Armelle

Gillet

Par - Le 01 août 2012.

Lorsque l'appel à projets innovants en matière de développement de compétences-socles des salariés a été lancé par le FPSPP en 2010, l'entreprise d'insertion Id'ées 21, l'organisme de formation Césam [ 1 ]Concilier l'économique et le social - aide aux mutations. direction@cesamformation.orget Agefos-PME Bourgogne avaient chacun déjà largement avancé sur la question de l'insertion durable et de la sécurisation des parcours. Alors que le premier souhaitait amplifier son effort de formation en direction de ses salariés en insertion étrangers ou issus de l'immigration, le second faisait figure de partenaire historique du CLP [ 2 ]Le Comité de liaison pour la promotion des migrants et des publics en insertion (CLP) a cessé son activité en 2010 dans la construction de la démarche compétences, et le troisième travaillait depuis plusieurs années sur la notion de “compétences d'employabilité durable".

Cofinancée par le FPSPP, Agefos-PME Bourgogne et la DRJSCS [ 3 ]Direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale, une action de formation expérimentale “Compétences-clés" pouvait dès lors se monter autour des trois pôles suivants : réfléchir pour comprendre, s'organiser pour agir et communiquer pour interagir. Cible de l'action : 30 salariés en CDD d'insertion [ 4 ]Renouvelable deux fois dans la limite de vingt-quatre mois et conditionnée à un agrément de Pôle emploi, l'embauche en CDD-I d'un demandeur d'emploi est liée à sa situation sociale et à des difficultés particulières d'accès au monde du travail, dont 25 de nationalité étrangère, très majoritairement de niveau VI et V, principalement embauchés sur de postes d'agents d'entretien et de tri et, dans une moindre mesure, de déménageurs, d'ouvriers du bâtiment second œuvre et d'agents d'espaces verts.

La langue, première compétence pour un emploi durable

“L'objectif, c'est de faire en sorte que la personne reprenne un rythme de travail et réapprenne, d'une certaine façon, à travailler", explique Alain Bernier, secrétaire général d'Id'ées 21. Pour cela, “des progrès sont attendus dans le développement d'un certain nombre de compétences transversales requises dans tout type d'emploi, qu'il s'agisse du secteur du bâtiment, de l'industrie ou des services". Et parce que “tout ne s'arrête pas aux portes de l'entreprise", il s'agit aussi de développer “l'autonomie" de la personne dans son chemin vers l'emploi, ce qui nécessite de “lever un certain nombre de freins périphériques, comme l'accès au logement ou à la santé". D'où une progression permettant d'évoluer en trois étapes, de la situation vécue à la situation projetée : environnement professionnel, organisation de son activité, projection au-delà de l'IAE [ 5 ]Insertion par l'activité économique.. À la clé, une démarche de sécurisation qui vise à “rendre plus sûr, plus assuré et plus fiable le passage de l'entreprise d'insertion au secteur ordinaire".
Pour la directrice générale de Césam, Armelle Gillet, “le travail sur les compétences-clés dépasse l'idée d'une simple remise à niveau". La démarche compétences est“issue de travaux menés depuis 2007", rappelle-t-elle. “C'est un concept que nous avions d'abord expérimenté par un travail sur les compétences langagières d'un public de maçons essentiellement constitué de migrants, avec une ingénierie de départ conçue pour travailler sur l'apprentissage du français, non pas langue étrangère, mais compétence professionnelle." Pourquoi ce focus sur la langue ? “Face à une progression des effectifs étrangers ou issus de l'immigration qui rencontrent des difficultés d'intégration liées à la langue et à des manières culturelles d'envisager le travail, la compétence langagière passe avant l'acquisition de compétences techniques", répond Alain Bernier.

La “carte de compétences" ou le GPS de la sécurisation

Si le Césam avait déjà une longue expérience auprès de salariés et de demandeurs d'emploi du droit commun, le transfert du dispositif au bénéfice de salariés en insertion a nécessité l'introduction d'un nouveau concept appelé “alternance intégrée", explique Armelle Gillet. Engagés dans un parcours de 175 heures alternant une semaine en formation et deux semaines en entreprise pendant quatre mois, les stagiaires sont accompagnés par des “encadrants" (chefs d'atelier ou chefs d'équipe) et des “chargés d'insertion", qui ont à la fois un rôle de médiateur, de référent et de tuteur pour la construction du projet professionnel. Associant ainsi les formateurs du Césam aux encadrants, chargés d'insertion et stagiaires de l'entreprise d'insertion, le cœur du dispositif repose sur une “carte de compétences" qui permet tout à la fois de fixer les objectifs, de mesurer la progression et, surtout, de base d'échanges entre les différents acteurs.

Bénéficiant d'une formation-action de trois jours au démarrage du projet, “les encadrants ont ainsi pu participer à la construction d'une ingénierie spécifique au secteur de l'IAE, y compris à l'élaboration de la carte de compétences", véritable “fil conducteur et outil partagé de la formation", explique Armelle Gillet. Rappelant le cadre théorique des travaux de Pierre Pastré (professeur émérite du Cnam) sur la dimension formative des situations-professionnelles, le dispositif donne aussi une large place aux formateurs, appelés à “investir les contextes professionnels et les postes de travail, que ce soit par des visites sur site ou par l'accès aux documents utilisés pour les “didactiser" et en faire des outils pédagogiques".

L'“agir professionnel" au service de la formation

Armelle Gillet le souligne : “Ce n'est pas la formation ou le travail, mais bien l'articulation entre les deux qui peut donner naissance à la compétence." CQFD : “L'intégration de l'agir professionnel dans la construction de la formation est une idée spécifique de la démarche compétences."

Construite à partir de l'analyse du travail, la carte de compétences utilisée dans le cadre de la formation organise 11 axes de compétences répartis en 3 pôles : réflexif, organisationnel et communicationnel. Aux salariés de s'approprier la carte de façon à ce qu'ils “comprennent et donnent du sens au travail demandé", explique la directrice du Césam. Et de souligner : “Le point de départ n'est pas l'évaluation des difficultés des salariés, mais plutôt celle de leurs compétences", avérées et à développer pour pouvoir progresser et accéder à un emploi de droit commun ou à une formation. Principales techniques pédagogiques adoptées : d'une part, la “simulation", qui recrée un univers avec des situations-problèmes auxquelles le salarié devra faire face en endossant un rôle fictif, de chef d'équipe par exemple ; d'autre part, la “mise en situation", qui permet d'acquérir et de développer de nouvelles compétences au travers de situations réelles qui sont recréées dans l'espace formation.

Une montée en compétences qui profite à tous

Évoquant les effets de la formation sur le poste de travail, le secrétaire général d'Id'ées 21 et la directrice générale du Césam insistent sur la capacité nouvelle des salariés à se saisir de leur propre travail du fait même de la prise de parole et de l'amélioration de leur capacité d'expression. Comprenant mieux l'organisation du travail et les ressources de l'entreprise, ils sont responsabilisés en tant qu'acteurs et se montrent dès lors capables de prendre des initiatives, d'étudier le problème avant d'interpeller et de développer leurs capacités.

S'agissant de la sécurisation des parcours, elle renvoie à l'objectif initial d'une solution positive à l'issue du contrat en entreprise d'insertion, qu'il s'agisse d'une embauche en entreprise, ou d'une entrée en formation pour une insertion durable. Pas moins des deux tiers des participants étant allés jusqu'au terme de la formation “Compétences-clés", l'investissement des stagiaires apparaît d'autant plus appréciable aux yeux d'Armelle Gillet qu'un certain nombre d'entre eux n'était salarié qu'à temps partiel, alors que la formation se déroulait à temps plein. Au-delà du démenti ainsi apporté aux discours sur la supposée incapacité des publics peu qualifiés à s'engager dans un processus formatif, Alain Bernier souligne lui la nécessité d'un “lien fort entre la formation et le travail pour l'assiduité et l'implication des salariés". Accompagnés par les chargés d'insertion d'Id'ées 21, 50 % des stagiaires ayant terminé le parcours sont aujourd'hui entrés ou sur le point d'entrer en formation qualifiante dans le cadre d'un Cif-CDD [ 6 ]Principaux domaines : assistante de vie aux familles, logistique, conducteur d'engins, peintre en bâtiment, carreleur, préparation aux concours..

Enfin et de l'avis des encadrants eux-mêmes, la démarche compétences a également un effet sur les pratiques managériales en leur permettant d'endosser un rôle de “tuteur", qui les aide à sortir du seul champ de la productivité et de la rentabilité. “C'est important car dans une entreprise d'insertion, relève Alain Bernier, il y a toujours cette tension entre l'objectif économique et la responsabilité d'un public un peu fragile, qui pose parfois problème dans le travail et demande donc de la constance et de la persévérance de la part des encadrants." Si le changement de posture amène ces derniers à reconsidérer plus positivement les capacités d'évolution des salariés, Armelle Gillet témoigne elle d'une certaine “réciprocité de la reconnaissance", avec des salariés percevant mieux le profit qu'ils peuvent tirer de l'accompagnement qui leur est proposé. “Modifier le regard et ne pas être dans le stéréotype des stigmatisations, se félicite-t-elle, est bien l'un des buts de la démarche."

Des perspectives qui restent à financer

Alors que l'expérimentation est maintenant terminée, Alain Bernier souhaite désormais pérenniser l'action et la diffuser : “Nous pourrions associer d'autres entreprises d'insertion, en Côte-d'Or ou ailleurs, et imaginer avoir des formations interentreprises de façon à enrichir les contenus pédagogiques à partir de situations de travail venues d'autres secteurs d'activité", esquisse-t-il. Et pour un financement durable qui reste à trouver, le secrétaire général d'Id'ées 21 a, logiquement, son idée : “Pourquoi ne pas rendre les salariés en CDD-I éligibles à la période de professionnalisation ?"

Notes   [ + ]

1. Concilier l'économique et le social - aide aux mutations. direction@cesamformation.org
2. Le Comité de liaison pour la promotion des migrants et des publics en insertion (CLP) a cessé son activité en 2010
3. Direction régionale de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale
4. Renouvelable deux fois dans la limite de vingt-quatre mois et conditionnée à un agrément de Pôle emploi, l'embauche en CDD-I d'un demandeur d'emploi est liée à sa situation sociale et à des difficultés particulières d'accès au monde du travail,
5. Insertion par l'activité économique.
6. Principaux domaines : assistante de vie aux familles, logistique, conducteur d'engins, peintre en bâtiment, carreleur, préparation aux concours.