Des élus trop peu formés et un cadre réglementaire à renforcer

Par - Le 01 mai 2014.

Une fois passée l'euphorie
de la victoire, être propulsé
à 22 ans à la tête
d'une commune de plus de
15 000 habitants comme
Juvisy-sur-Orge, dans l'Essonne,
peut s'apparenter
à un cadeau empoisonné.
Cette municipalité de
grande banlieue cumule
d'importantes difficultés
sociales, mais aussi de
sécurité, avec des dossiers
pharaoniques et complexes
à venir, comme l'implantation
d'un tramway en
2018. Ainsi, même pour
un élève de Sciences Po
et un militant qui avait
15 ans lors de l'élection de
2007, ce premier mandat
peut s'apparenter à une
course d'obstacles infranchissables.
Pour mener à
bien ses missions, Robin
Reda, qui est le plus jeune maire de France, va
mettre entre parenthèses ses études et la poursuite
de sa formation initiale. Cependant, comme
pour la très grande majorité, voire la totalité de
ses homologues novices, une formation spécifique
serait indispensable pour acquérir les compétences
nécessaires aux élus locaux en matière de gestion,
sécurité, fiscalité, urbanisme…

Le Conseil national de la formation
des élus locaux


“La formation est incontournable pour qu'un élu
tienne son rôle, qu'il s'agisse de voter un budget ou
d'élaborer un plan local d'urbanisme. Les responsabilités
qui incombent aux maires et à leurs équipes
sont de plus en plus importantes et dans les petites
communes, ils ont rarement les moyens financiers
d'avoir les compétences nécessaires pour les accompagner.
C'est pourquoi se former est indispensable, ce
constat tient également dans le cadre des fonctions
qu'ils exercent dans les communautés de communes
ou d'agglomération", explique Guy Billoudet,
maire de Feillens et représentant au sein du
Conseil national de la formation des élus locaux
pour les communes de 1 000 à 3 500 habitants. Le
CNFEL est la structure chargée pour le compte du
ministère d'agréer ou non les centres de formation
pour les élus locaux.

“Tous les élus ont un problème important
de formation"


Si le problème est particulièrement cuisant dans les
petites collectivités, il existe à toutes les échelles,
comme le souligne Louis Caseilles, pendant 37 ans
maire de Toulouges, une ville de 6 000 habitants
en Catalogne française. Il a abandonné ce mandat
pour prendre la tête de Saint-Laurent-de-Cerdans,
1 240 habitants, et conserve son siège au sein du
CNFEL pour les communes de 3 500 à 10 000 habitants.
“Tous les élus ont un problème important de
formation, et pour deux raisons : la législation évolue
en permanence, et l'éventail des compétences à acquérir
est particulièrement large. Cette question de formation
concerne également les élus municipaux de l'opposition,
comme de la majorité", précise Louis Caseilles.

Le rapport d'information
d'Antoine Lefèvre


Si le rôle d'élu local n'a jamais été simple, avec les
différentes vagues de décentralisation, mais aussi
les contraintes budgétaires croissantes, chacun s'accorde
à reconnaître que la formation est indispensable
pour embrasser la complexité et la diversité des
missions induites. C'est notamment ce que souligne
un rapport d'information du Sénat, réalisé sur cette
question en octobre 2012 par Antoine Lefèvre, sénateur
UMP de l'Aisne : “Les responsabilités qu'exerce
aujourd'hui l'élu local sont sans commune mesure avec
celles qu'il assumait voici trente ans. L'élu qui exerçait
initialement une fonction représentative est devenu un
véritable gestionnaire. La complexité de l'action locale
et la diversité des domaines d'intervention des collectivités
nécessitent plus que jamais une actualisation
constante des compétences."

La formation des élus n'est pas
une obligation


De fait, si la formation des élus est un droit, et aussi
une impérieuse nécessité, ce n'est pas un devoir. Sur
ce point, la loi est plutôt floue, en dépit des conséquences
dramatiques que cela peut avoir. Le Code
général des collectivités territoriales donne le droit à
chaque élu d'avoir une formation individuelle adaptée
à ses fonctions. Le conseil municipal, général
ou régional, au même titre que le conseil communautaire
des intercommunalités, doit, dans les trois
mois suivant sa nomination, délibérer sur l'exercice
du droit à la formation de ses membres. Autre dossier
qui doit être soumis au vote de cette assemblée :
le budget alloué à la formation de ses membres.
Par ailleurs, pour améliorer l'information des élus
sur leur droit à la formation, un tableau récapitulant
les actions entreprises doit être annexé aux comptes
administratifs et débattu également en conseil. Cette
procédure induite par la loi relative à la démocratie
de proximité du 27 février 2002 visait à promouvoir
l'accès à la formation. Mais, faute de seuil plancher
dans le budget à attribuer à cette ligne, force
est de constater qu'on est loin du résultat escompté.
De fait, entre 2004 et 2008, les 36 000 communes
n'ont consacré que 6,61 millions d'euros à la formation
de leurs élus et pour les structures intercommunales
(communauté de communes, d'agglomération
ou urbaines), la somme apparaît dérisoire :
830 000 euros.

Depuis 1992, le droit à la formation
des élus


Historiquement, les partis assuraient la formation
de leurs responsables politiques. Mais la loi du
3 février 1992 relative aux conditions d'exercice des
mandats locaux a institué le droit à la formation des
élus et la prise en charge des frais d'enseignement, de
déplacement et de séjour par leur collectivité. Cette
opportunité a été étendue aux maires et conseillers
siégeant dans les intercommunalités. De plus, la
même loi a prévu une compensation pour la perte
de revenus induite par les journées passées en formation,
dans la limite de dix-huit jours et d'un plafond
de 19 891,52 euros. Les dépenses qui peuvent
être investies par une collectivité sont plafonnées à
20 % de la totalité des indemnités de fonction, qui
peuvent être allouées aux élus. Une mesure qui vise
à éviter les excès, dans un contexte où les principaux
partis politiques ont tous des centres de formation
agréés qui permettent la prise en charge des frais de
formation par la collectivité publique… Seulement,
à l'épreuve du terrain, le problème est moins l'explosion
des dépenses de formation que leur insuffisance.
Certaines petites communes se contenteraient
de consacrer un euro symbolique à cette ligne
budgétaire.

Mieux vaut “avoir de solides bases
en droit"


Dans son rapport sénatorial, Antoine Lefèvre
préconisait la mise en place d'un seuil plancher à
consacrer obligatoirement à la formation, représentant
1 % des indemnités des élus. Aujourd'hui, les
communes dépenseraient en moyenne 0,6 % des
sommes allouées aux maires et à leurs conseillers
municipaux.

“Tous les élus, y compris d'opposition, ont droit à la
formation, théoriquement la loi l'impose même pour
la première année de mandat. C'est indispensable car,
souvent, les jeunes élus ne sont même pas au fait de
leurs droits et devoirs. Notamment quand ils sont dans
l'opposition. Tous ne savent pas, par exemple, dans
quelles conditions ils ont accès aux pages du bulletin
municipal. La majorité municipale doit mettre à
leur disposition des locaux, mais nombre d'entre eux
l'ignorent. Il est aussi, bien sûr, indispensable d'avoir
de solides bases en droit", explique Philippe Bluteau,
avocat au barreau de Paris et en charge de la conception
et de l'animation des formations pour l'Association
des petites villes de France, l'APVF.

Un montant minimum bientôt garanti

“Dans le projet de loi que nous avons déposé sur le statut
de l'élu avec mon confrère Jean-Pierre Sueur [sénateur
PS du Loiret], nous avons demandé que soit fixé un seuil
plancher minimum de 3 % du montant des indemnités
des élus", explique Jacqueline Gourault, sénatrice UDIModem
du Loir-et-Cher, en précisant que cet article
du projet de loi, qui sera définitivement voté le 7 mai, a
été entériné tel quel par les deux assemblées. Jacqueline
Gourault a défendu la mise en place d'un droit individuel
à la formation pour ces élus et d'un dispositif de
validation des acquis d'expériences acquises dans leur
fonction, pour la délivrance d'un titre universitaire ou
autre. “Nous prévoyons une enveloppe représentant 1 %
du montant total des indemnités des élus de la collectivité,
pour financer le volet formation, avec désignation d'un
Opca par un décret en Conseil d'État. Des droits à la
formation de 20 heures cumulables sur toute la durée
du mandat", poursuit Jacqueline Gourault.

La procédure d'agrément des
organismes de formation


Le coût journalier des formations à destination
des élus, selon les estimations du rapport sénatorial,
se situerait entre 100 et 500 euros. Les cursus
des organismes qui bénéficient d'un agrément du
ministère de l'Intérieur font l'objet d'une prise en
charge par la collectivité publique. C'est le Conseil
national de la formation des élus locaux qui est en
charge des procédures
d'agrément, dont la durée
est de deux ans pour
une première obtention
et quatre ans pour les
renouvellements.

Les dossiers de demande
doivent être déposés
dans les préfectures dont
dépendent les centres de
formation, pour être
transmis à la Direction
générale des collectivités
locales. Première
condition exigée, le
responsable du centre
de formation ne doit avoir fait l'objet d'aucune
condamnation à une peine criminelle ou correctionnelle
dans les dix ans précédant la demande,
mais aussi avoir un bulletin
n° 2 de casier judiciaire
vierge. Le dossier doit inclure
les bilans financiers
et les comptes de résultat
des deux années précédant
son dépôt. Il doit
aussi être certifié par un
commissaire aux comptes.
Si la création du centre de
formation est trop récente
pour répondre à ces exigences,
le demandeur devra
alors joindre un budget
prévisionnel.

Justificatifs pédagogiques

Le volet pédagogique est particulièrement important.
Quand il s'agit d'une première demande
d'agrément, il faut expliciter les objectifs poursuivis
pour chaque formation à destination des élus,
leur durée, leur coût, en distinguant le montant
global de celui facturé pour chaque participant. Il
faudra aussi présenter le contenu détaillé de chaque
programme, le nombre de stagiaires prévu pour
chaque session… Dans le cadre d'un renouvellement
d'agrément, il faudra fournir un bilan pédagogique
des activités de formation dispensées aux
élus locaux lors des années précédentes. Ce dernier
devra détailler le contenu, les titres, diplômes ou
qualifications des intervenants, comme les moyens
matériels alloués, l'aire géographique sur laquelle
est dispensée la formation…

Les organismes privés sont plus souvent
écartés


Selon le rapport d'activité du CNFEL, le plus grand
nombre de demandes d'agrément émanent de
sociétés privées, devant les associations, et notamment
les associations d'élus. Cependant, et d'une
manière générale, la part des demandes émises par
des organismes privés
baisse au profit des
associations et établissements
d'enseignement.
Il faut dire que
ces dernières années,
les avis défavorables ont
été plus nombreux pour
les organismes privés,
notamment quand le
conseil estimait qu'ils
ne proposaient pas
assez de formation réellement
adaptées aux
besoins des élus. Bien
souvent, il manquait un
“cursus interdisciplinaire global", certes plus complexe
à monter, mais qui représente un préalable
jugé indispensable. Autres raisons courantes de
refus : une spécialisation excessive des formations,
des modules déconnectés des besoins des élus, une
qualification insuffisante des formateurs ou encore
la fragilité financière excessive du centre d'enseignement.

Les associations d'élus gagnent des
parts de marché


Ces dernières années, le CNFEL a durci ses conditions
d'agrément. En 2011, il y a eu 19 avis défavorables
et 16 positifs pour une première demande
d'agrément. En 2009, 24 refus d'agrément et
38 acceptations. C'est particulièrement flagrant
à propos des demandes de renouvellement, dont
certaines peuvent être refusées parce que l'orga
nisme n'a simplement formé aucun élu pendant la
période où il était agréé.
Dans ce contexte, jugées plus légitimes et à même
de cerner les besoins des publics, les associations
d'élus gagnent des parts de marché. Elles représentent
30 % des agréments délivrés au 31 décembre
2011, contre 29 % de sociétés privées et
25 % d'autres associations.
La grande force des associations d'élus? Leurs
réseaux, en premier lieu pour les grandes structures,
telles que l'Association des maires de France.
Certaines associations départementales du plus
important réseau d'élus français bénéficient d'un
agrément du ministère de l'Intérieur. “Dans le département
des Alpes-Maritimes, nous avons 60 nouveaux
maires, pour 163 mairies. Après les dernières
élections municipales, les besoins en formation vont
être énormes. L'urgence est de fournir un cursus général
de base en droit pour les accompagner à décrypter
la complexité des textes", explique Julia Guichard, la
directrice générale de l'Association des maires des
Alpes-Maritimes, qui dispose de l'agrément. Par
ailleurs, les besoins ne se limitent pas aux municipalités
accueillant un nouveau maire, car les conseillers
municipaux nouvellement élus ont également
besoin d'être formés pour remplir leurs fonctions.
Notamment quand ils sont dans l'opposition, même
si ce droit est rarement respecté.

Informer pour sensibiliser au besoin
de former


À défaut d'avoir un cadre juridique plus contraignant,
les associations d'élus misent souvent sur
la sensibilisation pour inciter leurs membres à se
former. Plusieurs associations départementales du
réseau de l'AMF organisent des universités qui sont
l'occasion d'informer les maires sur tous les grands
thèmes qu'ils devront rapidement maîtriser en début
de mandat. “Nous parlons de journées d'information,
car il ne s'agit pas à proprement parler de formation. Il
s'agit de les éclairer sur le statut de l'élu, de donner des
rudiments sur le fonctionnement des finances locales,
les marchés publics, l'urbanisme, la sécurité… C'est un
peu un produit d'appel pour les formations plus approfondies
que nous dispensons tout au long de l'année.
Les thèmes que nous proposons évoluent au cours des
mandats. Nous commencerons par l'animation de réunion,
la motivation d'une équipe municipale, comme
la constitution d'un budget, puis, ensuite, nous allons
sur des problématiques plus approfondies et ciblées",
poursuit Julia Guichard, en précisant que certains
cursus peuvent être dispensés sur site et à l'ensemble
du conseil municipal.

Les “centres de ressources"

Néanmoins toutes les associations d'élus ne disposent
pas de l'agrément. Certaines d'entre elles s'impliquent
dans la formation et la sensibilisation au titre
de leur mission de centre de ressources. “Dans notre
réseau, 39 associations départementales ont l'agrément,
mais 43 sont légitimes à dispenser des formations, de
par leurs compétences d'expertise et parce qu'elles travaillent
alors en collaboration avec des centres de formation.
Nous sommes une structure de ressources pour
les accompagner dans la construction de leur offre de
formation. Nous préparons actuellement les journées
d'accueil que nos associations départementales
organisent d'avril à décembre pour les nouveaux élus.
Chaque département choisit sa formule, qui peut durer
une journée ou plus. D'autres associations choisissent
de dispenser de courts modules tout au long de l'année.
Là aussi, tous les thèmes sont abordés, de la création de
nouvelles communes au transfert de compétences dans
le cadre d'une intercommunalité", explique Nathalie
Dotres, qui est chargée de mission pour Maire
2000. Cette association a été conçue par l'AMF, la
Caisse des dépôts et consignations et le Crédit local
de France pour apporter une assistance technique
et financière aux associations départementales dans
la constitution des actions d'information, dont elles
ont le plus souvent l'initiative et toujours la maîtrise.

Les universités, également présentes

Autre acteur incontournable du paysage des
centres de formation et dont le nombre croît parmi
les centres agréés, les universités qui, fortes des
compétences de leurs laboratoires de recherche,
peuvent proposer des contenus pointus et sur mesure.
“Nos chercheurs et enseignants travaillent sur
le long terme aux sujets qui intéressent les élus. Ils
peuvent à ce titre offrir une véritable valeur ajoutée
en droit, urbanisme, finances, développement
durable…", explique Vincent Le Grand, maître de
conférences en droit public à l'Université de Caen
Basse-Normandie, et responsable des séminaires de
formation pour les élus locaux. “Je suis moi-même
élu local, précise-t-il. Je cerne donc bien les besoins
et contraintes qui gêneront l'accès à la formation des
élus. C'est pourquoi nous développons maintenant des
cursus en e-learning."

Et la reconversion...

L'instauration d'un seuil plancher représentant
3 % du montant total des indemnités des élus et
réservé à leur formation devrait participer à la
structuration d'une offre de formation adaptée
aux besoins et contraintes des élus. Mais l'aval,
la reconversion après le mandat, ne doit pas être
oubliée : outre une forme de “droit à la formation
pour la reconversion", un dispositif de validation
des acquis d'expériences acquises dans leur fonction
pourrait permettre par exemple la délivrance
d'un titre universitaire. Ce droit permettrait de clarifier
la distinction entre les formations destinées à
remplir leurs fonctions et celles dont l'objectif est
d'éviter qu'ils soient pénalisés pour leur implication
dans la vie citoyenne.

Le Conseil national de la formation
des élus locaux

Le CNFEL est composé de deux collèges : 12 élus locaux
représentant des collectivités de toutes tailles (municipalités,
Conseil généraux ou régionaux, etc.) et 12 personnalités
qualifiées (professeurs de droit, anciens élus, etc.). Il
se réunit cinq fois par an en moyenne et 99 dossiers ont
été examinés en 2011. C'est le ministre de l'Intérieur qui
statue en dernier lieu, mais il est extrêmement rare qu'il
aille contre l'avis rendu par le CNFEL. En 2012, 187 organismes
de formation ont obtenu l'agrément du ministère
de l'Intérieur, un chiffre stable depuis 2009. Près du tiers
sont localisés en région parisienne, tandis qu'une trentaine
de départements ne disposent d'aucun centre agréé.