La formation professionnelle malade de l'apprentissage ?

Le déploiement de la loi « avenir professionnel » du 5 septembre 2018 a été mené avec efficacité, estime la Cour des comptes dans un rapport rendu public jeudi 30 juin. En revanche, le système est structurellement déficitaire en raison de dépenses d'alternance toujours plus importantes. La Cour recommande un financement pérenne de l'apprentissage par l'État

Par - Le 30 juin 2023.

La Cour des comptes a rendu public, le 30 juin, un rapport consacré à « la formation professionnelle des salariés » après la réforme de 2018. La loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel avait notamment pour objectif de simplifier la cadre de la formation professionnelle. De ce point de vue, la création de France compétences a été un succès. Le nouvel établissement « a pris en charge très rapidement ses missions les plus urgentes », constatent les magistrats. De même, la transformation des 20 Opca en 11 Opco présente « un bilan positif ».

Reste à charge calibré pour les utilisateurs du CPF

Quant au transfert de la collecte des Opco aux Urssaf, il aurait permis une économie de 500 millions d'euros. En revanche, la cour ne voit pas très bien l'intérêt d'avoir transformé les Fongecif en Transitions pro avec des missions amoindries. Elle propose de les intégrer aux Opco.

Un autre objectif de la réforme de 2018 était de démocratiser l'accès à la formation professionnelle grâce au CPF. Là encore, les choses ont bien fonctionné avec un recours au CPF « au-delà des attentes ». Mais avec aussi des effets négatifs : démarchage abusif et fraude. Par ailleurs, le CPF a « surtout servi à financer des formations non-certifiantes ». Dans le but d'améliorer la qualité des dépenses consacrées au CPF, la cour recommande donc de ne pas renouveler les certifications « concourant insuffisamment à l'élévation du niveau des compétences » et d'instaurer un reste à charge calibré pour limiter les achats d'impulsion sans dissuader les personnes peu qualifiées.

La réputation de Qualiopi en jeu

La qualité de l'offre de formation issue de la réforme devrait quant à elle être renforcée, estiment les magistrats. Certes, les critères sélectifs d'enregistrement aux répertoires ont permis à France compétences de rejeter de nombreuses demandes, « renforçant l'utilité de celles retenues », constatent les magistrats avec satisfaction -ils n'en disent pas autant de l'enregistrement des certifications ministérielles. Mais le label Qualiopi n'est pas à la hauteur, plus précisément le Cofrac, chargé d'accréditer les organismes certificateurs. La cour constate des failles dans le processus et des fraudes. Elle recommande à l'État de renforcer ses exigences vis-à-vis du Cofrac voire de changer d'organisation.

Mieux associer les partenaires sociaux

La lutte contre la fraude est d'ailleurs un des arguments de la cour lorsqu'elle propose de « mieux associer les partenaires sociaux à la définition d'objectifs stratégiques ». Certes, l'État est efficace quand il s'agit de réagir avec rapidité à une circonstance exceptionnelle, comme il l'a fait en instaurant un FNE (Fonds national emploi)-formation pendant le covid. Mais il l'est moins quand il s'agit d'irriguer la formation avec des dispositifs de long terme comme France 2030, de lutter contre la fraude, d'améliorer les transitions professionnelles ou de remédier aux déséquilibres financiers du système.

C'est sur ce dernier point que le rapport est le plus critique. Les magistrats se concentrent principalement sur l'alternance. Ils avaient consacré un rapport à ce sujet l'année dernière. Ils y reviennent cette année. Logiquement puisque les dépenses d'alternance « mobilisent la quasi-totalité des ressources de France compétences en 2022 et 2023 ».

L'alternance au détriment de la formation professionnelle

Les contributions versées par les entreprises (9,725 milliards d'euros en 2022) ne couvrent pas les dépenses d'apprentissage et de professionnalisation (10,377 milliards), « privant les autres postes de dépenses consacrées à la formation professionnelle de financement pérenne ». Pour éviter la cessation de paiement, France compétences emprunte et compte sur l'aide exceptionnelle de l'État Mais la situation n'est pas tenable. D'autant que le gouvernement a prévu de pousser encore davantage l'apprentissage jusqu'à 1 million de contrats d'ici la fin du quinquennat, ce qui va encore augmenter les dépenses pour ce poste (10,862 milliards prévus au budget 2023). L'année dernière, la cour avait recommandé de réduire les dépenses en ciblant les aides à l'embauche. Sans succès.

Des recettes pérennes pour l'apprentissage ?

Elle maintient cette recommandation cette année mais se concentre surtout sur les recettes. Le gouvernement n'ayant pas prévu d'augmenter les contributions des entreprises, « l'introduction d'un soutien pérenne de l'État […] s'imposera », estime la cour. Cette fois, sa recommandation semble être entendue par le gouvernement. Dans sa réponse au rapport de la cour, le ministre du Travail, Olivier Dussopt, reconnaît en effet que l'idée d'une subvention pérenne « semble devoir être considérée avec attention ».