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N° 7 - Septembre-Octobre 2018

« Redécouvrir l'audace pédagogique » avec la fondation Humanités, Digital & Numérique

Par - Le 20 septembre 2018.

« LE PLUS UTILE EN FORMATION ? CE QUI NE SERT RIEN ! »

Pourquoi une fondation Humanités, Digital & Numérique ?

Pendant les sept ans où j'ai dirigé l'Aforp[ 1 ]Centre de formation industriel et technologique., nous avons beaucoup pratiqué l'innovation pédagogique. Mais quand je décidais d'intégrer le grec ancien dans les parcours des pré-apprentis ou des apprentis de seconde, cela ne rentrait dans aucune des cases de mes trois donneurs d'ordre : ni dans les programmes de l'Éducation nationale, ni dans les priorités du Conseil régional et de la branche professionnelle de la métallurgie. Ne trouvant jamais de financements pour ce genre de projets, j'ai décidé à ma retraite de créer une fondation qui serait le financeur de projets pédagogiques atypiques. Un peu comme ceux que je menais et qui, en développant l'accès aux humanités classiques et modernes, permettaient de travailler à l'émergence de talents et de la dimension verticale des jeunes et des adultes.

Pourquoi vouloir intégrer les humanités dans l'enseignement professionnel ?

Mon idée est que ce qui est probablement le plus utile en formation est ce qui ne sert à rien ! C'est ce que j'appelle le « tiers domaine pédagogique ». Ce qui ne se retrouve ni dans les référentiels de certification ni dans les priorités financières. Ce qui m'intéresse, c'est le pari de l'Homme dans toutes ses dimensions : comment se tenir debout dans un monde où, en France, l'horizontalité du système éducatif et de formation nous transforme en simple applicatif ? L'esprit critique n'est pas travaillé et cette vision est renforcée par les Gafa qui nous fournissent des multitudes d'applis qui nous permettent de ne pas réfléchir. Sous prétexte de confort, de sécurité et d'amusement, le monde d'aujourd'hui nous transforme en Big Data. Et ça m'agace !

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Ce détour par les humanités concerne-t-il tous les niveaux de l'enseignement professionnel, y compris les premiers ?

Surtout les premiers ! C'est ce que j'explique dans ma tribune sur l'accueil des migrants : si l'on inverse pas la pyramide de Maslow[ 2 ]Théorie de la motivation expliquée par la hiérarchisation des besoins. Le modèle créé par le psychologue Abraham Maslow place la satisfaction des besoins en physiologiques en premier et la satisfaction du besoin d'accomplissement de soi en dernier., on oublie de donner du sens et une dimension verticale à l'être humain. Mais quand le monde adulte ose proposer l'excellence et la créativité, il se passe des choses, quel que soit le public à qui on le propose. Quand j'ai commencé à former des formateurs de l'Aforp à la sophrologie, ceux qui ont osé le mettre en pratique ont eu des résultats incroyables, avec moins de problèmes de discipline et une énergie canalisée plutôt que bêtement disciplinée. Même chose avec les opérations de théâtre ou la philosophie, qui, c'est un scandale, n'est pas proposée en bac professionnel...

Quelles ont été les premières actions de votre fondation ?

Financer les projets les plus fous ! Nous avons déjà accepté cinq financements. Les deux premiers concernent un projet de théâtre en prison et un projet de valorisation des compétences des autistes et de la neuro-diversité au travail ; les trois autres sont davantage liés à la formation professionnelle : le premier est un projet d'ateliers de philosophie pour des jeunes en formation d'intelligence artificielle en partenariat avec l'École Simplon et Microsoft Academy ; le second, un projet sur le développement de l'éloquence pour des demandeurs d'emploi en formation informatique de niveau bac ; le troisième, un projet autour du récit porté par les Ateliers du spectacle en direction d'apprentis industriels de l'Aforp, de jeunes en lycée professionnel aux Mureaux et d'habitants des Lilas (93).

Et ensuite ?

Tous les gens qui ont envie de faire des choses un peu folles pour des publics qui le nécessitent vont probablement avoir du mal à trouver de l'argent. Ma fondation devrait pouvoir, seule ou avec d'autres, accompagner ces projets. En découvrant le monde des autistes, par exemple, je me suis dit qu'il y avait probablement plein de choses à faire avec les « dys », que l'on rencontre de plus en plus et qui sont plutôt laissés de côté alors qu'ils ont de vraies compétences. C'est un apprenti dyslexique et dysgraphique de l'Aforp qui a remporté le concours de création du trophée de l'innovation créé par le FPSPP et Centre Inffo... Si vous ne proposez pas de choses improbables à tous les publics, ils ne vont jamais se réveiller. Mais cela suppose que le monde adulte a envie de prendre des risques, de sortir des cadres et de sa zone de confort, d'oser faire le pari de la jeunesse ! Et pas uniquement de la jeunesse d'Heri-IV et de Louis-le-Grand...

Propos recueillis par Nicolas Deguerry

FONDATION HUMANITÉS, DIGITAL & NUMERIQUE

« Faire entrer les humanités dans les cursus de formation professionnelle industrielle », tel est l'objectif de la fondation Humanités, Digital & Numérique. Créée en 2017 par Henri de Navacelle, ancien responsable formation de l'Uimm et directeur général d'un centre de formation industriel et technologique, la fondation accompagne et promeut des projets pluridisciplinaires et pluri-niveaux qui donnent accès au travail collaboratif, au respect de soi et des autres, au sens des évolutions techniques, et à la place de l'homme dans les entreprises et la société.

Notes   [ + ]

1. Centre de formation industriel et technologique.
2. Théorie de la motivation expliquée par la hiérarchisation des besoins. Le modèle créé par le psychologue Abraham Maslow place la satisfaction des besoins en physiologiques en premier et la satisfaction du besoin d'accomplissement de soi en dernier.