L'Igas propose que l'Agence de services et de paiements de l'État assure le paiement de l'apprentissage à la place des Opco

L'Inspection générale des affaires sociales a présenté le 7 novembre un document qui préconise le transfert du paiement des contrats d'apprentissage des opérateurs de compétences vers l'Agence de services et de paiements de l'Etat. Economies de gestion, guichet unique, meilleur suivi… L'Igas estime que les avantages seraient nombreux. D'autres acteurs du champ de la formation professionnelle considèrent que séparer les missions des Opco ne serait pas si simple, tout en exprimant des craintes pour l'avenir de ces derniers.

Par - Le 19 novembre 2025.

Donner la gestion des paiements de l'apprentissage à l'Agence des services et paiements (ASP) de l'État aurait divers intérêts, affirme l'Igas dans un document de 25 pages, présenté aux 11 Opco le 7 novembre 2025 [ 1 ]Le rapport Igas avance au total 24 préconisations sur l'ASP, les contrats d'objectifs et de moyens des Opco, leurs frais de gestion, la TVA (taxe sur la valeur ajoutée)…. « L'échéance du début du transfert des flux de nouveaux contrats » pourrait intervenir « fin 2027 », précise l'Inspection générale des affaires sociales.

Elle permettrait des « économies substantielles » (environ 100 millions d'euros selon les estimations de l'ASP), et les fonds de l'apprentissage ne seraient « pas affectés » par le changement de régime d'assujettissement à la TVA des Opco (qui doit intervenir en 2026 ou 2027), l'ASP n'y étant pas assujetti pour de telles activités.

Lutte contre la fraude

Autre avantage avancé par l'Igas : une meilleure lutte contre la fraude. Et ce grâce à une unification des contrôles de l'aide à l'embauche des d'apprentis et du financement des CFA (centres de formation des apprentis), un système informatique unique, une fixation d'objectifs ambitions en matière de contrôle par les tutelles de l'ASP...

Enfin, troisième intérêt : une simplification et une qualité de service. L'ASP, affirme l'Igas, serait une guichet unique de paiement de l'apprentissage (pour entreprises et CFA) et offrirait une harmonisation des frais annexes pour plus d'équité entre les apprentis.

Redéploiement de moyens

Parallèlement, assure l'Igas, les Opco resteraient néanmoins chargés de la promotion de l'apprentissage et des mission d'appuis aux branches, et une instance paritaire serait mise en place au sein de France compétences pour gérer les fonds de l'apprentissage et leur usage. Au final, « un redéploiement d'une partie des économies gagnées serait possible vers le cœur de métiers des Opco : conseils aux entreprises et aux branches ».

Réduire le temps de paiement

La proposition de l'Igas est diversement appréciée. Si David Cluzeau, délégué général du Synofdes (Syndicat national des organismes de formation), estime difficile de faire des commentaires sur des hypothèses faites par une inspection générale. Déléguée générale des Acteurs de la compétence, Claire Khecha répond «  Pourquoi pas ? ». L'important, pour elle, est que les paiements des coûts de l'apprentissage pris en charge par les Opco soient « lissés et raccourcis au maximum, car les différences de paiement entre Opco sont compliquées à gérer par les prestataires de formation ».

Dossiers mal remplis

Jean-François Foucard, secrétaire national emploi et formation professionnelle au sein de la CFE-CGC (confédération de l'encadrement), est plus circonspect. Selon lui, l'Igas n'est « pas compétente sur les questions de systèmes d'information et mélange les choses ». 30 à 40 % des dossiers d'apprentissage sont à reprendre car mal remplis, fait-il valoir. « L'ASP est elle prête à embaucher 250 personnes pour gérer cette relation avec les entreprises ? Par ailleurs, comment imaginer d'ores et déjà la solution de l'ASP sans passer par un  appel d'offres public? ».  La vraie question est, interroge-t-il, des Opco pour quoi faire ? Et qui finance ? « Si tout cela doit mener à des suppressions de postes dans les Opco, ca va coûter plus cher », conclut-il.

Que faire des économies ?

Vice-président chargé des affaires sociales à la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), Eric Chevée exprime également des réticences. « La CPME dit danger ! », affirme-t-il, « car si ces économies ne visent qu'à retomber dans le puits sans fond de Bercy, la formation en France n'y gagnera rien ». Le problème, poursuit-t-il, est que les Opco ne font pas que la gestion simple et administrative des contrats d'alternance, qu'il y a souvent des allers-retours sur les dossiers pour de multiples raisons : clarification des noms, changements de tuteur, précisions sur le cursus qui sera suivi…. « Il est compliqué de découper les missions ». Cela dit, poursuit Eric Chevée, la CPME se montrera toujours favorable à la réalisation d'économies sur les coûts administratifs et de gestion, et à la simplification de la vie des CFA. « La vraie question est, que fait-on de l'économie proposée par l'Igas ? La France a besoin de formation, les entreprises ont besoin d'être financées, aidées et conseillées en formation, et toutes ont besoin de bonnes certifications des compétences fluidifiant le monde du travail, etc. C'est une question d'efficience et non d'économies». Par ailleurs, le choix technique de l'Agence de services et de paiement de l'État le surprend : pourquoi ne pas confier cette mission de paiement des contrats d'apprentissage à France compétences, qui finance les contrats ?. « France compétences connaît le sujet, ne serait ce pas plus logique ? ».

Opco attaqués

Enfin, Alain Druelles, un des piliers de la réforme de 2018 [ 2 ]Chef de projet réforme de la formation professionnelle à la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle de décembre 2017 à octobre 2018, puis conseiller formation professionnelle et apprentissage au cabinet de la ministre du travail Muriel Pénicaud d'octobre 2018 à septembre 2020, Alain Druelles a été la cheville ouvrière de la loi dite « avenir professionnel » du 5 septembre 2018, avec Antoine Foucher, directeur de cabinet de Muriel Pénicaud.  constate que « ces préconisations déclenchent des perceptions différentes, et il est difficile de dire si c'est une annonce de ce qui va être fait ou pas ». Selon lui, la remise en question des Opco via les propositions Igas est dans l'air depuis longtemps, car certains à Bercy et dans certaines cercles employeurs veulent se débarrasser des Opco et rêvent d'une gestion de la CUFPA [ 3 ]Contribution unique à la formation professionnelle et à l'apprentissage. par un « opérateur neutre ». « Ces préconisations témoignent d'un Bercy qui impose ou veut imposer, sans prise en compte du travail des partenaires sociaux, alors même que les contrats d'objectifs et de moyens pour 2025 ne sont pas encore stables. Tout cela manque de transparence ».

Retour à avant 2018

Aujourd'hui consultant associé (avec Antoine Foucher) au cabinet Quintet, Alain Druelles estime par ailleurs que les préconisations de l'Igas traduisent le fait que « certains pensent que l'apprentissage est désormais en rythme de croisière, qu'il faut gérer et nettoyer vigoureusement les prestataires douteux, sans voir que les bons CFA sont aussi écornés dans la manœuvre ». C'est, selon lui, « le résultat immédiat de la réduction des moyens du ministère du travail, ministère qui connaît le plus de baisse de budget 2 années de suite! On revient encore plus en arrière que 2018. Vu le niveau de chômage des jeunes, faut-il fragiliser l'apprentissage ? », interroge-t-il.

Le groupe socialiste de l'Assemblée nationale revient sur la rationalisation des Opco à hauteur de 100 millions voulue par le Gouvernement

Parmi les arguments justifiant une réforme du rôle des Opco, celui portant sur les « marges observées » revient fréquemment. Dans son rapport de 25 pages, l'Inspection générale des affaires sociales souligne que « les Opco donnent aujourd'hui globalement satisfaction aux branches selon une enquête menée par la mission. Mais au prix de frais de fonctionnement élevés : après une forte hausse entre 2020 et 2022, le volume de nouveaux contrats d'apprentissage a progressé de 5% entre 2022 et 2024 contre une hausse de 7% des dépenses de fonctionnement

S'appuyant sur ces assertions, le projet de loi de finances 2026 initial prévoyait une « rationalisation du soutien aux opérateurs de compétences de -100 millions d'euros, au vu des marges observées ». Mais cette disposition a été supprimée par un amendement déposé le 3 novembre par la députée socialiste de Seine-et-Marne Céline Thiébault-Martinez. « Les marges observées seraient la résultante des travaux de l'Igas conduit de mars à juin 2025 dans les 11 Opco à la demande de la ministre du travail [ 4 ]Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du travail à l'époque.. Or ces rapports n'ont pas été rendus publics, ne permettant pas aux parlementaires de se prononcer en connaissance de cause », avance l'exposé des motifs de l'amendement adopté par l'Assemblée nationale.

En conséquence de quoi, le texte propose « de maintenir le budget des Opco, acteurs essentiels pour développer les compétences des travailleurs à l'heure de la mondialisation et du tout-numérique. »

 

Contactée par le Quotidien de la formation, la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle n'a pas donné suite à nos demandes de précisions. Même absence de réponse du côté de certains représentants d'opérateurs de compétences, sollicités par Centre Inffo.

 

Lire le rapport intégral de l'Igas.

Notes   [ + ]

1. Le rapport Igas avance au total 24 préconisations sur l'ASP, les contrats d'objectifs et de moyens des Opco, leurs frais de gestion, la TVA (taxe sur la valeur ajoutée)…
2. Chef de projet réforme de la formation professionnelle à la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle de décembre 2017 à octobre 2018, puis conseiller formation professionnelle et apprentissage au cabinet de la ministre du travail Muriel Pénicaud d'octobre 2018 à septembre 2020, Alain Druelles a été la cheville ouvrière de la loi dite « avenir professionnel » du 5 septembre 2018, avec Antoine Foucher, directeur de cabinet de Muriel Pénicaud.
3. Contribution unique à la formation professionnelle et à l'apprentissage.
4. Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du travail à l'époque.