Les indépendants, “entre bureaucratie et subordination"

Par - Le 16 février 2013.

Aux yeux de l'État et des partenaires sociaux, le travail indépendant demeure encore suspect en France, où le droit du travail est construit autour de la notion de salariat. Car, outre le manque à gagner pour les caisses de l'Urssaf, le travail indépendant peut facilement être assimilé à du travail dissimulé, voire clandestin.

Aussi, depuis quelques années, la tendance administrative est au durcissement du contrôle des relations entre donneurs d'ordres et sous-traitants, ce qui, dans le cas des organismes de formation recourant à l'externalisation, se traduit par l'obligation, inscrite dans la loi du 24 novembre 2009, de s'assurer que leurs sous-traitants − qu'il s'agisse d'OF de plus petite taille ou de freelances − soient à jour de leurs déclarations sociales, fiscales ou relatives à leurs titres et qualités. Plus récemment, l'extension du CD2i à l'ensemble des organismes de formation (voir dans ce numéro, pp. 28-29) peut être également perçue comme une volonté de “lisser" les rémunérations des formateurs indépendamment de la fréquence des commandes de leurs donneurs d'ordres afin de les accoler davantage au Code du travail et aux règlements de l'Urssaf.

L'auto-entreprise pour se lancer ou compléter ses revenus

Le cas des freelances installés dans le cadre d'une SARL, EIRL, Scop [ 1 ]Société coopérative et participative. ou au statut de travailleur non salarié (TNS) étant déjà encadré par le droit du travail, les auto-entrepreneurs (introduits par la loi de modernisation sociale de 2008, dite “loi Novelli") et les indépendants évoluant sous le régime du portage salarial font figure d'exceptions dans le contexte légal de la formation professionnelle. Concernant l'auto-entreprise, la limitation du chiffre d'affaires à 32 600 euros annuels en fait avant tout un statut permettant à des juniors de se lancer dans l'aventure du “consulting freelance", ou a contrario, un moyen pour des seniors, voire des retraités, de compléter leurs revenus. C'est ainsi que, par exemple, des professeurs de faculté à la retraite (“émérites") exercent sous ce statut, confrontant leurs expériences universitaires à des apprenants venus au titre de la formation continue.

La “para-subordination" du portage salarial

Demeure le cas du portage salarial, suivi de très près par les partenaires sociaux, tant ce régime (qualifié de “para-subordination" par Jacques Barthélémy, fondateur du cabinet d'avocats éponyme et enseignant en droit social à l'Université de Montpellier) est à la lisière entre le droit du travail et la prestation commerciale.
Pour Pierre-François Tallet, juriste à Centre Inffo, les entreprises de portage salarial (dont le nombre s'est multiplié avec la crise) sont autant de “coquilles vides qui externalisent totalement les risques, puisque ce sont les clients de ces sociétés qui non seulement les paient, mais, en plus, assurent eux-mêmes leurs démarches commerciales, sans que ces dernières n'aient à faire autre chose que d'émettre des feuilles de paie et des chèques".

D'autant que, si techniquement, il n'existe aucun lien de subordination entre les entreprises de portage et leurs salariés-clients (ces derniers restant libres d'organiser leur temps de travail sans sujétion d'aucune sorte), elles n'en restent pas moins, aux yeux du droit, les employeurs des freelances qu'elles contribuent à rémunérer et se voient donc concernées par la “normalisation des rapports" entre donneurs d'ordres et sous-traitants. “De fait, ces entreprises vont être amenées à devenir de plus en plus solidairement responsables de leurs clients qui sont aussi leurs salariés", note Pierre-François Tallet.

Reste à voir quelles conséquences aura le renforcement du contrôle administratif sur l'existence même du portage salarial.

Notes   [ + ]

1. Société coopérative et participative.