Christiane

Bressaud

“Construire des espaces de mobilité dans les Centres de formation d'apprentis"

L'apprentissage renoue peu à peu avec la mobilité du compagnonnage. Financements européens à l'appui, des établissements de formation offrent à de jeunes apprentis l'occasion de porter un regard nouveau sur l'Europe et leurs métiers. Constat : ils en reviennent gagnants. Encore beaucoup d'acteurs locaux et nationaux, d'entreprises et de parents, de jeunes et de médias restent à convaincre. Entretien croisé sur une ouverture européenne encore semée d'obstacles.

Par - Le 13 août 2009.

Inffo Flash : Quel est l'intérêt de la mobilité pour les jeunes apprentis ?

Christiane Bressaud : Je vois un double intérêt aux parcours de mobilité dans le cadre de l'apprentissage. Les savoir-faire sont différents selon les métiers, les jeunes enrichissent la vision qu'ils en ont. C'est le cas dans le bâtiment, l'hôtellerie-restauration... dans une moindre mesure, peut-être, la réparation automobile, encore qu'en matière de relations avec la clientèle, il y ait eu des échanges intéressants. Pour répondre à la demande des entreprises, il est également essentiel de développer les capacités d'adaptabilité des jeunes et de les ouvrir à la connaissance d'autres organisations sociales.

Michel Dréano : Les jeunes voient fonctionner d'autres systèmes de formation professionnelle. Ils découvrent que tous les jeunes ne bénéficient pas de dispositifs structurés, organisés.
Ailleurs, l'apprentissage prend d'autres formes. Ils reviennent souvent plus curieux, plus réceptifs aux contenus de leur formation. Souvent nous avons des jeunes pour qui changer de région, de département est une difficulté. Leur proposer une mobilité européenne, les aide à casser des barrières psychologiques qui leur permettent d'en dépasser d'autres ensuite, notamment au niveau culturel. Certains reviennent avec le goût d'entreprendre.

Inffo Flash : La mobilité des jeunes a-t-elle autant d'intérêt pour les entreprises ?

Christiane Bressaud : À l'entreprise, l'ouverture européenne apporte tout autant : des informations sur les systèmes d'organisation du travail, des savoir-faire différents dans les métiers.

Michel Dréano : Les entreprises sont, il est vrai, un peu réticentes pour laisser partir leurs apprentis notamment au niveau des CAP. Au-delà de ce niveau, ils y voient un intérêt immédiat, l'ouverture sur des marchés plus larges. Les chefs d'entreprises oublient qu'un jeune, qui, même au début de sa vie d'apprenti, aura découvert des pratiques professionnelles nouvelles sera culturellement beaucoup mieux armé pour servir l'intérêt de l'entreprise. Les chefs d'entreprises demandent une main d'œuvre qualifiée... C'est en suivant l'exemple du compagnonnage et en l'adaptant que ces parcours européens permettent de construire des compétences complémentaires qui rendent les jeunes beaucoup plus performants dans l'entreprise.

Christiane Bressaud : Ce sont sûrement les jeunes en CAP qui ont le plus besoin de ces échanges. Leur demander de se déplacer à 30 km est souvent difficile. En revanche, l'échange européen est un moment extraordinaire pour eux. Toutefois une mobilité doit se préparer, y compris dans l'entreprise et il faut que le patron de l'apprenti soit impliqué.

Inffo Flash : L'absence de réelle validation de ces échanges n'est-elle pas un handicap ?

Michel Dréano : Des modes de validation sont encore à développer. Pour l'instant, nous avons l'outil Europass formation, qui représente une forme de validation de la période de séjour en Europe. Cette validation doit s'inscrire dans une dynamique du centre de formation qui décide de valider le parcours du jeune. Europass pourrait devenir un instrument de validation au niveau européen, le sujet est à l'étude au ministère du Travail. Il faut en effet une reconnaissance institutionnelle à ces séjours à l'étranger.

Christiane Bressaud : En France, nous avons une culture de l'éducation qui est une culture du diplôme. Si nous voulons réussir les échanges européens, il nous faut harmoniser notre validation. Notre point commun, c'est la pédagogie de l'alternance, qu'elle s'effectue sous contrat de travail ou non. L'essentiel serait d'avoir un tronc commun pédagogique que l'on puisse articuler, ordonnancer, à l'identique dans chaque pays. Des coopérations entre CFA, bilatérales ou multilatérales vont dans ce sens.

Inffo Flash : Quelles sont les conditions de la réussite de cette mobilité ?

Michel Dréano : Il est important que les CFA construisent des espaces de mobilité. Un ou plusieurs CFA d'un même territoire peuvent monter avec d'autres pays d'Europe un projet d'ingénierie, élaborer ensemble les conditions de la réussite d'une mobilité d'apprentis. Quelle qu'en soit la forme juridique, d'ailleurs. Les conditions de réussite, ce sont les réseaux d'entreprise, les formateurs qui se rencontrent, le montage de tutorats...

Christiane Bressaud : Cette mobilité doit en effet se construire dans le cadre d'un projet d'établissement. Le chef d'entreprise doit en être informé dès la signature du contrat d'apprentissage. Il faut qu'il sache que le jeune partira, dans le cadre de son cursus de formation, à l'étranger et que lui-même sera sollicité pour accueillir un jeune dans son entreprise.
A Roanne(1), nous avons un bel exemple de construction d'un espace européen entre divers pays qui ont la même culture de l'échange, la démonstration est faite que cela fonctionne. Il nous reste toutefois encore un gros travail de vulgarisation à faire.

Michel Dréano : Il faut le dire : la mobilité européenne valorise l'alternance, c'est un moyen de développer, de promouvoir davantage la voie de l'apprentissage.

Christiane Bressaud : Je suis persuadé en effet qu'il existe une relation mobilité/alternance qui sert à diffuser des modèles de formation.

Inffo Flash : Comment se développe l'apprentissage avec l'élargissement de l'Europe à de nouveaux pays ?

Christiane Bressaud : Il est arrivé que des visas soient refusés à des jeunes venant de Roumanie, de Bulgarie, de Hongrie dans le cadre de contrats de travail. Des jeunes ont même été refoulés ! Voilà un frein important au développement de l'apprentissage ! En revanche, nous n'avons pas de difficulté pour le placement des jeunes dans le cadre des stages. Des obstacles sont parfois purement franco-français : envoyer un jeune apprenti sous contrat de travail en Allemagne, un pays pourtant proche, peut poser des problèmes à l'inspection du travail. Il est gênant qu'à l'heure du marché du travail européen des obstacles de cet ordre persistent.

Inffo Flash : Les financements européens permettront-ils de poursuivre et de développer les expériences ?

Christiane Bressaud : Si on lève les barrières juridiques et que les jeunes partent avec un contrat de travail, il n'y a aucun
problème pour développer l'apprentissage dans toutes ses composantes. L'accompagnement, le suivi, la préparation culturelle et linguistique sont financés par le programme Leonardo. C'est ensuite aux CFA de travailler en complémentarité avec leurs interlocuteurs, leurs partenaires régionaux. L'accueil est extrêmement important non seulement dans l'entreprise, en dehors de son temps de travail.

Michel Dréano : Les équipes d'accueil doivent travailler en tandem avec le centre de formation et l'équipe pédagogique. Nous sommes dans notre rôle sur ce point. L'apprentissage est une étape de socialisation. L'Éducation nationale instruit pour éduquer ; nous, nous éduquons par la professionnalisation.

Inffo Flash : Les formations linguistiques suffisent-elles pour rendre le séjour vraiment utile ?

Michel Dréano : La langue n'est pas une barrière. Les barrières du langage sont souvent surestimées. Pour les professionnels, le langage du geste se substitue en grande partie à l'expression linguistique. Le peu de connaissances que les jeunes peuvent avoir les rend capables d'échanger avec leurs collègues exerçant le même métier.

Christiane Bressaud : La langue ne devient plus à l'étranger une matière scolaire et cela change tout ! En Roumanie ou en Hongrie, les jeunes parlent anglais. La situation de travail leur fait prendre conscience de ce qui leur manque et les motive pour reprendre l'étude d'une langue à leur retour.

Michel Dréano : Ces séjours sont en effet souvent une aide pour dépasser des échecs. Les jeunes s'aperçoivent qu'ils sont capables de se débrouiller alors qu'on leur a souvent dit le contraire à l'école.

Inffo Flash : Les différents types de séjour proposés suffisent-ils ?

Christiane Bressaud : Les catégories de stages qui existent actuellement répondent aux besoins. Je trouve intéressants les échanges courts, à condition de ne pas tomber dans l'échange touristique. Trois semaines pour un jeune de 15-16 ans, c'est long. Il n'est pas dans sa famille, il entend parler une langue qu'il ne connaît pas, il va travailler tous les jours dans une entreprise qui lui est étrangère... L'effort est important pour lui.

Michel Dréano : Je suis aussi pour que coexistent les différents rythmes d'échange(2). Il faut des stages courts pour les plus jeunes dont les parents sont parfois réticents à les voir partir. Quant au formatage des séjours, nous avons un système éducatif très stéréotypé, cloisonné. Il faut au contraire de la souplesse dans les échanges européens. C'est en fonction des ouvertures culturelles de chacun que se construit le parcours d'apprentissage européen. Un jeune s'essaiera sur un stage court, puis il voudra le prolonger pour approfondir des savoirs ou découvrir une culture ou une pratique particulière. Il sait qu'il pourra y revenir et contractualiser un stage de plus longue durée...

Christiane Bressaud : Il est difficile d'imaginer que 80 % des jeunes puissent passer un an en Europe dans le cadre de leur formation. En revanche, deux fois trois semaines sur trois ans, c'est possible et offre déjà une véritable ouverture européenne. Les jeunes en retirent déjà beaucoup de bénéfices. Dans le cadre du programme Leonardo, nous avons encore de la marge pour une utilisation plus importante des bourses. Toutefois les financements européens sont un appel à d'autres financements et les collectivités territoriales sont invitées à prendre le relais.

Michel Dréano : L'APCM avec son programme Initiative Europe Métiers souhaite développer avec les entreprises des projets territoriaux. Nous voulons fédérer les entreprises sur un projet territorial d'échanges européens. Nous devons arriver à inculquer cette idée aux entreprises. Les Européens vont tous faciliter l'échange de leurs jeunes, cette évolution passe par l'éducation des parents mais aussi celle des entreprises.

Christiane Bressaud :

... et celle des formateurs !

Propos recueillis par Françoise Decressac

À consulter :

Site web :

 L'observatoire de la mobilité dans l'éducation et la formation professionnelle

www.socrates-leonardo.fr/

 Le programme européen Emploi et innovation

www.apcm.com/international