consultable sur leur site : www.article47.fr), les progrès en matière d'accessibilité sont peu notables. “La loi est violée pour de mauvaises raisons : celles qui sont régulièrement invoquées relèvent des coûts de production, alors que tout réside dans la problématique de la lisibilité des contenus de formation", explique Dominique Burger, président de l'association Braillenet et ingénieur de recherches à l'Inserm, un universitaire qui regrette qu'en négligeant de s'adapter, “l'Université et l'enseignement supérieur se soient mis hors-la-loi". Une situation d'autant plus absurde qu'à en croire le chef de projets de Centre Inffo, s'appuyant sur une étude menée par IBM, l'accessibilité profite au plus grand nombre, pas seulement aux personnes en situation de handicap. “Un individu dont le bras ou le poignet serait cassé rencontrera toutes les difficultés du monde à cliquer sur un bouton ou un lien qui ne fait que quelques pixels à l'écran. De même, quelqu'un n'ayant pas l'habitude d'utiliser internet se retrouverait mal à l'aise face à la barre de recherche Google si un petit onglet « rechercher » n'était pas placé à proximité immédiate." Une réalité nouvelle qui présente le mérite, selon Dominique Burger, “d'en finir avec l'artisanat du web et de persuader les DSI et webdesigners d'entrer dans l'ère de la production industrielle". Méfiance, toutefois, face à la tentation de confondre accessibilité et communication pure, comme l'explique Jean-Philippe Simonnet : “Souvent, les réflexions autour de l'accessibilité numérique sont entamées dans le cadre d'une logique de communication, afin de se donner une image responsable." Il n'empêche qu'à ses yeux, “cette volonté de communiquer peut avoir pour conséquence positive une montée en qualité des services proposés".

Nonobstant ces progrès, les pouvoirs publics sont encore loin de s'être emparés des thématiques de l'accessibilité numérique. “Comme pour les questions d'accessibilité des bâtiments, on a cherché à minimiser les coûts de transformation pour privilégier les effets d'annonce", dénonce Dominique Burger, qui table sur le recours aux tribunaux ou aux instances européennes (particulièrement dans le cadre du programme “e-Europe 2020") pour voir les dispositions légales enfin appliquées. “Il sera intéressant de voir quelle jurisprudence pourra émaner des attaques en justice que ne manqueront pas d'intenter, tant au niveau français qu'européen, les associations de handicapés contre les pouvoirs publics qui ne respectent pas la loi de 2005 sur l'égalité des chances."