Bernard

Bernard Blandin

Le point sur la normalisation.

La normalisation s'applique désormais aux services, dont la formation, mais la France semble peu pressée de faire entendre sa voix. Une erreur, selon Bernard Blandin, qui représente le Fffod[ Forum français pour les formations ouvertes et à distance. [www.fffod.org ]] et le groupe Cési [ [www.cesi.fr ]] dans deux comités techniques de normalisation des Tic, l'un affecté à l'informatique pour l'éducation, la formation et l'apprentissage, et l'autre dédié aux services d'éducation, de formation non-formelles. Auteur de “notes d'alertes" publiées sur le blog du Fffod, il répond à nos questions.

Par - Le 20 janvier 2009.

Inffo Flash - Quels sont concrètement les principaux enjeux de la normalisation en formation ?

Bernard Blandin - Les normes constituent un moyen de contrôle des marchés de produits ou de services. Or, aujourd'hui, avec la crise récente, on voit bien qu'on ne peut plus laisser les marchés se réguler seuls. Le premier enjeu des normes est donc, pour les États, la maîtrise d'instruments de régulation. Ensuite, dans le détail, les enjeux diffèrent selon ce que l'on regarde : Iso-IEC JTC1-SC36, ou TC232.
Pour ce qui est des travaux du SC36, les enjeux sont à la fois techniques et économiques. Les enjeux techniques sont ceux de l'interopérabilité des outils (plates-formes, LMS, etc.) et des ressources numériques pour la formation, ainsi que l'accès aux ressources numériques et leur réutilisabilité. Les enjeux économiques concernent l'ensemble des producteurs français de ressources numériques, qui risquent d'être exclus de certains marchés à l'étranger. On ne peut pas développer l'économie numérique sans se préoccuper des normes qui régissent les outils et les produits numériques !

En ce qui concerne les travaux du TC232, l'enjeu principal affiché par ses initiateurs est la qualité des services fournis par les organismes de formation. C'est un souci partagé aujourd'hui par les pouvoirs publics et les professionnels. Mais derrière la norme, se profile le développement d'un nouveau marché, celui de la certification des organismes de formation... donc, à nouveau, un enjeu économique fort.

IF - Comment expliquez-vous le désintérêt des acteurs français ?

B. B. - La France est un pays où la régulation est le “fait du prince" : elle se fait donc par la loi ou le règlement. Dans d'autres pays, la régulation résulte de dispositifs plus légers, souvent avec l'aide financière des pouvoirs publics. C'est le cas depuis longtemps dans les pays anglo-saxons, mais aussi dans un nombre croissant d'autres pays. La gouvernance européenne a d'ailleurs adopté ce principe en 1985, à l'initiative de la France : les directives fixent un cadre général en s'appuyant sur des normes européennes, dont elles peuvent rendre l'application obligatoire. La normalisation est donc devenue un instrument politique.

Le désintérêt pour les normes dans le pays qui a inventé la première norme internationale, le système métrique, est, pour moi, incompréhensible. D'autant que ce désintérêt a été jugé, voici deux ans, dans le rapport Carayon4, comme très préjudiciable à l'économie française.

IF - Quels sont les pays particulièrement actifs en matière de normalisation ?

B. B. - Les pays les plus actifs en matière de normalisation sont certainement les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Allemagne. Ainsi que, plus récemment, le Canada, l'Australie, la Corée du Sud et le Japon. Les initiatives de ces pays sont souvent publiques, ou du moins reçoivent des financements publics.

C'est clairement le cas en ce qui concerne notre domaine : à l'origine du SC36, il y a le Department of defense des États-Unis, qui avait déjà été à l'origine, deux ans plus tôt, de l'Advanced distributed learning initiative (ADL) dont est issu l'ensemble de standards composant le Scorm (Sharable content object reference model). Au Royaume-Uni, la standardisation des technologies de l'information pour l'éducation, la formation et l'apprentissage est pilotée et financée par l'agence interministérielle Becta (British educational communication technologies agency). Au Canada, le groupe Elsacc (E-learning standards advisory council of Canada), qui contribue fortement aux travaux du SC36, est financé par cinq Provinces actives dans l'enseignement à distance. En Corée du Sud, la participation aux travaux de normalisation du SC36 sont supportées par l'agence gouvernementale Keris (Korea education and research information service).

En ce qui concerne le TC232, j'ai relevé que les ministères australien et irlandais de l'Éducation, ainsi que le ministère du Travail japonais suivaient de près les travaux du comité technique et participaient aux comités miroirs nationaux.

IF - Avez-vous interpellé les acteurs publics à ce sujet et, si oui, avec quel succès ?

B. B. - Bien évidemment. Depuis le début de la participation de la France au SC36, la Sous-direction TICE du ministère de l'Éducation nationale et de la Recherche assure une contribution aux travaux, qui s'est transformée, au fil du temps, en commande de normes françaises spécifiques adaptées de standards internationaux (par exemple : LOM-Fr, CDM-Fr).

Actuellement, nous interpellons notamment le secrétariat d'État à l'Économie numérique, le ministère de l'Éducation nationale et la DGEFP, qui sont les plus directement concernés. Il est encore trop tôt pour dire si ces contacts se traduiront par une plus forte implication des acteurs publics. En tous cas, nous le souhaitons, car les enjeux sont importants et les experts français manquent à la fois de légitimité face aux pays qui défendent des positions officielles, et de ressources pour participer aux travaux et orienter les développements dans un sens qui nous convienne, ne serait-ce que pour prendre en compte les normes françaises existantes, ou au moins s'assurer d'une compatibilité.

IF - International organization for standardization se traduit en français par Organisation internationale de normalisation. Normalisation et standardisation sont-ils équivalents ?

B. B. - Le français dispose de deux termes, ce qui n'est effectivement pas le cas de toutes les langues : l'anglais ne dispose que d'un seul terme. De fait, quand on travaille dans le domaine de la normalisation, on a tendance à établir une distinction entre les deux termes : on emploie le terme “standardisation" comme terme générique pour désigner la production de documents techniques faisant l'objet d'un consensus au sein d'un groupe, quel que soit le groupe en question ; on réserve le terme de “normalisation" au cas particulier où le groupe en question est une instance officielle de normalisation, nationale (par exemple l'Afnor en France, BSI au Royaume-Uni, DIN en Allemagne, Ansi aux États-Unis, etc.), européenne (CEN ou Cenelec) ou internationale (dans ce cas, il ne peut s'agir que de l'Iso, de la CEI, ou de l'UIT).

Propos recueillis par Nicolas Deguerry