Entretien avec Françoise Amat, ancienne secrétaire générale du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie

Par - Le 01 mars 2013.

“Le CNFPTLV s'est installé dans le paysage de la formation professionnelle"

Elle a fait valoir ses droits à la retraite. Présente dès les débuts, Françoise Amat passe le relais à Hubert Patingre, alors que l'instance s'apprête à voir ses missions encore élargies en fusionnant avec le Conseil national de l'emploi. L'occasion de faire un bilan provisoire d'une institution en pleine évolution.

Rappelez-nous : comment est né le CNFPTLV ?

Le CNFPTLV est né du rapprochement du Conseil national de la formation professionnelle, de la promotion sociale et de l'emploi (CNFPPSE) présidé par le délégué à la formation professionnelle, qui avait une mission de consultation des partenaires sociaux sur les textes relatifs à la formation professionnelle, et du Comité de coordination des programmes régionaux de la formation professionnelle et de l'apprentissage (CCPRA), présidé par un élu régional, dont l'objet était la concertation, la coordination et l'évaluation des politiques régionales. Y a été ajouté une mission de clarification des financements de la formation professionnelle et de l'apprentissage. J'étais à peine nommée secrétaire générale du CCPRA quand la loi du 4 mai 2004 a créé le CNFPTLV, mais son décret n'est paru qu'en février 2005. Je me souviens d'avoir vécu difficilement cette longue période de transition !

Comment les acteurs s'en sont-ils emparés ?

Toutes les bonnes fées n'étaient pas penchées sur son berceau ! L'État avait l'habitude de présenter ses textes devant les partenaires sociaux qui étaient les seuls consultés. Les Régions sont venues perturber cela. Elles avaient tout intérêt à siéger dans une instance nationale qui leur permette d'examiner les textes qu'elles auraient à mettre en œuvre par la suite. Cependant, n'ayant pas obtenu toutes les compétences qu'elles briguaient dans la loi de décentralisation d'août 2004, notamment leur rôle de chef de file de l'AIO (accueil, information, orientation), elles n'étaient pas forcément d'humeur à collaborer avec les représentants de l'État. Il a fallu toute la rondeur et la fermeté du président Dominique Balmary pour faire travailler ensemble tous ces acteurs. Dès 2006, le Conseil a décidé de se pencher sur des projets concrets, comme l'apprentissage, qui ont favorisé leur rapprochement. Nous avons fait travailler ensemble le niveau régional et le niveau national, de sorte que le CNFPTLV est la seule instance qui ait fait remonter des informations sur les politiques et les actions conduites en région.

Pourtant, les rapports entre l'État et les Régions n'ont pas été de tout repos…

Jusque dans les années 2008-2009, j'étais étonnée de constater
à quel point le national sous-estimait la valeur de ce qui
se passait dans les régions. À titre d'exemple, je me rappelle
de séances de travail où il y avait une quasi ignorance de
la manière dont les Conseils régionaux s'étaient déjà saisis de la l'organisation des réseaux de l'AIO. Il y a même eu, après les élections régionales de 2010, une défiance réelle du gouvernement vis-à-vis
des Régions, que l'on n'avait pas connue précédemment,
et qui s'est manifestée par la volonté de recentrer les politiques
de formation sur les priorités de l'État grâce à des conventions
avec le FPSPP, avec les Opca sous la forme de contrats d'objectifs et
de moyens (Com), avec les Régions par le biais des Com apprentissage et des CPRDFP.

Après le départ de Dominique Balmary, le CNFPTLV a expérimenté une période de flottement au niveau de sa présidence. Comment avez-vous vécu cette période ?

En effet, après la loi du 24 novembre 2009 élargissant les missions du Conseil et la publication du décret du 24 août 2011 détaillant sa composition et son fonctionnement, Dominique Balmary a considéré qu'après sept ans de présidence, le moment était venu de se retirer, d'autant que, malgré ses demandes réitérées, les moyens nécessaires au fonctionnement du Conseil ne lui avaient pas été accordés. Il a quitté ses fonctions en décembre 2011, remplacé en février 2012 par Christian Ville. Ce dernier a présidé deux séances avant d'être appelé à la direction du cabinet de Thierry Repentin en juillet 2012. Ce n'est qu'en novembre 2012 que Danièle Kaisergruber est arrivée… Les quelques mois qui se sont écoulés ont été
un peu solitaires pour moi, bien que j'ai été soutenue par les membres du Conseil. Mais il y a des choses que je n'étais pas habilitée à faire, comme réunir une séance plénière ! On a donc pris du retard pour la validation de certains rapports.

La question du manque de moyens attribués au Conseil a longtemps été source de revendications de la part de Dominique Balmary. Qu'en est-il aujourd'hui ?

Il est vrai que nos moyens n'ont pas été augmentés à due proportion de l'élargissement de nos missions prévue par la loi du 24 novembre 2009 [ 1 ]La dotation du CNFPTLV est passée de 400 000 euros en 2005 à environ 110 000 euros en 2011.. L'année dernière, nous n'avions aucun crédit pour assurer notre mission d'évaluation des politiques publiques ! Ainsi, nous n'avons pu lancer l'évaluation des CPRDFP (contrats de plan régionaux de développement des formations professionnelles) sur l'accès à formation des demandeurs d'emploi que cette année. En effet, dépendant depuis 2008, pour nos moyens, du ministère de l'Économie et des Finances, nous sommes revenus dans le giron du ministère de l'Emploi et avons enfin obtenu une enveloppe un peu plus importante.

Presque dix ans après sa création, le Conseil s'est-il imposé dans le champ de la formation professionnelle ?
In fine, je pense que le CNFPTLV est parvenu à s'installer dans le paysage. J'ai vraiment le sentiment de partir sur du positif. L'arrivée du gouvernement actuel a permis de mettre fin aux tensions entre les Régions et l'État. Nous nous plaçons vraiment dans la perspective que nous assigne la loi, d'améliorer la concertation entre les acteurs et d'apporter des éléments au débat public, mais pour cela, il faudrait qu'il y ait une meilleure appropriation de nos travaux par les membres du Conseil.

Ce que je déplore, c'est que la formation professionnelle reste toujours si peu considérée. Il y a régulièrement des voix pour dénoncer les 31 milliards d'euros de la formation professionnelle continue, mais personne ne parle jamais des milliers de stagiaires qui sont passés en formation chaque année ! Or, la formation professionnelle, c'est un enjeu capital qui devrait être la colonne vertébrale des problématiques d'emploi et de développement économique !

En dehors de sa mission d'avis, quel bilan faites-vous des travaux menés par le Conseil ?

Les travaux du CNFPTLV me semblent précieux et, pour certains, originaux. Nous sommes, par exemple, les seuls à produire un schéma complet du financement de l'apprentissage ou à faire un véritable bilan des dépenses relatives aux politiques publiques de formation au niveau régional.
Quant à notre mission d'évaluation, elle a pris une envergure importante avec la loi de 2009. Nous sommes à la fois sur l'évaluation des politiques nationales, régionales et sectorielles, sur celle des CPRDFP, ainsi que de la gestion et des politiques des Opca… Récemment, le ministre Thierry Repentin a saisi le Conseil d'une réflexion sur le compte individuel de formation. Le groupe de travail a rendu son rapport. C'est une manière très intéressante d'utiliser le Conseil !

Comment va évoluer le CNFPTLV dans les prochaines années ?

Avec la loi relative à l'acte III de la décentralisation, le champ de compétences du CNFPTLV risque encore de s'élargir. Il devrait se situer, par l'apport des missions actuellement assurées par le CNE (Conseil national de l'emploi), au carrefour des politiques régionales de formation et de la politique nationale de l'emploi. Ce qui est sûr, c'est qu'il faudra allouer au Conseil les moyens suffisants pour mener à bien ses nouvelles missions...

Françoise Amat sous le signe du public

Exceptés huit ans dans le privé, en tant que directrice de la formation de la Fédération nationale des travaux publics (1991-1998), cette diplômée de l'Isit (Institut supérieur d'interprétariat et de traduction) en anglais, de Sciences-Po (1970) et détentrice d'un DESS de droit, a œuvré dans le public.

Ingénieure de recherche de l'Éducation nationale, elle a débuté au Céreq (1971-1988), a été chargée de mission au cabinet de Jean-Pierre Soisson, alors ministre de l'Emploi et la Formation professionnelle (1988-1989), puis à la Délégation à la formation du ministère de l'Emploi (1990-1991). Elle a retrouvé le public, après la Fédération nationale des travaux publics, à la DGEFP, en tant que chef de mission orientation-validation (1998-2002) et a été conseillère technique de François Fillon, ministre des Affaires sociales, chargée de l'apprentissage et de la formation professionnelle, avant de prendre le secrétariat général du Comité de coordination des programmes régionaux de la formation professionnelle et de l'apprentissage (CCPRA), prédécesseur du CNFPTLV, où elle a été secrétaire générale d'avril 2005 à février 2013.

Notes   [ + ]

1. La dotation du CNFPTLV est passée de 400 000 euros en 2005 à environ 110 000 euros en 2011.