Jacques

Manardo

“Il faut renforcer l'attractivité du secteur"

La Fesp a été créée en avril 2006 par le Syndicat des entreprises de services à la personne, pour accompagner le développement de ce secteur et permettre aux entreprises de se regrouper “pour agir avec cohérence et efficacité". C'est aujourd'hui un secteur à part entière, se félicite Jacques Manardo, président de la Fédération des entreprises de services à la personne (Fesp).

Par - Le 22 mai 2007.

Inffo Flash : Le secteur des services à la personne est en plein essor, les entreprises se créent, quelles sont leurs caractéristiques ?

Jacques Manardo : En matière de services aux personnes (par opposition aux services aux entreprises) il existe deux modèles économiques distincts. Le premier, classique, vise pour le prestataire à faire se déplacer le client vers le lieu où il offre la prestation : l'avocat, le médecin, le banquier, le coiffeur, etc., optimisent leur rentabilité en laissant le coût du temps de déplacement à la charge du client. Le prestataire maximise sa rentabilité par une optimisation de son temps. Le deuxième modèle, plus récent, consiste pour le prestataire à s'organiser pour aller servir le client, là où il se trouve. Son modèle économique est fondamentalement différent car c'est le prestataire qui gère, assume le coût du temps de déplacement et doit le répercuter dans son prix - ce qui est difficile. Et en s'approchant de la sphère de vie du client, le prestataire va devoir répondre aux standards que lui impose ce client, ses habitudes, voire ses “manies". Ce deuxième modèle conduit donc, par construction, à des coûts supérieurs, mais il fait gagner du temps au client. Deux modèles donc, que chaque prestataire peut librement choisir. Il n'y a pas concurrence entre eux, il y a choix à opérer par le client et par le prestataire.

Aujourd'hui, suite à une série de mesures (fiscales ou relatives au coût du travail) mises en place par les gouvernements successifs, les écarts de coût entre ces deux modèles ont été quasiment supprimés : certes, nos entreprises de services se déplacent, certes, nos coûts de structures sont alourdis par le besoin d'assurer un service de qualité pour répondre aux attentes du client, mais ces mesures de “solvabilisation" de la demande viennent nous donner la possibilité d'atteindre le même niveau de marge que les prestataires qui ont opté pour le modèle économique où c'est le client qui se déplace.

Le formidable essor de notre branche d'activité vient rajouter une dimension à la création d'emplois (voir encadré).
Les services à la personne sont d'une très grande variété, mais ils ont
plusieurs caractéristiques communes qui permettent d'affirmer qu'il existe aujourd'hui un nouveau secteur, à part, de l'économie française.

Tout d'abord, nous parlons d'entreprises qui entrent dans la sphère privée, intime, du client : nous allons dans les maisons de nos clients, nous prenons en charge leurs enfants ou leurs parents malades, etc. Plus encore que pour toute autre entreprise, le client est en droit d'exiger la qualité maximale. Il s'agit pour nous, dans la plupart des cas, de se substituer à une activité que le client, s'il en avait le temps ou les moyens, pourrait faire lui-même : c'est donc à sa propre échelle des valeurs que nous sommes confrontés et que nos intervenants sont comparés.

Ensuite, les entreprises de services à la personne ont un ennemi commun et difficile à combattre, car difficile à identifier : le travail “au noir". Il s'agit pour les entreprises de sortir les salariés de situations précaires, illégales et non protégées. Il s'agit aussi de convaincre les clients que la petite différence de prix qu'il faut accepter de payer pour sortir du travail “au noir" est le gage de la qualité et du professionnalisme des entreprises, et un avantage pour le client de ne plus prendre les risques liés à cette forme d'emploi.

Enfin, le dernier point commun aux entreprises de services à la personne est la nature des emplois qu'elles créent : destinés par essence aux citoyens français, ceux-ci ne sont donc pas délocalisables. De par la variété des services proposés et la diversité des besoins exprimés par les consommateurs, les entreprises de services à la personne sont ainsi au service de l'ensemble de la société française.

Inffo Flash : Ces entreprises ne sont-elles pas confrontées à des problèmes de recrutement ? Comment parviennent-elles à les surmonter ?

Jacques Manardo : La question du recrutement se pose en termes d'attractivité des métiers, d'image du secteur, de formation (la Fédération travaille actuellement à la mise en place de plusieurs BTS ou licences professionnelles dédiés au secteur des SAP), mais aussi de connaissance de notre secteur et de combat des idées fausses.

Je prends l'exemple significatif du travail à temps partiel, qui est très fréquent dans notre secteur : ce sont surtout et avant tout des emplois qui correspondent aux demandes des salariés : ainsi, si la plupart sont encore des temps partiels, celui-ci est subi par les entreprises et choisi, voire exigé, par les salariés (dans 70 % des cas, selon la Dares). En effet, nos salariés sont en majorité des femmes qui souhaitent disposer de temps libre pour leurs enfants ou leurs vies personnelles et qui nous demandent des temps partiels. Nous préfèrerions souvent, pour des questions évidentes de coûts de formation et de gestion administrative et salariale, offrir des temps pleins, mais ce n'est pas le choix de nos salariés et nous respectons ces choix.

Nous sommes dans un secteur en tension, mais nous ne faisons pas face à des problèmes de recrutement à proprement parler : les entreprises augmentent sans cesse leurs efforts dans un secteur dont l'offre d'emploi croît de façon exponentielle.

Inffo Flash : Les premières Assises organisées par l'ANSP ont permis la rédaction d'une “feuille de route" de la professionnalisation. Quels sont les besoins des entreprises en la matière, et qu'apporte une telle charte aux entreprises ?

Jacques Manardo : Les Assises de la professionnalisation menées par l'Agence nationale des services à la personne, avec notre complet soutien, ont permis de mettre en avant certains enjeux majeurs de la professionnalisation du secteur, que la plupart des entreprises avaient identifiés depuis longtemps. La feuille de route publiée par l'ANSP liste les actions à entreprendre par chacun des acteurs du secteur pour mener à bien cette nécessaire professionnalisation.
Pour la Fédération, la professionnalisation passe par trois axes essentiels.

D'abord, la conclusion d'une convention collective nationale pour la branche. Je rappelle qu'aujourd'hui une grande partie des salariés de nos entreprises ne sont pas couverts par une CCN : nous sommes très attachés à ce que l'année 2007 soit celle de la signature d'une véritable CCN des services à la personne, transversale et, de ce fait, unique en France, qui contribue à couvrir l'intégralité des salariés non couverts aujourd'hui. En effet, c'est à ce prix, entre autres, que les métiers que nous proposons en nombre deviendront attractifs et que nous pourrons donc, en fidélisant nos employés, augmenter encore la qualité du service rendu à nos clients. La négociation menée par la Fesp du côté du patronat aboutira bientôt à la signature du champ de cette CCN, et il est raisonnable de dire, tant les parties sont impliquées dans ce dialogue social, que la convention elle-même pourrait être définitivement signée avant la fin de l'année 2007. C'est une action que nous revendiquons et dont nous sommes très fiers.

Deuxième axe : la professionnalisation des structures, qui passe par l'accès des entreprises à un référentiel qualité reconnu et adapté au secteur. La Fesp travaille ainsi en étroite collaboration avec Qualicert pour créer un référentiel qualité-norme, véritablement adapté aux spécificités du secteur dont je parlais plus haut. Nous avons déjà publié la deuxième version de la norme Qualicert. La Fédération étudie actuellement un moyen de proposer à ses adhérents une aide concrète pour le financement du coût induit par ce nécessaire accès à la certification. Nous ferons très rapidement, en liaison avec l'enseigne A+, des propositions à nos adhérents.

Enfin, la professionnalisation des intervenants ne peut se faire que par un investissement massif dans la professionnalisation des salariés des entreprises. Afin d'aider les entreprises à entreprendre cet effort indispensable, la Fédération a signé en 2007 un accord très important avec un Opca (Opcareg, Opcib-Ipco) et son propre centre de formation (Iserp) qui lui permet d'offrir gratuitement à ses adhérents plus de 4 000 formations (trois modules de deux journées) dans près de vingt-cinq villes en France.

Inffo Flash : Les Assises organisées par votre Fédération en septembre 2006 ont été l'occasion de lancer le premier fonds d'investissement français dédié au secteur des services à la personne, pouvez-vous nous expliquer de quoi il s'agit ?

Jacques Manardo : Le financement est un thème majeur pour le développement de nos entreprises. Les professions de service à forte intensité de main-d'œuvre ont traditionnellement de forts besoins de fonds de roulement (BFR). Ce besoin doit être financé, mais les fonds propres des entreprises sont souvent insuffisants.

Il fallait donc convaincre un financier de lancer le premier fonds dédié aux SAP en “mid-cap" : c'est chose faite avec la SGAM AI (Société générale Asset management). Ce fonds, dont la création s'achève, permettra de prendre le relais des microcrédits et des financements des réseaux d'aide à la création (prêts d'honneur, réseaux de la CDC, etc.) avant que les fonds de taille plus importante ne soient à leur tour concernés, quand l'entreprise aura atteint une taille critique.