Formateurs indépendants : la professionnalisation pour échapper à la précarisation

Par - Le 16 février 2013.

“Nous sommes les skippers de la formation. Les petits navires qui peuvent aborder les petites criques où les gros tonnages ne peuvent accoster." Tout en élégance, la métaphore maritime de Lionel Soubeyran, président du Sycfi (Syndicat des consultants-formateurs indépendants, né de la récente fusion des ex-Sycfor et FCF) révèle la réalité du métier de formateur-consultant indépendant.
Une réalité professionnelle qu'avait illustré le sénateur UMP Jean-Claude Carle en décembre 2012, à l'occasion d'une question adressée à Thierry Repentin relative à la préservation et à la sécurisation du statut de formateur occasionnel, en résumant le champ d'action de ces freelances par la règle des 3 P − “proximité, partenariat, personnalisation".

Des indépendants proposant du “sur-mesure"

“La force des indépendants, c'est leur capacité à fournir des solutions sur mesure à leurs clients, sans recourir à des formules sur catalogue", explique Michel Farhi, président de la Fédération des chambres syndicales des formateurs-consultants (CFSC). Une force qui, à ses yeux, repose principalement sur “le travail de proximité, l'implantation territoriale et la capacité de tisser un réseau de clients et de relations".

La culture du réseau : le point-clé de l'activité de formateur indépendant à une époque où la “durée de vie" d'un client s'élève à cinq ans. Cependant, la création de ces liens professionnels représente une part considérable du temps des 7 410 formateurs-consultants indépendants recensés (étude Acoss de 2010) car, à l'image de tous les “freelances", l'indépendant est une entreprise à lui tout seul : tour à tour formateur, ingénieur pédagogique, spécialiste de son domaine d'expertise, mais aussi commercial, comptable, communicant et administrateur de son activité.
Statutairement, 50 % de ces professionnels exercent à titre individuel, qu'ils soient travailleurs non salariés ou en EIRL[ 1 ] Entrepreneur individuel à responsabilité limitée.. 25 % sont gérants de SARL [ 2 ]Société anonyme à responsabilité limitée., 15 % sont rémunérés par portage salarial [ 3 ]Ensemble de relations contractuelles organisées entre une entreprise de portage, une personne portée et des entreprises clientes comportant pour la personne portée le régime du salariat et la rémunération de sa prestation chez le client par l'entreprise de portage. Il garantit les droits de la personne portée sur son apport de clientèle. et les 10 % restants ont fait le choix de structures coopératives (type Scop) ou, depuis 2009, de l'auto-entreprise. “Le statut d'auto-entrepreneur constitue une bonne formule pour se lancer, selon Lionel Soubeyran, mais l'auto-entrepreneur se retrouve vite limité par le plafond de 32 600 euros de chiffre d'affaires fixé par la loi. Après quoi, il est nécessaire de changer de statut si l'on veut véritablement vivre de son activité."

Reconversion, isolement et précarité

Vivre de son activité, c'est précisément le premier défi qu'ont à relever les formateurs indépendants. Et, sans surprise, les auto-entrepreneurs constituent les bataillons de précaires de la profession. Ainsi, au plan national, depuis 2009 et l'entrée en vigueur de ce statut, 2 200 freelances se sont lancés dans la formation au titre de l'auto-entreprise et “seuls 200 d'entre eux ont pu obtenir un numéro d'activité", estime le patron des CFSC. Ils ne sont cependant pas les seuls à mal vivre de cette activité, puisqu'une étude réalisée par les chambres syndicales des formateurs-consultants calculait que près de 25 % d'entre eux tiraient moins de 10 000 euros de chiffre d'affaires annuel. “Souvent, il s'agit de jeunes qui se lancent sur le marché de la formation car ils ne trouvent pas de travail ailleurs… Il peut aussi s'agir de seniors jugés inemployables du fait de leur âge et à qui des institutions telles que l'Apec conseillent de se tourner vers cette activité". Et qui, de fait, peuvent être tentés de brader leurs services, causant non seulement des problèmes de concurrence faussée entre professionnels, mais aussi de retraite, puisque les auto-entrepreneurs cotisent peu auprès de la Cipav (la caisse des professions libérales) et élargissent d'autant l'assiette des prestations à verser.
Quant à la solution du portage salarial, elle présente un nombre non négligeable d'avantages (le freelance est salarié par une société de portage et cotise donc auprès des caisses idoines), mais aussi d'écueils. Outre la “gourmandise" de ces entreprises qui peuvent prélever jusqu'à 50 % du chiffre d'affaires d'un indépendant, leur statut d'employeur peut aussi, à terme, porter préjudice à leurs clients. “Dès que l'une de ces sociétés se fera redresser de plusieurs dizaines de milliers d'euros par une Direccte, cela risque de rendre les autres particulièrement réticentes à prendre en charge les consultants-formateurs", avertit le président du Sycfi.

Peu syndiqués

Tous les clignotants sont-ils passé au rouge pour les indépendants ? Non, si l'on se fie aux chiffres des CSFC qui démontrent qu'un quart de ces professionnels génère un chiffre annuel compris entre 70 000 et 100 000 euros (sur une base de cent vingt jours travaillés par an). “Ceux-là vivent très bien de leur activité, mais, souvent, ils ne militent pas dans nos organisations syndicales. Ils n'en ressentent pas le besoin", regrette le président des CSFC.
Aujourd'hui, on estime que la majorité des consultants parvient à tirer un chiffre d'affaires compris entre 30 000 et 60 000 euros à l'année, la moyenne oscillant autour de 40 000 euros, mais dans un contexte de précarité en augmentation. “40 000 euros, c'était ce que je générais il y a encore deux ans, ce qui me permettait de me rémunérer comme un cadre moyen. Depuis, j'ai constaté une baisse drastique des budgets formation, ce qui a ramené cette rémunération à une fourchette de 22 000 - 30 000 euros par an", avoue ainsi un freelance spécialisé dans le management d'équipe souhaitant rester discret sur son identité.

Les rançons de la sous-traitance

La cause, outre la diminution des budgets formation ? L'effet de retard entre le temps de prospection-client et le moment du paiement, fréquent lorsqu'un indépendant se voit contraint de renouveler sa clientèle. Dans ces conditions, la sous-traitance pour de “gros" OF est souvent perçue comme un moyen d'assurer son fonds de portefeuille et, ainsi, de pouvoir évoluer dans un contexte relativement sécurisé.

“L'inconvénient majeur de cette formule est qu'elle détricote notre travail de formateurs sur mesure et nous demande de nous adapter aux catalogues des organismes", annonce Lionel Soubeyran. En outre, la tendance des OF donneurs d'ordre est à la réduction des tarifs.

“Idéalement, une journée de formation correctement rémunérée oscille entre 1 200 et 1 500 euros pour un consultant. En cas de sous-traitance, un indépendant peut accepter de revoir ses tarifs autour de 800 euros, puisqu'il n'a ni prospection commerciale, ni ingénierie de formation à développer. Mais en dessous de 700 euros, en sachant que les formateurs doivent encore régler 46 % de cotisations sociales sur la somme encaissée, ce n'est pas viable."

En dehors des OF, Pôle emploi et les chambres consulaires sont également susceptibles de faire appel à des freelances. “Eux aussi partent du principe que les prestataires doivent être rentabilisés. Aussi, leurs planchers de rémunérations sont assez faibles – parfois moins de 200 euros la journée de travail ! – et il est difficile à un formateur-consultant d'en vivre décemment, à moins de compenser par de gros volumes de commandes", indique Michel Farhi. Avec le risque, en multipliant les activités de sous-traitance, d'y perdre l'essence même d'un métier dont l'adaptation au cas par cas demeure la principale plus-value.

Les indépendants, “variables d'ajustement" de la formation

Les indépendants sont-ils condamnés à constituer les variables d'ajustement de la formation professionnelle, à l'image de ce que sont les intérimaires pour l'industrie et le BTP ou les pigistes pour la presse ? Cette question taraude les deux principaux syndicats de freelances, d'autant qu'en l'absence de tout “observatoire" de la profession, il paraît difficile de déceler les tendances de l'avenir.

“Les marchés diminuent, les partenariats diminuent et les donneurs d'ordre serrent la gorge à leurs sous-traitants", résume, quelque peu fataliste, Michel Farhi. Côté Sycfi, cette interrogation sur la nature même de la profession de formateur-consultant indépendant a poussé cette instance à mener un travail de recherche, appuyé par des universitaires, afin de définir les contours exacts de ce métier. Les CSFC, pour leur part, se sont lancées dans une démarche de labellisation, de certification, de professionnalisation et d'expertise, ce pourquoi elles ont rencontré le ministre de la Formation professionnelle début février 2013.

“Nous sommes des professionnels libéraux en situation de structuration, analyse Lionel Soubeyran. Force est de reconnaître qu'une partie de la profession se porte mal. Mais c'est la professionnalisation qui sauvera notre métier de la précarisation".

Se former soi-même quand on est formateur indépendant

Dans un contexte de renforcement de l'expertise comme solution à la précarisation du métier, les consultants-formateurs indépendants sont amenés à remettre régulièrement leurs compétences à jour et à faire évoluer leurs connaissances professionnelles.

À l'exception des indépendants sous régime de portage qui sont, de fait, salariés et bénéficient ainsi des mêmes accès aux dispositifs de la formation professionnelle que tous les autres salariés (Dif, Cif, etc.), les travailleurs non salariés qu'ils soient TNS (Travailleurs non salariés.), auto-entrepreneurs, etc., paient, en février, une contribution formation au Fonds interprofessionnel des professions libérales (Fif-PL) leur permettant de bénéficier d'actions de formation à hauteur de 600 euros annuels, répartis sur six journées par an.

À la suite d'une demande présentée par la Fédération des CSFC auprès du ministère du Travail, cette contribution a été majorée, passant de 54 à 91 euros, permettant, à partir de février 2013, de voir cette somme s'élever à 1 200 euros par an, toujours pour six journées. “Certes, le coût auprès de l'Urssaf est sensiblement plus élevé qu'auparavant", reconnaît Michel Farhi, président de la Fédération des chambres syndicales des formateurs-consultants, “mais le retour sur investissement est fabuleux !"

De plus, en 2013, un fonds spécifique pour les formations de longue durée a été accordé par le Fif-PL aux formateurs indépendants, leur permettant, notamment, d'accéder aux bancs de l'Université dans le cadre de reconversions professionnelles (VAE, formation à la création d'entreprise libérale, etc.). Ce fonds pourrait permettre à chaque bénéficiaire de bénéficier d'un appui supplémentaire de 2 000 à 3 000 euros en sus des 1 200 euros annuels pour financer des actions de formation.

Trente-deux ans d'activisme syndical

C'est dix ans après la promulgation de la loi de 1971
relative à la formation professionnelle tout au long de la vie que la Chambre syndicale des formateurs-consultants
(CSFC) a vu le jour, regroupant les professionnels indépendants, au titre de la loi Waldeck-Rousseau de 1884 sur les groupements professionnels. Dans sa charte originelle, la CSCG “se donne pour objectif la défense et la représentation des professionnels de la formation en tant que personne physique" (in L'ingénierie de la formation, Christophe Parmentier, Eyrolles). À partir de 1995 et jusqu'aux environs de l'année 2000, la CSFC change ses structures et, d'une organisation regroupant diverses fédérations, elle se scinde en plusieurs chambres régionales juridiquement indépendantes et prend le nom de Fédération des chambres syndicales des formateurs-consultants. “Le changement a été particulièrement mal géré et l'organisation est devenue ingouvernable", se souvient Lionel Soubeyran, alors trésorier fédéral des CSFC.

Dès lors, l'ensemble du CA a choisi de quitter la fédération pour créer une nouvelle structure : le Sicfor (Syndicat des indépendants consultants et formateurs).

Une autre scission dans la représentation syndicale des indépendants survient en 2005, lorsque la branche Pays de la Loire des CSFC, en crise avec la gouvernance nationale, quitte à son tour la Fédération pour fonder la FCF (Fédération des consultants-formateurs) qui, en dépit de désaccords de fond et de forme avec le Sicfor, choisit néanmoins de s'en rapprocher “sur la base du plus petit dénominateur commun : la défense du métier".

Au fil des actions communes et des rencontres, les adhérents des deux syndicats poussent à la fusion et c'est chose faite le 4 décembre 2010, date à laquelle les deux organisations fusionnent pour devenir le Sicfor-FCF qui, le 25 octobre 2012, devient le Sycfi (Syndicat des consultants-formateurs indépendants).

Quant aux contacts avec les CSFC, ils n'ont jamais été vraiment rompus (d'autant que des représentants des deux structures siègent conjointement à la Commission nationale des professions libérales, CNAPL) et, en janvier 2013, des rapprochements entre la Fédération et le Sycfi ont été envisagés.

“S'ils souhaitent revenir à la maison, nous les accueillerons volontiers", indique Michel Farhi, président de la Fédération. De son côté, Lionel Soubeyran n'y verrait pas spécialement d'inconvénient, mais, à ses yeux, “un tel rapprochement doit être une volonté exprimée par la base et non au niveau des états-majors". À l'heure actuelle, le Sycfi compte 312 adhérents et les CSCF un peu moins de 200.

Notes   [ + ]

1. Entrepreneur individuel à responsabilité limitée.
2. Société anonyme à responsabilité limitée.
3. Ensemble de relations contractuelles organisées entre une entreprise de portage, une personne portée et des entreprises clientes comportant pour la personne portée le régime du salariat et la rémunération de sa prestation chez le client par l'entreprise de portage. Il garantit les droits de la personne portée sur son apport de clientèle.