Transfert du contrôle des fonds du handicap en entreprise de l'État à l'Agefiph : syndicats et associations disent “non"

Par - Le 01 juillet 2012.

Dans le cadre de la RGPP, la loi de finances 2011 a prévu le transfert de la gestion de la déclaration annuelle obligatoire d'emploi des travailleurs handicapés (Doeth) à l'Agefiph en lieu et place des Direccte, jusqu'alors en charge. Début juin, six organisations syndicales et autant d'associations ont demandé au nouveau ministre Michel Sapin l'abrogation pure et simple de cette disposition.
Rappel des textes. Dans son article 208, cette loi de finances prévoit, à compter du premier janvier 2013, que l'Agefiph “assurera la gestion et le contrôle de la déclaration annuelle" dans son intégralité. L'article 2 du projet de décret précise que cela recouvre la gestion des déclarations, les contrôles de cohérence et de conformité, le contrôle des contributions, la gestion des indus et des trop-perçus, ainsi que le traitement des recours gracieux, hiérarchiques et contentieux.

Un texte qui ferait de l'Agefiph, non seulement une partie, mais surtout le juge de la politique publique d'emploi des personnes handicapées, particulièrement vis-à-vis des employeurs, risquant même de créer des conflits d'intérêt entre sa fonction actuelle d'appui au entreprises et celle du contrôle de l'utilisation des fonds que pourrait lui imposer la loi, si son décret d'application venait à être publié. C'est ce risque qui a poussé l'ensemble des organisations syndicales (y compris les non-représentatives que sont l'Unsa et la FSU), ainsi que six associations représentant les personnes handicapées et leurs familles, à choisir d'adresser une lettre à Michel Sapin, le 7 juin dernier, afin de solliciter l'abrogation de la partie du texte concernée et, par voie de conséquence, le maintien de la mission de la Doeth aux Direccte.

Une disposition “nuisible" pour l'Agefiph

“Le Conseil nationale consultatif des personnes handicapées (CNCPH) a rendu un avis défavorable sur ce texte. En effet, l'impact d'un tel transfert est considérable pour l'Agefiph, dont les missions actuelles visent le développement de l'emploi des personnes en situation de handicap", indiquent les organisations signataires du texte, qui rappellent que le taux de chômage des handicapés atteint d'ores et déjà 22 %, soit près de 300 000 personnes en France.
“Nos organisations ne peuvent accepter ce transfert de compétences", confirme Solange Fasoli, chargée de mission confédérale de la CGT-Fiph et signataire pour le compte de son syndicat. “La mission de contrôle que l'État entend confier à l'Agefiph doit revenir aux Direccte, car l'association ne peut à la fois se trouver en situation d'être récipiendaire des fonds et contrôleuse de ces derniers. C'est une question essentielle pour garantir la transparence de la gestion des sommes allouées."

Même avis du côté de la Fnath, l'association des accidentés de la vie, dont le secrétaire général, Arnaud de Broca, estime “nuisible" l'idée d'un tel transfert de compétence. “Le débat n'est pas nouveau, explique-t-il. Certes, pour les entreprises, l'application du décret ne changerait pas grand-chose. En revanche, la situation serait extrêmement pénible pour l'Agefiph, qui verrait sa nature changer radicalement, puisqu'elle serait alors en situation de devoir gérer la déclaration annuelle obligatoire d'emploi des travailleurs handicapés, de vérifier la véracité de ces déclarations en procédant à des contrôles dans les entreprises, et, le cas échéant, de déclencher des recours contentieux contre celles qui ne déclareraient pas, ou mal. Au total, en cas de promulgation du décret, nous estimons à quinze personnes environ le nombre d'employés supplémentaires que devrait embaucher l'Agefiph pour remplir ses missions ! Inutile de dire que les frais que cela entraînerait représentent autant d'argent qui n'ira pas à la promotion du handicap au travail."

La CGT-Fiph estime qu'actuellement, 20 % des entreprises de 20 salariées ne respectent pas le quota obligatoire de 6 % de salariés handicapés dans leur effectif. “Et pourtant, la première loi sur l'intégration des travailleurs handicapés date de 1957, la création de l'Agefiph à 1987 et la loi pour l'égalité des droits et des chances a été votée en 2005 ! Croit-on vraiment que rajouter la gestion du contrôle à l'Agefiph améliorera une situation où les objectifs fixés depuis plus de cinquante ans sont encore loin d'être atteints ?", interroge Solange Fasoli. Le Syntef-CFDT, lui, redoute que l'application du décret ne conduise les usagers à “se heurter à une approche davantage comptable et financière que celle, intégrative et sociale, qui était jusqu'alors en vigueur".

D'autant que, selon Arnaud de Broca, ce décret, non encore promulgué, s'inscrit dans un contexte particulier : celui d'une baisse de la collecte, constante au cours des quatre dernières années, due, entre autres, aux exonérations dont bénéficient certaines entreprises. “L'État ne prévoit aucune compensation financière pour aider l'Agefiph à assurer l'éventuelle mission qui pourrait être la sienne au 1er janvier 2013, souligne-t-il. Si les crédits de l'association diminuent alors que ses charges augmentent, le contrôle des fonds ne pourra que s'effectuer au détriment de ses autres tâches, que sont l'emploi des travailleurs handicapés et l'amélioration de leur qualité de vie dans l'entreprise."

Pour un “Haut-commissariat au handicap"

Étonnant, cependant, qu'un tel texte ait été adressé en priorité à Michel Sapin, ministre du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social, plutôt qu'à sa collègue Marisol Touraine, en charge des Affaires sociales et de la Santé, voire à Marie-Andrée Carlotti, ministre déléguée aux Personnes Handicapées. Même si ces dernières (ainsi que le chef du gouvernement, Jean-Marc Ayrault) soient également destinataires de la lettre. “Marie-Andrée Carlotti n'est qu'une ministre déléguée, observe sans ambages la CGT-Fiph, sa nomination est, bien entendu, une bonne nouvelle pour les associations représentatives des personnes handicapées, mais elle ne pourra prendre en charge seule l'initiative de l'abrogation que nous souhaitons."

Arnaud de Broca, lui aussi, se réjouit de l'appui que pourra apporter une ministre dédiée aux personnes handicapées, mais regrette que son portefeuille dépense de celui des Affaires sociales. “Le handicap dépasse le cadre des affaires sociales, considère le secrétaire général de la Fnaph. De quelle autorité disposent Marisol Touraine et Marie-Andrée Carlotti sur le logement ou l'Éducation nationale ? D'aucune. À titre personnel, j'aurais préféré voir la nomination d'un Haut-commissaire placé directement sous l'autorité du Premier ministre, ce qui aurait pu créer une véritable transversalité entre tous les ministères concernés."

L'association qu'il préside, cependant, a d'ores et déjà rencontré Marie-Andrée Carlotti, à l'occasion d'une première visite de présentation. Pour l'instant, Michel Sapin n'a pas encore convenu d'une date de rencontre avec les signatures, ni annoncé sa décision concernant le texte incriminé, mais la situation aura permis, selon Solange Fasoli, d'établir un “consensus remarquable entre les organisations syndicales, les associations et même les représentants des employeurs, même si ces derniers ne sont pas signataires de l'appel".

Les signataires

Outre les cinq confédérations syndicales représentatives (CGT, CFE-CGC, CFDT, CFTC, FO), les signataires sont la FSU, l'Unsa, l'Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei), l'Association des paralysés de France (APF), la Confédération française pour la promotion sociale des aveugles et amblyopes (CFPsaa), l'Association pour adultes et jeunes handicapés (Apajh), l'Union nationale pour l'insertion sociale du déficient auditif (Unisda) et la Fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés (Fnath).