Brigitte
Tondusson
Brigitte Tondusson se montre incisive à l'égard des dernières initiatives de l'État, ou encore des propositions Attali : il faut, souligne-t-elle, tenir compte du travail accompli par les Régions, et non pas les affaiblir à travers de nouveaux maillages institutionnels.
Par Centre Inffo - Le 17 mars 2008.
Inffo Flash - Votre Région vient de signer un contrat d'objectif territorial (Cot) sur les métiers de la formation. Quels sont les progrès à accomplir dans ce domaine en Poitou-Charentes, qu'il s'agisse de l'offre de formation ou de la professionnalisation des acteurs ?
Brigitte Tondusson - Nous avons signé ce Cot pour deux grandes raisons. D'abord, la formation est un secteur à part entière. Sa structuration et sa qualité ont des incidences sur l'ensemble de l'économie régionale. En second lieu, il vise à l'évolution de l'offre de formation en fonction du nouveau contexte posé par la loi et les besoins exprimés par les branches et les entreprises. Nous avons demandé à la FFP1 de faire en sorte que les 1 000 organismes de formation de la région relevant du privé soient regroupés, afin de structurer l'offre. Ainsi, la Région a désormais affaire avec une quinzaine de représentants.
L'évolution vers la modularisation de l'offre correspond aux besoins générés par l'émergence du Dif et la montée en charge du dispositif VAE. Pour ce qui est de l'adéquation aux besoins des entreprises, je tiens à saluer le travail d'observation des besoins effectué par la nouvelle Agence régionale pour la formation tout au long de la vie.
IF - Estimez-vous suffisante la place des Régions dans la loi de fusion ANPE-réseau des Assedic, notamment en ce qui concerne la future collaboration entre Conseils régionaux et directeurs régionaux de la future agence “France Emploi" ?
B. T. - Les politiques de formation varient d'une Région à l'autre, c'est cela, la décentralisation. Or, L'État crée un nouvel opérateur unique sans tenir compte du travail accompli par les Régions. On les écarte de la réflexion et on les affaiblit dans la future gouvernance de ce nouvel outil qui n'a pas encore de contenus précis au niveau opérationnel.
De fait, on nie tout le travail accompli depuis 2004, l'énergie à faire vivre des instances telles que le Comité de coordination régional emploi-formation (CCREFP), animé par la Région, qui s'est réuni une cinquantaine de fois en dix-huit mois.
Après avoir lancé les Maisons de l'emploi, on arrête leur labellisation pour un nouvel outil. Cet empilement de textes et de dispositifs ne va certes pas contribuer à faire avancer l'efficacité du service public de l'emploi.
À quoi bon créer un Conseil régional de l'emploi présidé par le préfet de région, alors qu'il existe déjà d'autres outils ?
IF - Quel bilan tirez-vous des actions entreprises par votre Région en direction des moins qualifiés : jeunes non diplômés, femmes peu qualifiées, chômeurs de longue durée, y compris avec l'Assedic, avec laquelle vous avez signé une convention ?
B. T. - Tout d'abord, je tiens à rappeler que la Région ne raisonne pas en termes de statut lorsqu'il s'agit de donner accès à la qualification aux personnes qui en sont les plus éloignées. Et ce, même si son action se déploie majoritairement en direction des chômeurs non indemnisés. La part des formations qualifiantes ne cesse d'augmenter, sur les 13 000 personnes qui entrent chaque année en formation sur les fonds régionaux. Le protocole que nous avons passé avec l'Assedic visait à donner accès à des formations qualifiantes très liées aux besoins exprimés par les entreprises, via notamment les Maisons de l'emploi, mais aussi au niveau de branches comme la métallurgie.
Nous avons organisé plusieurs plans d'urgence pour les moins qualifiés, le dernier en date concernant 1 000 jeunes entrants en contrat de professionnalisation en entreprise.
IF - Dans quelles conditions s'est réalisée la décentralisation des formations sanitaires et sociales en Poitou-Charentes ? Les transferts financiers de l'État se sont-ils avérés suffisants ?
B. T. - Je souhaite préciser qu'il y a eu un transfert de charges, mais pas de décentralisation effective. Les subventions de l'État sont de 10 à 15 % inférieures aux besoins, s'agissant des frais pédagogiques. Aucune étude préalable n'a été réalisée, en particulier sur les locaux dédiés à ces formations, et le financement des formations d'infirmières des CHU, non isolé dans les budgets de la Sécurité sociale, ne nous a pas aidés. Nous nous sommes cependant acquittés des bourses d'études plus vite que ne le faisait l'État. Nous avons modulé les frais d'inscription parfois très élevés en fonction de la situation des étudiants. Malgré cela, il nous a été impossible d'inscrire au contrat de projets État-Région la création d'un campus réservé aux formations sanitaires et sociales.
C'est inadmissible.
IF - La décentralisation de la commande publique en direction de l'Afpa a fait l'objet d'une demande d'un moratoire de deux ans par l'ARF. Quelle est la position de votre Région, tant en ce qui concerne la commande publique que les personnels de l'AIO ?
B. T. - Je ne comprends pas cet acharnement à démolir un outil qui, sur notre région, accueille 6 000 stagiaires par an et occupe 300 salariés. On se trouve ici une fois de plus dans la précipitation, l'État voulant se délester d'une charge sur les Régions.
Notre Région souhaite, elle, prendre son temps. Le temps nécessaire à l'évaluation du patrimoine bâti, à celle du devenir des subventions de l'État, à l'ancrage de l'Afpa dans le registre d'un “service social d'intérêt général". Nous n'avons pas à faire le choix de la subvention ou du marché. Il nous faut une autre solution légale, nous voulons deux ans de réflexion à ce sujet. Quant aux personnels de l'AIO, les psychologues de l'Afpa, je ne suis pas pour un dépeçage de cet organisme.
IF - Le récent rapport Attali préconise la mise en place d'un Droit universel à la formation qui s'appuierait sur des fonds régionaux alimentés par les Régions, l'État et les Opca. Êtes-vous en faveur de tels fonds ?
B. T. - Une fois de plus, on constate avec ce rapport un recul de la place des Régions et une volonté de reprise en main de l'État.
Donc, si je comprends bien, on décentralise les formations sanitaires et sociales, puis on recentralise l'action publique concernant la formation des moins qualifiés avec la création de ces fonds régionaux pour la sécurisation des parcours professionnels.
Cette proposition arrive alors que se développent les conférences régionales des financeurs adaptées aux réalités territoriales. On veut créer des conseils de mobilité professionnelle, mais les outils existent déjà. Nous avons les CCREFP, les Copire, les CESR… J'y vois une volonté d'enterrer le pilotage de la formation par les Régions.
Propos recueillis par Renée David-Aeschlimann