L'innovation publique territoriale collaborative

« Pas d'innovation qui ne soit ancrée dans le réel »

Un rapide sondage le prouverait aisément, il y a peu de chances que l'évocation d'un écosystème entièrement tourné vers l'innovation n'appelle spontanément l'image de la fonction publique. Et pourtant. Sous la double impulsion de Denis Cristol, directeur de l'ingénierie et des dispositifs de formation, et de Cécile Joly, directrice de la mission Innovation publique collaborative et laboratoire d'apprentissage, le CNFPT, Centre national de la fonction publique territoriale, est à la tête de ce qui est assurément l'un des plus ambitieux programmes de formation dédié à la transformation des politiques publiques par l'innovation. En organisant en juillet 2016, sur le prestigieux site de l'abbaye de Cluny, la première édition de l'Université européenne de l'innovation publique territoriale, le duo créait un véritable Ovni dans le champ de la formation professionnelle continue, qui ne cesse de se transformer. Après une première saison destinée à sensibiliser les participants aux principes de la co-conception, 2017 aura vu l'émergence d'une formation-action d'envergure peu commune, avant que 2018 ne promette une Université multi-sites à même de multiplier les lieux de création de l'innovation territoriale.

Accompagner la transformation des politiques publiques

Pour expliquer les raisons qui ont conduit le CNFPT à s'emparer de la problématique de l'innovation, Denis Cristol renvoie à l'expression d'une commande latente du terrain : « Aidez-nous à transformer les collectivités. » Derrière l'apparente simplicité de la demande, c'est toute la complexité de l'ère contemporaine qui remonte : entre contraintes économiques et évolution des exigences sociétales, l'administration est sommée de répondre à « une transformation des moyens et des fins qui conduit à repenser les façons habituelles de faire ». Pour le CNFPT, l'enjeu est clair, il s'agit « d'accompagner le développement des compétences à l'innovation pour aider à la transformation des structures ». Ce qui, explique Denis Cristol, passe par de « l'innovation publique, pédagogique et managériale ». D'où le recours à l'innovation, activée par trois leviers. D'abord, les « méthodes de créativité », destinées à faciliter l'émergence d'idées nouvelles ; ensuite, « l'intelligence collective », pour, à plusieurs et au bénéfice du plus grand nombre, accélérer la circulation et l'appropriation des bonnes idées et pratiques ; enfin, la « co-conception », qui place l'usager au cœur de la démarche.

Les défis territoriaux

Si « l'intérêt des politiques publiques est de s'adapter aux besoins », la réponse par l'innovation ne doit pas pour autant céder à l'injonction. Précisément, la raison pour laquelle le concept d'université publique collaborative s'appuie sur la « pédagogie des défis territoriaux ». Denis Cristol l'explique, c'est cet ancrage dans le réel et le concret des problématiques de terrain qui protège la démarche d'une fuite en avant. Loin de tourner à vide, la programmation de l'Université de Cluny s'appuie ainsi sur des « défis territoriaux », définis et préparés en amont tout au long de l'année par les participants, comme autant de cas, réels et à résoudre. Autre avantage, la démarche évite de tomber dans le piège de « l'innovation descendante », conçue de façon centralisée pour s'imposer à tous. Au contraire, « l'innovation collaborative et la multiplicité des foyers diminue les résistances, renforce l'incubation et accélère l'essaimage », estime Denis Cristol.

Tous acteurs

Mais pour ce faire, l'implication active de tous est requise et l'ensemble des auditeurs de l'Université est ainsi à la fois « participant » et « intervenant ». Si l'Université de Cluny rassemble pendant trois jours quelque 150 acteurs de la fonction publique territoriale, c'est toute une communauté qui œuvre tout au long de l'année. Parfois à distance, notamment dans le cadre de la e-communauté des acteurs de l'innovation publique territoriale qui recense environ 1 700 membres, mais aussi en présentiel dans le cadre de réunions d'une cinquantaine de participants attelés à maturer les défis territoriaux, à se répartir les rôles et les responsabilités. Grâce à cette préparation, de véritables « solutions prototypes » émergent, à l'instar du projet de revitalisation de friches industrielles porté par Fazette Bordage pour la ville du Havre.

La formation-action a de l'avenir. Alors que Cluny s'installe comme un succès après seulement deux ans d'existence, Denis Cristol et Cécile Joly voient déjà plus loin. Et plutôt que de chercher à augmenter le nombre de participants, ils s'emploient désormais à assurer l'essaimage en déployant des équipes, qui pourront à leur tour co-construire leur propre événement. Principales conditions à la réussite de ce maillage territorial : « Que le cadre soit inspirant, que le travail collaboratif soit au cœur et que les défis territoriaux soient mis en avant. » Et de conclure : « Notre ambition, c'est vraiment d'incuber sur tout le territoire... »