Fouzi Fethi, responsable du pôle droit et politiques de formation, conférences et formations, à Centre Inffo.

Fouzi Fethi, responsable du pôle droit et politiques de formation, conférences et formations, à Centre Inffo.

Période de reconversion : l'ambition du droit, l'incertitude des moyens

Entrant en vigueur le 1ᵉʳ janvier 2026, la période de reconversion promet la mobilité externe sans rupture de contrat.
Dans ce décryptage, Fouzi Fethi, responsable Droit & Politiques de formation à Centre Inffo, analyse un dispositif ambitieux mais fragile, entre exigence juridique et contraintes budgétaires.

Par - Le 05 novembre 2025.

Tout salarié souhaitant changer de métier pourra, à compter du 1ᵉʳ janvier 2026, bénéficier d'une période de reconversion.

Issue d'une négociation interprofessionnelle et consacrée par la loi du 24 octobre 2025 (art. L.6324-1 et s. du Code du travail), cette nouvelle modalité succède à la Pro-A et pourra être mise en œuvre au sein de l'entreprise d'origine ou, de manière plus novatrice, dans une entreprise d'accueil. Cette possibilité de mobilité externe sécurisée en constitue l'un des apports majeurs : pour la première fois, un salarié pourra conclure un contrat de travail et se former à un nouveau métier dans une autre entreprise tout en conservant un lien juridique avec son employeur initial.

Mais derrière cette ambition se dessinent deux lignes de tension : d'une part, une asymétrie marquée entre l'entreprise d'origine, pilier juridique du dispositif, et l'entreprise d'accueil, bénéficiaire opérationnelle ; d'autre part, un modèle de financement ambitieux dans un contexte de fortes contraintes budgétaires. Ces deux équilibres fragiles conditionneront la portée effective de ce nouveau droit.

L'entreprise d'origine, pilier juridique du dispositif

La mise en œuvre de la période de reconversion externe révèle une profonde asymétrie entre les obligations de l'entreprise d'origine et les bénéfices de l'entreprise d'accueil.

Le législateur, qui a repris loyalement l'accord national interprofessionnel du 25 juin 2025, a conçu un dispositif fondé sur la suspension du contrat de travail (art. L.6324-3 C. trav.), mais sans transfert de responsabilité. L'entreprise d'origine demeure l'employeur, assume la responsabilité juridique du salarié, notamment en matière d'accidents du travail et de maladies professionnelles (art. L.6324-5 C. trav.), et doit garantir son droit au retour à un poste ou à un emploi équivalent (art. L.6324-7 C. trav.).

Cette architecture protectrice, pensée pour sécuriser le parcours du salarié, transfère en réalité une charge considérable sur l'entreprise d'origine, à la fois organisationnelle et juridique, sans mécanisme de compensation, même lorsque la reconversion s'effectue entièrement à l'extérieur.

À cette responsabilité s'ajoute un cadre procédural particulièrement contraignant (art. L.6324-9 C. trav.). Dans les entreprises de cinquante à moins de trois cents salariés pourvues d'un délégué syndical, l'employeur doit engager une négociation collective dès lors qu'au moins 10 % de l'effectif est concerné, et ne peut fixer unilatéralement les modalités qu'après l'établissement d'un procès-verbal de désaccord dans un délai de trois mois (art. L.6324-9, I, A et art. L.2242-5 C. trav.). Les entreprises d'au moins trois cents salariés sont, elles aussi, soumises à une obligation de négociation sur les modalités d'organisation (art. L.6324-9, I, B C. trav.), tandis que les plus petites, dépourvues de délégué syndical, ne peuvent agir qu'après consultation du comité social et économique (art. L.6324-9, I, C C. trav.).

Ainsi, tandis que l'entreprise d'accueil bénéficie de la présence et des compétences du salarié en reconversion, l'entreprise d'origine en supporte seule le coût juridique, administratif et social.

L'Opco : une nouvelle section, mais sans ressources nouvelles

La loi confie aux opérateurs de compétences (Opco) la mission de financer la période de reconversion (art. L.6332-14-1 C. trav.), à travers une nouvelle section financière créée aux côtés de celles dédiées à l'alternance et au plan de développement des compétences des TPE-PME (art. L.6332-3 C. trav.).

L'Opco de l'entreprise d'accueil pourra financer les frais pédagogiques, annexes et la rémunération du salarié. Toutefois, cette mission s'effectuera à budget constant, les dépenses devant être couvertes « dans la limite de la dotation allouée par France compétences ».

Dans un contexte où les enveloppes de financement sont déjà sous tension, le risque d'un effet de vases communicants est réel : toute dépense nouvelle en faveur de la reconversion pourrait se faire au détriment d'autres priorités, comme l'alternance ou le développement des compétences des TPE-PME.

Ce déséquilibre budgétaire pourrait fragiliser le déploiement de ce nouveau dispositif.

Le CPF, un levier subsidiaire à articuler

Pour compléter le financement, la loi autorise la mobilisation du compte personnel de formation (art. L.6324-10 C. trav.).

Le salarié pourra y contribuer à hauteur de 50 % de ses droits pour une reconversion interne, et sans plafond pour une reconversion externe. Cette logique de co-responsabilité est louable, mais elle repose sur un levier imparfait.

Le CPF ne couvre en effet que les frais pédagogiques, alors que la période de reconversion inclut la rémunération et les frais annexes (art. L.6332-14-1 C. trav.). En outre, seules les formations conduisant à une certification enregistrée au RNCP ou au Répertoire spécifique peuvent être financées (art. L.6323-6 C. trav.), alors que la période de reconversion peut viser des certificats de qualification professionnelle (CQP) non nécessairement enregistrés (art. L.6324-1 et L.6314-1 C. trav.).

Autant d'éléments renvoyés au futur décret en Conseil d'État, attendu avant le 31 décembre 2025. C'est de sa précision que dépendra la capacité des acteurs à transformer un cadre encore virtuel en un droit effectif à la reconversion.