Jean-Marie

Dusseigneur

France Apprentissage, pour en finir avec les préjugés.

Lancé au printemps 2008, le site portail France Apprentissage s'adresse aussi bien aux professionnels du secteur qu'aux usagers. Pourquoi s'emparer d'un tel dossier, alors que le terrain est déjà occupé par de nombreux acteurs[[www.apprentissage.gouv.fr, www.orientation-formation.fr, www.lapprenti.com, www.unavenirsolide.com, etc. ]], quels sont les objectifs du projet et qu'est-ce qui fonde sa spécificité ? C'est ce que nous avons souhaité découvrir en rencontrant son fondateur et directeur, Jean-Marie Dusseigneur.

Par - Le 08 septembre 2008.

Inffo Flash - Pourquoi avoir fondé France Apprentissage ?

Jean-Marie Dusseigneur - La communication[ 1 ]Jean-Marie Dusseigneur est directeur fondateur de Pubassistance, agence de communication qu'il a fondée en 1987.
m'a conduit à travailler pour le CFA universitaire Pierre-et-Marie-Curie et à rencontrer son directeur Christian Gury, qui m'a fait découvrir l'apprentissage et partager sa passion de la transmission des savoirs à travers son CFA. De nos discussions sont ressortis un manque de connaissance de ce type de formations, notamment dans le supérieur, un manque de lisibilité de l'apprentissage à l'échelle du territoire ainsi qu'une image négative largement répandue, liée au passé et non au présent. Il y a là la traduction d'un défaut de communication et d'outillage qui m'ont décidé à me lancer dans l'aventure du portail France Apprentissage. La cause implique une démarche innovante, que j'inscris volontiers dans le cadre de la devise nationale : “liberté" d'expression et d'initiative, “égalité" car gratuit, “fraternité" car lieu de partage d'échanges, de synergie et de solidarité entre les différents acteurs.

IF - Avec quels objectifs ?

J.-M. D. - Avant tout, proposer une vision globale et ouverte de l'apprentissage fondée sur le volontariat et le partenariat. En offrant sur tout le territoire un guichet unique et réactif grâce aux nouvelles technologies, France Apprentissage entend être un facilitateur et un déclencheur. Il s'agit donc, premièrement, de faciliter l'accès à l'apprentissage en apportant de l'unité et de la cohérence à l'offre appelée à être centralisée sur le portail, et de la rendre plus concrète en développant des initiatives de type “journées portes ouvertes"[ 2 ]Voir rubrique entreprises/CFA/écoles du portail. ou autres, destinées à ouvrir les jeunes à l'entreprise. Et deuxièmement, de déclencher une dynamique favorable en fédérant tous les acteurs socio-économiques, y compris les médias, les Conseils régionaux, les Chambres de commerce et d'industrie et les branches professionnelles. En jeu, la formation de talents directement opérationnels pour les entreprises de demain, ce qui suppose une véritable évolution du statut de l'apprenti.

C'est là un objectif majeur de France Apprentissage qui entend promouvoir cette modalité à égalité de ce qui existe déjà pour les étudiants, tant au niveau des droits que des conditions d'exercice (ouverture sur l'Europe en permettant à des entreprises étrangères de recruter des apprentis, allongement de la durée des formations par l'apprentissage jusqu'à 30, voire 35 ans, pour favoriser la reconversion et la mixité intergénérationnelle dans les CFA, etc.).

IF - Qu'est-ce que l'apprentissage doit emprunter au “modèle étudiant" ?

J.-M. D. - Il faut donner de la fierté
aux apprentis, ainsi qu'un signe
d'appartenance à leur propre modèle qui, en alliant la pratique et la théorie, est exemplaire et efficace. C'est dans cette perspective que nous travaillons au lancement prochain d'une “carte nationale" pour les apprentis qui se rapprocherait au fil du temps des avantages de la carte d'étudiant. Nonobstant, nous continuons à faire valoir les droits des apprentis, qui doivent être ceux de n'importe quel étudiant.

IF - Pourquoi avoir réservé un espace aux “retraité(e)s" au sein du portail France Apprentissage ?

J.-M. D. - Parce que l'intergénérationnel est une aubaine pour la transmission ! Il faut favoriser le tutorat par des retraités, les vacations dans les centres de formation, etc. D'où notre idée d'un “chèque emploi transmission des savoirs", avec des incitations fiscales à la clé, qui a pour objectif de simplifier les contraintes administratives des retraités, des entreprises et des organismes de formation lorsqu'ils ont ponctuellement besoin de compétences. Ce chèque en serait le sésame. Pour que cela fonctionne, il nous faudrait trouver une région volontaire pour le promouvoir et le tester.

IF - Quelle est votre position sur la question de l'“apprentissage junior" ? Êtes-vous favorable au projet Dima (dispositif d'initiation aux métiers par l'alternance) ?

J.-M. D. - Non, par contre, il existe déjà des options de “découverte professionnelle" qui sont sous-utilisées. C'est la raison pour laquelle nous avons développé une rubrique “entreprise-CFA-écoles". Apprenons aux enseignants des collèges et lycées à utiliser au mieux ce qui existe déjà. Créons une extension avec l'introduction d'un module de neuf heures ou douze heures en complément des modules de trois et six heures déjà existants. C'est un système simple qui peut être efficace, tout en maintenant le jeune dans un système classique.

IF - Lors des premières “Ren-contres universités-entreprises", organisées le 4 juin 2008, Bruno Bouniol, vice-président chargé de la formation à la CCI de Versailles, a suggéré que l'on envisage une dernière année de fac pour tout le monde en alternance. Qu'en-pensez-vous ?

J.-M. D. - Oui, si l'on entend par “alternance" apprentissage, car c'est une formation professionnalisante et diplômante avec un contrat de travail qui est une pré-entrée sur le marché du travail. Pour l'entreprise, le contrat serait un CDD d'un an sans risque. Pour l'étudiant, cette phase permettrait de passer progressivement d'une culture “universitaire" à une culture d'entreprise, sans blocage. À l'issue du contrat, libre aux parties de poursuivre leur collaboration dans le cadre d'un CDI. Dans le cas contraire, l'entreprise ou l'apprenti pourrait aisément s'y retrouver si les formations par l'apprentissage devaient se généraliser. En effet, le vivier des talents formés par ce biais aurait assez de poids pour favoriser les flux entre jeunes apprentis et entreprises.

Attention, toutefois, au fait que les ressources sont limitées. Généraliser à tous l'apprentissage serait une erreur aussi grave que celle, actuelle, qui consiste à pousser tous les jeunes dans des études théoriques jusqu'au bac avec les échecs que l'on connaît à l'issue d'une première année à l'université. Laissons chacun faire ses études par le moyen qui lui convient le mieux pour apprendre. Le tout est de lui faire connaître cette alternative dès le collège et le lycée.

IF - De même, faut-il, selon vous, étendre l'apprentissage à d'autres disciplines, “non professionnalisées" à ce jour (droit, sciences humaines, etc.) ?

J.-M. D. - Absolument, c'est une évidence aujourd'hui et une nécessité pour nos jeunes. C'est tellement inéluctable que j'irai même plus loin, en supprimant les contrats de professionnalisation pour les moins de 26 ans qui répondent à des besoins conjoncturels sans vision à long terme et sans formation diplômante. Le système éducatif s'en porterait beaucoup mieux, à des coûts inférieurs aux contrats de professionnalisation qui ne sont pas des formations diplômantes.

Également, il faudrait permettre de suivre des formations par l'apprentissage au-delà de 26 ans pour de multiples raisons que nous ne pouvons développer aujourd'hui.

Néanmoins, l'accès à l'apprentissage pour ces derniers permettrait une reconversion beaucoup plus efficace des adultes et favoriserait la transition entre secteurs professionnels différents notamment pour les métiers en tension. Par exemple, offrir la possibilité à un ouvrier du textile de devenir plombier-chauffagiste par le biais de l'apprentissage permettrait une transition beaucoup moins brutale sur le fond et la forme, mieux acceptée, parce que diplômante, contrairement aux formations courtes souvent proposées dans l'urgence et par défaut.

IF - Vous avez pris l'initiative d'interpeller Nicolas Sarkozy à l'occasion de la présidence européenne au sujet de la dimension européenne de l'apprentissage[ [www.franceapprentissage.fr/franceapprentissage/pdf/lettrepresident20-06-08.pdf
[/footnote]. Que souhaitez-vous ?

J.-M. D. - Parce que l'export est une des faiblesses endémiques de notre pays, nous sommes de fervents promoteurs de l'apprentissage européen et soutenons l'introduction, peut-être sous une forme obligatoire, du stage ou contrat de travail à l'étranger. L'ouverture à l'international permettrait aux apprentis de se familiariser avec des pratiques différentes, de s'ouvrir l'esprit et de comprendre les mentalités de nos voisins tout en affinant leurs connaissances. Les jeunes prendraient goût à l'expatriation et notre économie ne s'en porterait que mieux. Notre pays ne peut vivre replié sur lui-même, il doit s'ouvrir sur le monde et cela commence dès la formation.

IF - Quelle vision portez-vous sur le rôle des Régions en matière d'apprentissage ?

J.-M. D. - À titre personnel, je serais favorable à une refonte complète de la taxe d'apprentissage, en inventant autre chose. Créer des organismes collecteurs régionaux serait un grand pas en avant. Les élus seraient donc jugés sur la pertinence de leurs investissements pour l'apprentissage lors d'élections et contrôlés par les cours régionales des comptes (CRR). Il faut simplifier le système, rendre le produit de la taxe aux apprentis et aux entreprises. Les Régions ont déjà une vision stratégique, et économique. Donnons-leur la capacité de gérer les formations par l'apprentissage sous contrôle des acteurs de l'apprentissage. Nous serions très heureux de travailler et de mettre notre outil à disposition de la “27e Région"[ 3 ]www.la27eregion.fr pour travailler ensemble sur l'apprentissage.

IF - Quelles sont vos perspectives d'évolution ?

J.-M. D. - La structure restera peu nombreuse, pour être souple et réactive, mais nous avons besoin de recruter de “grosses pointures" (expert en marketing social, ingénieur, financier, développeur et webmaster) pour créer des produits et faire avancer nos idées au service de la collectivité. Développer des partenariats avec tous les acteurs (État, entreprises, conseils régionaux, CCI, etc.) est également une nécessité, car notre besoin de financement est important pour mener la révolution de l'apprentissage. France Apprentissage progresse lentement, mais sûrement. Là où il y a une volonté, il y a un chemin.

Propos recueillis par Nicolas Deguerry

Le projet Dima, dispositif d'initiation aux métiers
par l'alternance

Une circulaire du ministère de l'Éducation nationale, dite de préparation pour la rentrée 2008, reprend les principes de l'“apprentissage junior" – qui avait été abandonné pour ne pas imposer aux jeunes des choix trop précoces – en permettant “aux collégiens volontaires, âgés de 15 ans, de découvrir un ou plusieurs métiers, par une formation en alternance d'une année scolaire, tout en poursuivant l'acquisition du socle commun de connaissances et de compétences".

Contact : www.franceapprentissage.fr

Notes   [ + ]

1. Jean-Marie Dusseigneur est directeur fondateur de Pubassistance, agence de communication qu'il a fondée en 1987.
2. Voir rubrique entreprises/CFA/écoles du portail.
3. www.la27eregion.fr