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N° 3 - Janvier-Février 2018

"Les territoires ont innové pour sécuriser des situations professionnelles" (CEET)

Par - Le 17 janvier 2018.

Questions à Carole Tuchszirer, socio-économiste au Cnam-CEET (Centre d'études de l'emploi et du travail)

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Vous pointez les limites du système de formation en termes de sécurisation des parcours professionnels. Comment s'explique cette situation ?

Le système a été conçu en 1971, une période de plein emploi. À cette époque, les questions de chômage et de gestion des transitions professionnelles ne sont pas au cœur des sujets sociaux, même si celui des mobilités professionnelles est déjà présent, dans le régime de l'assurance-chômage. Indépendamment du fait que la question de la sécurisation des parcours professionnels n'est pas dans le débat de la formation professionnelle, le choix juridique adopté ne prédispose pas à orienter l'appareil de formation dans cette voie. La formation professionnelle est un droit qui découle du contrat de travail et qui relève de la seule initiative de l'employeur. De ce fait, elle vise avant tout les salariés pour répondre à des enjeux internes à l'entreprise d'adaptation au poste de travail dans un périmètre qui ne va pas au-delà. La crise a mis en évidence les limites de ce droit.

Pourquoi les acteurs territoriaux se sont-ils impliqués et comment ?

Face à des situations d'urgence – fermeture d'entreprises, par exemple –, les territoires n'ont d'autres choix que d'innover afin de soutenir les salariés dont les emplois sont menacés. Après les crises de 2000 et 2008, des dispositifs multi-acteurs se sont mis en place dans plusieurs territoires. Représentants de Conseils régionaux, d'antennes de Pôle emploi, d'Opca, d'organisations syndicales, etc., se sont ainsi réunis pour monter des actions originales, quitte à aller au-delà de leurs compétences.

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C'est-à-dire ?

Dans le cas de la plateforme de reclassement mise en place au sein de l'entreprise Metaleurop, après la décision de liquidation en 2003, l'ensemble des acteurs en charge du financement de la formation ont mis en place un guichet unique afin de déclencher des actions de formation rapidement et indépendamment du statut des personnes concernées. Ainsi, le Conseil régional a ouvert son catalogue de formations à des personnes qui étaient encore salariées et les Opca ont financé des actions pour des salariés ayant choisi le statut de demandeur d'emploi. Ces acteurs ont, en quelque sorte, dérogé au cadre institutionnel qui était le leur pour sécuriser les situations professionnelles de personnes en situation de précarité.

Dans votre étude, vous citez d'autres initiatives régionales. Quels sont leurs points communs ?

Il y a, d'une part, la capacité des acteurs à travailler ensemble en faisant le lien entre les problématiques d'emploi et de formation professionnelle, deux champs de l'action publique rarement partagés au niveau national. D'autre part, à chaque fois, les parties prenantes ont accepté de travailler dans une logique de co-construction des parcours d'insertion. Et la formation était au cœur de leur action.

En quoi ces initiatives ont-elles eu un rôle précurseur ?

Le système de la formation professionnelle a évolué selon les mêmes tendances que celles mises en œuvre dans les territoires. L'orientation des actions territoriales vers les salariés fragilisés et les demandeurs d'emploi s'est, par exemple, prolongée au niveau national avec la création, en 2009, du fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels (FPSPP). Mais, paradoxalement, peu d'espace a été laissé aux Régions dans ce dispositif. Par ailleurs, les conventions tripartites telles que celle mise en place en Île-de-France en 2009 ont trouvé un écho dans l'installation en 2014 des Coparef[ 1 ]Comité paritaire interprofessionnel régional pour l'emploi et la formation..

Ces initiatives locales interviennent en période de crise. Comment passer à une approche plus préventive ?

Souvent, l'enjeu pour les acteurs locaux était de répondre à chaud, et parfois sous la pression médiatique, à des menaces fortes sur l'emploi. C'est ce caractère d'urgence qui a amené les uns et les autres à dépasser leur cadre de travail habituel. Passer d'une gestion à chaud à une approche plus préventive a parfois été difficile, d'autant qu'avec le temps, les exécutifs régionaux ont eu tendance à se recentrer sur leur cœur de compétences : la formation des demandeurs d'emploi. Mais les Coparef et Crefop[ 2 ]Comité régional de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles. issus de la réforme de 2014 sont des instances indiquées pour construire des dispositifs plus pérennes dans une logique de gestion prévisionnelle territorialisée des compétences. Ces structures ne sont pas là uniquement pour exécuter des plans nationaux.

Les conditions sont-elles réunies pour développer ces approches régionales…

La représentation des partenaires sociaux est effectivement assez faible sur les territoires et la qualité du dialogue social varie d'une région à l'autre. D'autre part, les réussites locales ne sont pas toujours reproductibles. Cependant, la réforme de 2014 a fait émerger des structures de concertation qui sont potentiellement en mesure de professionnaliser les acteurs régionaux et de constituer des relais de démultiplication des actions locales. À l'avenir, il serait intéressant d'évaluer l'action de ces nouveaux dispositifs de coordination.  

Les acteurs locaux en action
Plusieurs initiatives locales ont vu le jour entre 2000 et 2008. Ainsi, en 2003, a été créée, dans le département du Nord, une plateforme de services pour venir en soutien aux salariés du secteur textile touché par la crise. En Île-de-France, la problématique de sécurisation des parcours professionnels s'est traduite en 2004 par le conventionnement de 17 Opca afin d'orienter des actions de formation vers des salariés peu qualifiés au sein de PME. En 2008, la Région Paca a quant à elle mobilisé un fonds d'urgence de 5 millions d'euros en faveur de personnes peu qualifiées disposant de droits à la formation limités.

Notes   [ + ]

1. Comité paritaire interprofessionnel régional pour l'emploi et la formation.
2. Comité régional de l'emploi, de la formation et de l'orientation professionnelles.