Sar-Lor-Lux : les cousins germains parlent d'une seule voix, mais plus dans la même langue

Par - Le 16 juin 2013.

Cinq régions, quatre pays, trois langues, deux espaces culturels. Autrefois circonscrite aux seules Sarre, Lorraine et Luxembourg (“Sar Lor-Lux"), la “Groß Region" s'est, depuis 1995, étendue vers le Nord et l'Est, englobant désormais la Rhénanie-Palatinat et la Wallonie. Point nodal de cette entité géographique, la région Lorraine bénéficie de frontières directes avec trois de ses partenaires économiques (Sarre, Wallonie, Luxembourg). Une position enviable pour les presque 100 000 frontaliers dont l'emploi se situe au-delà des limites administratives.

Selon les données du CRD Eures Lorraine, ils sont 19 200 à exercer quotidiennement en Allemagne et près de 76 000 dans le Grand- Duché. Côté teuton, c'est principalement l'industrie automobile qui constitue le grand vivier d'emplois. Ford, PSA, Michelin, y disposent de sites de production cohabitant avec un important tissu de sous-traitants (ZF, Bruder-Keller, Michels, etc.), mais les technico commerciaux et autres professionnels de la vente sont aussi recherchés.

Le Luxembourg, pour sa part, fait davantage son marché chez les diplômés de l'Université et des grandes écoles des pays frontaliers pour y trouver ses futurs cadres bancaires, juristes, financiers
et industriels. Mais avec l'inauguration, à l'horizon 2020, de la future Cité des sciences d'Esch-Belval – campus pluridisciplinaire capable d'accueillir 7 000 étudiants et 3 000 enseignants chercheurs,
pour lequel les autorités grand-ducales ont investi plus d'un milliard d'euros – la donne pourrait changer, car, dès lors, le Luxembourg sera en mesure de prospecter directement les étudiants frontaliers, se positionnant en concurrent direct des Universités de Liège, Namur, Lorraine (Nancy-Metz) ou Sarrebruck.

Le “congé linguistique" luxembourgeois

En attendant 2020, le Luxembourg consent, depuis quelques années, un certain nombre d'efforts en matière de formation continue tant pour ses ressortissants que pour les frontaliers qui y travaillent. Ainsi, depuis 2008, le ministère de l'Éducation nationale et de la Formation professionnelle du Grand-Duché (traditionnellement, les deux institutions cohabitent sous le même toit) a mis en place des dispositifs de VAE, ainsi qu'un congé individuel de formation calqués sur le modèle français. “Même si leur Cif est tout de même moins généreux", observe Catherine Croisille, chargée d'études au sein de l'Eures Lorraine. Moins généreux car le nombre de jours alloués est de quatre-vingts au cours d'une carrière professionnelle, susceptibles d'être pris par tranches de vingt jours tous les deux ans. En revanche, le “congé linguistique" constitue une innovation typiquement locale, celle d'un crédit de deux cents heures (à utiliser en deux séquences de quatre-vingts et cent vingt heures) destinées à se former à la langue luxembourgeoise. “Les frais de la formation ne sont pris en charge ni par l'État, ni par l'employeur, mais ils sont déductibles des impôts" explique Catherine Croisille.

La “prime pour la formation" allemande
L'Allemagne dispose elle aussi de son propre “arsenal formation" adapté aux salariés travaillant sur son sol. Et à cet exercice, les Länder frontaliers connaissant quelques difficultés économiques (cas de la Sarre et du Palatinat) se montrent davantage prodigues que leurs homologues mieux dotés, comme le Bade-Würtemberg ou la Bavière. Les premiers ont ainsi instauré leur propre congé individuel de formation (Bildunsurlaub) en 2010, portant à six jours par an la durée de temps légale où l'absence pour raisons de formation est autorisée dans l'entreprise. Dans le râtelier des pouvoirs publics régionaux allemands, on trouve aussi une prime pour la formation (Bildungsprämie) valable pour tous les actifs dont le revenu imposable n'excède pas les 25 600 euros annuels (celle-ci a d'ailleurs été revalorisée au 1er janvier 2010), un dispositif d'épargne salariale de financement de la formation (Bildungssparen), ou encore des programmes spécifiques aux seniors, salariés peu qualifiés ou employés de PME-TPE.

Et en Lorraine ?

Autant d'outils dont l'usage se heurte néanmoins à une réalité délétère pour espérer décrocher le sésame germanique : la dégradation du niveau d'allemand des frontaliers. “Contrairement à ce
que l'on croit, les ressortissants lorrains et même ceux de l'est de la Moselle – culturellement et géographiquement proches de l'Allemagne – ne maîtrisent pas mieux la langue que les autres Français", témoigne Liliane Gallo, responsable formation du CFA de la Chambre de commerce et d'industrie de Moselle. Sans compter qu'avec l'appel massif de Berlin à la main-d'œuvre venue d'Europe du Sud depuis 2011 (voir article) et l'investissement massif de l'Allemagne dans des cours intensifs à destination de jeunes Grecs, Espagnols et Portugais, les frontaliers français se retrouvent parfois sur la touche. “Cette année, la Région ne nous a confi é qu'un seul appel d'offres pour une formation transfrontalière, explique Liliane Gallo, une promotion de douze personnes, orientées vers des métiers commerciaux. L'économie allemande est très demandeuse de ces professions, mais le niveau linguistique ne suit malheureusement pas…" Comme dans l'Alsace voisine, le Conseil régional de Lorraine finance un certain nombre de formations en allemand, notamment avec des organismes de formation en langues présents des deux côtés de la frontière, et organise la promotion de cette langue dans les établissements d'enseignement. Quant à l'émulation linguistique, elle apparaît peu probable entre les deux rives du Rhin. “Au vu des salaires pratiqués, peu d'Allemands sont intéressés par un travail en France et donc, par l'apprentissage de notre langue. Quant à l'anglais, il n'est pratiqué
qu'au sein des groupes internationaux et encore, au niveau de la recherche-développement ou de l'encadrement supérieur", indique la responsable du CFA. Triste réalité que celle de cousins germains qui tendent à parler d'une seule voix, mais plus dans la même langue.