Psychologue du travail : un métier en voie de disparition ?

Par - Le 01 juin 2012.

1982 : l'Afpa lance une campagne de recrutement de psychologues du travail. 2010 : l'Afpa s'en sépare en application de la loi du 24 novembre 2009, et les transfère à Pôle emploi, désormais missionné sur l'orientation des chômeurs. On peut s'interroger sur les raisons de ce transfert : ne s'agit-il que d'une question d'argent ? “Tout est parti de la plainte de la FFP contre l'association", explique Gilles Morinière, aujourd'hui psychologue à Pôle emploi en Pays de la Loire.

Pour la Fédération de la formation professionnelle (organisation patronale des organismes de formation privés), l'Afpa était avantagée du fait du financement par l'État de l'activité d'orientation. Le Conseil de la concurrence a conclu que la situation de l'Afpa contrevenait au principe de l'Union européenne de “concurrence libre et non faussée". “S'est alors déclenché un processus visant à banaliser l'Afpa, à faire en sorte qu'elle devienne un organisme de formation comme un autre", déplore le psychologue, également syndicaliste CGT.
Depuis cette décision du Conseil de la concurrence, l'activité des psychologues de l'Afpa est considérée comme relevant du service public. La loi du 24 novembre 2009 a donc prévu que dans le cadre du service public de l'emploi, les personnels qui réalisent les “diagnostics initiaux" et proposent des parcours de formation soient rattachés (au 1er avril 2010) à Pôle emploi. S'est ensuivi un accord relatif à l'intégration de ce personnel dans la convention collective nationale de Pôle emploi, pour reconnaître le statut de psychologue du travail et ses conditions d'exercice.

En avril 2010, tout semblait se passer tranquillement. “L'ensemble des 40 psychologues de Pays de la Loire a suivi", explique Gilles Morinière, qui insiste sur le fait “que, malgré une forte mobilisation syndicale au tout début, les salariés se sont fait une raison, certains de nos collègues considérant même que cela n'était pas plus mal de quitter l'Afpa pour un service public". Aujourd'hui, certains parlent d'illusion… “Nous étions en réalité une goutte d'eau dans cette grosse boutique", observe le psychologue.

En effet, sur le terrain, les syndicats de l'Afpa ont pu recueillir des sentiments mitigés sur les conditions de travail : pas de bureau, donc pas de confidentialité, pourtant garantie par Pôle emploi. Par ailleurs, les salariés transférés ont constaté une vision différente du “service" rendu aux chômeurs, appelés “clients" par Pôle emploi… “L'orientation est vue comme une mesure administrative : nous constatons un besoin, nous relayons. Alors que notre rôle allait au-delà. Il s'agissait de recevoir une personne, de faire avec elle un choix de formation, de l'envoyer dans un centre Afpa et d'en suivre les effets. Cela nous permettait également d'avoir un feed back sur les formations pour éventuellement les ajuster s'il y avait des difficultés. C'était important pour tous les stagiaires", rappelle Gilles Morinière.
Bientôt de simples conseillers ?

Les psychologues déplorent ainsi d'être devenus “monotâches". Leur activité se concentre sur la construction de parcours de formation, et non plus sur l'émergence de projets, le diagnostic et le conseil, l'aide au reclassement, etc. Sans parler des nouvelles évolutions, les menant de plus en plus vers les missions de conseiller. “Certaines missions sont assurées aussi bien par les psychologues que par les conseillers, précise Gilles Morinière. Pôle emploi crée des prestations qui ne sont pas spécifiques et qui sont réalisées indifféremment par les uns et les autres, laissant à penser que nous serons un jour ou l'autre simplement des conseillers polyvalents."
Une autre question inquiète les psychologues de Pôle emploi : celle des outils. Jusqu'à présent, “l'instrumentation" de l'Afpa était validée au regard de la déontologie, ce qui n'est pas le cas à Pôle emploi, qui a confié sa réalisation à un bureau d'études. Enfin, une négociation est en cours pour redéfinir les classifications. “Il n'est pas acquis que Pôle emploi maintienne le métier de psychologue du travail dans sa structure", estime Gilles Morinière. La direction avait en effet proposé début 2011 de remplacer le métier de psychologue par celui de “chargé d'orientation". Sous la pression des syndicats, elle a dû faire machine arrière, mais la négociation n'est pas terminée.

Depuis plusieurs mois, les psychologues d'Île-de-France particulièrement touchés par les conséquences de ce transfert, ont fait le choix de la grève, “afin de faire respecter les conditions initiales". “Le constat est extrêmement sombre. Il est manifeste d'une situation où les risques psychosociaux sont réels. Les psychologues du travail sont une chance pour l'institution Pôle emploi], dont une des missions essentielles est l'orientation et la formation. (…) Il est essentiel que les personnels de l'orientation trouvent enfin leur place, pour que Pôle emploi investisse totalement ces compétences", peut-on lire sur le blog “[La fusion pour les nuls".