Jean-Pierre

Aubert

Créée en 1996, la Délégation interministérielle aux restructurations de la Défense a pour mission de redynamiser les bassins économiques où cette dernière a cédé des emprises industrielles ou opérationnelles. Nommé à ce poste en 2000, Jean-Pierre Aubert coordonne l'action du gouvernement en direction des sites touchés par des mesures de restructuration.

Par - Le 01 novembre 2006.

Inffo Flash : Quels sont, selon vous, les éléments d'une restructuration réussie pour les salariés ?

Jean-Pierre Aubert : Il faut d'abord que la décision ait été bien préparée de manière à pouvoir bien mesurer toutes les implications qu'elle peut avoir. Une restructuration responsable doit être inscrite dans un contexte économique, historique, territorial et social bien défini. Elle doit faire l'objet d'un dialogue avancé, parfois difficile, avec tous les partenaires impliqués, de façon à ce que chacun sente qu'il a une place dans la solution définitivement adoptée. Ce dialogue fondamental doit se faire non seulement avec les salariés, mais aussi, et beaucoup, avec les responsables des territoires concernés. Il faut être apte à écouter les demandes, voire pousser les autres acteurs à fournir des solutions eux-mêmes, que l'on sera amené à soutenir. Cet exercice difficile doit déboucher sur un contrat ou une convention préalable (dans l'entreprise et en dehors) à une action de restructuration. Cet acte de reconnaissance mutuelle indispensable permet d'engager des actions dans la durée.

Il faut par ailleurs mettre en place un mécanisme de suivi de l'opération de restructuration. Nous sommes, à la Délégation, extrêmement attentifs au suivi, car nous considérons qu'avec une opération de restructuration, nous sommes engagés dans la durée, de façon à réussir. C'est un signe de confiance vis-à-vis des partenaires avec lesquels nous nous sommes associés, mais aussi de résultat. Les objectifs ont été fixés, il faut les obtenir. C'est une culture du résultat par rapport à l'objectif, quitte à opérer des corrections dans la transparence.

Grâce à cette règle de base, le système de Défense a réussi une mutation exceptionnelle en ampleur, qu'aucun autre secteur public ou privé n'a connu. Il est indéniable qu'une gestion à froid est le gage d'efficacité et d'une restructuration réussie.

Inffo Flash : Qu'ont apporté la loi de modernisation sociale, puis la loi de cohésion sociale, en matière d'anticipation ?

Jean-Pierre Aubert : La première a mis l'accent sur toutes les conditions de protection de l'emploi et de mise en œuvre du plan de sauvegarde de l'emploi (PSE). Elle est centrée sur les procédures de licenciements économiques et des limitations à y apporter, avec notamment un aspect novateur : en instituant la responsabilité des grands groupes (article 118 sur la revitalisation économique), elle a entériné et généralisé des pratiques existant antérieurement dans certaines entreprises.

La loi de cohésion sociale, qui a suivi la loi Fillon, a repris cet article et introduit des mouvements plus tournés vers l'anticipation. Elle est organisée de façon à encadrer l'évolution des emplois. Elle a consolidé, par exemple, les accords de méthode, c'est-à-dire la possibilité donnée aux partenaires sociaux de négocier des accords susceptibles d'encadrer, par leurs règles, les conditions de la discussion sur l'avenir de la négociation - y compris les évolutions des emplois. Cette négociation triennale à l'intérieur de l'entreprise permet une mise en place effective d'un dispositif de GPEC, ainsi que la définition de mesures d'accompagnement susceptibles de lui être associées, en particulier en matière de formation, de VAE, d'accompagnement de la mobilité professionnelle et géographique des salariés. Il est à noter également que la loi de cohésion sociale laisse au préfet l'initiative d'apprécier la situation créée localement par les entreprises de petite taille.

Cependant, il reste beaucoup à faire pour que ce soit un système à la fois anticipateur et qui s'opère par dialogue social et contractualisation. Il y a certainement un changement qui s'opère à partir de ces deux lois. C'est dommage que l'on n'ait pas réussi à conclure un accord national interprofessionnel sur ce sujet. De façon un peu tâtonnante, on essaie de faire admettre l'idée que l'on peut défendre l'emploi non plus seulement en le protégeant, mais en encadrant son évolution, notamment par la sécurisation des parcours professionnels, le dialogue social avec possibilité d'accord. Cela ne concerne pas que les grandes entreprises, mais également les petites. C'est le cas, avec notamment la convention de reclassement personnalisé (CRP), mesure d'accompagnement des salariés de ces entreprises vers un meilleur reclassement ou reconversion, ainsi que le contrat de transition professionnelle (CTP). Il y a donc un mouvement qui s'opère pour favoriser l'anticipation, la restructuration négociée et le reclassement fortement accompagné des personnels touchés.

Inffo Flash : Et la formation professionnelle ?

Jean-Pierre Aubert : La formation professionnelle est un élément important de l'anticipation, puisqu'elle est un facteur de développement de l'employabilité du salarié, de sa capacité de rebondir professionnellement, de conduire de façon plus volontaire sa vie professionnelle, à travers une mobilité professionnelle (d'un poste à un autre, d'une entreprise à une autre, d'un métier à un autre, ou d'une région à une autre). Pour l'entreprise, c'est un atout d'abord pour gérer ses compétences, un capital que les individus doivent posséder pour réagir aux événements et conduire leur évolution professionnelle avec une certaine sécurité. C'est dans ce sens que la loi sur la formation professionnelle tout au long de la vie et le dialogue social, à travers ses différents dispositifs (le Dif, le contrat et la période de professionnalisation, la VAE, etc.), revêt un caractère très important.

Face à la mondialisation, les restructurations sont devenues un phénomène permanent. L'époque de l'entreprise éternelle est terminée, il faut créer les moyens d'anticiper ces mutations. D'où l'importance pour le salarié de pouvoir se former tout au long de sa vie professionnelle. L'anticipation veut que le salarié qui vit une restructuration soit déjà avant dans l'état de pouvoir rebondir.