Questions à Jonathan Pottiez, directeur produit et innovation de Formaeva

Par - Le 01 septembre 2014.

“Des certifications qui permettent de se poser les bonnes questions"

En quoi le modèle d'évaluation de
Kirkpatrick diffère-t-il des autres ?


Il est le modèle le plus populaire, le plus
connu, tant pour les chercheurs que pour les
praticiens de la formation. Dans sa forme
originelle (1959), il a été critiqué à plusieurs
reprises : il n'était pas assez précis dans la
définition de chacun des niveaux, il ne tenait
pas assez compte des facteurs périphériques à
la formation susceptibles de freiner le transfert
des acquis, etc. Je note tout de même que la
plupart des modèles alternatifs ont pris pour
base tout ou partie des quatre niveaux, preuve
que les fondations sont solides ! Par ailleurs,
le nouveau modèle répond efficacement à ces
différentes critiques. Ce modèle n'est donc pas
figé, il vit et évolue avec son temps et avec la
manière dont on conçoit même la formation.

Selon vous, pourquoi l'évaluation ne
semble pas être une pratique courante
en France ?


Nos études menées en France, comme
celles réalisées à l'étranger, montrent que
cinq réponses (et, donc, raisons) reviennent
systématiquement dans la bouche des
responsables formation : “On ne me le demande
pas…" ; “Je ne sais pas quoi évaluer…" ; “Je
ne sais pas comment évaluer…" ; “Je crains les
résultats…" ; “Cela coûte cher…". La nouvelle
loi sur la formation va certainement changer la
donne en ce qui concerne l'absence de demande
(la direction générale demandera des comptes !),
il ne sera donc plus possible de se cacher
derrière la crainte des résultats ou des questions
de coût (souvent injustifiées).

Reste donc la question de la méthode (quoi et
comment évaluer ?). En la matière, j'observe, à
regret, que de nombreuses entreprises, souvent
de taille importante, règlent la question en
informatisant rapidement un système défaillant
(que ce soit le leur ou celui proposé par un
prestataire), sans réflexion sur le “pourquoi" de
l'évaluation. Les enjeux de l'évaluation diffèrent
sensiblement selon le secteur d'activité de
l'entreprise, sa taille, sa manière d'appréhender
la formation, son style de management, sa
culture d'entreprise… C'est aussi en cela que
les certifications de Kirkpatrick permettent de
se poser les bonnes questions et d'éviter de
s'engager dans des projets longs et coûteux
qui pourraient finalement s'avérer décevants
et inefficaces.

Pourquoi le modèle de Kirkpatrick est-il
si peu connu en France ?


C'est une bonne question ! Quand, en
France, il est fréquent de parler d'évaluations
“à chaud" et “à froid", ailleurs il est
question de niveau 1, niveau 2, niveau 3…
Donald Kirkpatrick a eu aussi ce mérite de
structurer le discours des professionnels de
la formation en les incitant à raisonner en
objets d'évaluation (que faut-il évaluer ?),
pas uniquement en moments d'évaluation
(quand faut-il évaluer ?). De manière générale,
j'ai le sentiment que le système français
de la formation professionnelle continue,
très focalisé jusqu'alors sur les “moyens", a
détourné les responsables formation des vraies
questions, à commencer par celles relatives
aux “résultats" de la formation. Mais cela
tend à changer et, à force de “porter la bonne
parole", je pense très humblement que nous
n'y sommes pas étrangers. Dans la préface de
mon ouvrage [ 1 ]L'évaluation de la formation - Piloter et maximiser
l'efficacité des formations (Dunod, 2013).
, Alain Meignant notait que les
livres de Kirkpatrick n'avaient jamais fait l'objet
de traduction en français et s'interrogeait sur
une possible résistance culturelle. Hypothèse
intéressante ! Mais en 2014, une fois n'est pas
coutume, la loi devrait amener les responsables
formation à adopter un autre regard sur
l'évaluation et à la considérer comme une
alliée face aux défis qui se présentent à eux.

Propos recueillis par K. B.

Notes   [ + ]

1. L'évaluation de la formation - Piloter et maximiser
l'efficacité des formations (Dunod, 2013).