“La France ne forme pas suffisamment d'ingénieurs"
Par Nicolas Deguerry - Le 15 juin 2010.
“27 à 28 000 diplômés par an, ce n'est pas suffisant." Un constat dressé par Christian Forestier, administrateur général du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) lors de la Semaine de l'ingénieur, organisée du 29 mai au 4 juin.
Et de manifester sa préoccupation devant “la lente désaffection des formations scientifiques et techniques", un phénomène qu'il juge d'autant plus “inexplicable que] les études du Céreq montrent que le diplôme d'ingénieur continue de remporter la palme de l'insertion professionnelle la plus rapide". Une incompréhension partagée par Michel Terré, directeur de l'École d'ingénieurs Cnam ([eiCnam), qui rappelle que si “tous les grands problèmes d'aujourd'hui sont très techniques et concernent les ingénieurs, paradoxalement, la filière attire peu". À tel point que “le nucléaire français court le risque d'une véritable pénurie de compétences", avertit Christian Forestier.
[(LES SPÉCIALITÉS DE L'EICNAMChimie, construction et aménagement, électronique-automatique, énergétique informatique, mesure-analyse, matériaux, mécanique, sciences et techniques du vivant, sciences et technologies nucléaires, sécurité sanitaire, électronique et télécommunications, génie électrique, mécanique, maintenance de véhicules, bâtiments et travaux publics, techniques de construction, génie industriel, automatisme et informatique industriel, production, génie des matériaux pour l'emballage.)]
La solution ? Sans doute “mieux communiquer" et ne pas négliger un “gisement énorme : les filles. Le jour où l'on formera autant de filles que de garçons[ 1 ]L'eiCnam n'accueille que 15 % de femmes. , nous n'aurons plus de crise", plaide-t-il. Fortement convaincu que la formation d'ingénieur demeure la voie d'excellence, l'administrateur général en rappelle aussi l'importance pour son institution. “700 ingénieurs par an formés en cours du soir, 300 en apprentissage et une centaine en formation initiale à l'École supérieure des géographes-topographes du Mans", voilà qui fait du Cnam un “grand opérateur". Et de rappeler que, conformément aux nouveaux statuts adoptés fin 2009, “le Cnam est un établissement en réseau", ce qui signifie qu'“un ingénieur Cnam est formé à l'identique, quel que soit le lieu". Même à distance ? “Nous ne croyons pas au tout à distance, mais nous pensons aussi que le tout présentiel est en voie de disparition", répond Christian Forestier, non sans préciser qu'“un formé sur deux prend des cours à distance". D'où une montée en puissance des formations “mixtes", à l'instar de celle qui devrait prochainement ouvrir à Haïti.
À noter que l'innovation pédagogique passe aussi par les contenus, puisque, souligne l'administrateur général, “nous sommes les premiers à mettre en place une formation d'ingénieur sur la sécurité". Une formation qui vise “à former des professionnels de haut niveau, à même de mener des démarches de quantification des risques sanitaires liés au travail et à l'environnement, de les modéliser de façon prospective et de proposer des solutions efficaces et acceptables."
Questions à Michel Terré, directeur de l'École d'ingénieurs Cnam (eiCnam)
“Pour une valorisation des filières scientifiques"
Quelles sont les spécialités les plus porteuses ?
Toutes celles qui vous viennent à l'esprit quand vous pensez aux points forts de l'économie française. Par exemple, et malgré des moments de ralentissements dus à la crise, les transports, l'électronique et la mécanique. La chimie, également, et le nucléaire, qui attire peu alors que le défi est énorme. Le secteur des énergies nouvelles et renouvelables (ÉNR) se porte bien, mais, y-a-t-il autant d'emplois derrière ? Ce n'est pas évident…
Y-a-t-il des spécialités en perte de vitesse ?
Pas vraiment. Même les spécialités anciennes se rénovent, deviennent très technologiques et complexes. C'est, par exemple, le cas de l'emballage dans le secteur papier.
Comment expliquer la désaffection des filières scientifiques ?
Tous les problèmes d'aujourd'hui sont très techniques et concernent les ingénieurs. Mais, paradoxalement, la filière attire peu. Pourquoi les gens qui veulent sauver l'humanité veulent-ils tous devenir médecins ? Il y a sans doute un travail de communication à effectuer, qui passe par une meilleure information et une valorisation des filières scientifiques. Concevoir la voiture qui se conduit toute seule, des avions sans pilotes, avoir un aspirateur qui fasse le ménage en votre absence, etc., ça ne vous intéresse pas ?
Combien de temps faut-il pour former un ingénieur Cnam ?
Compte tenu de la spécificité du rythme Cnam (une majorité des auditeurs sont des salariés en cours du soir), disons qu'il faut six à sept ans pour passer de bac + 2 à bac + 5.
Peu prisé des jeunes générations, le métier d'ingénieur nucléaire promet pourtant de bonnes perspectives. “Dans les années à venir, l'emploi va bénéficier du renouvellement du parc de centrales, du projet de réacteur EPR (European pressurized reactor, réacteur à eau pressurisée) de troisième génération et du traitement des déchets. La filière nucléaire fournit plus de 80 % de l'électricité produite par EDF. Gérant 58 réacteurs, le premier électricien de France est un acteur important du nucléaire, puisqu'il regroupe la moitié des 40 000 emplois du secteur. Environ 85 % de ses recrutements s'adressent aux jeunes diplômés. Le groupe Areva, leader mondial de l'énergie nucléaire, est également un gros pourvoyeur d'emplois. La majorité de ses recrutements concerne des ingénieurs débutants et expérimentés. Le salaire du débutant est de 3 000 euros brut par mois.")]
Notes
1. | ↑ | L'eiCnam n'accueille que 15 % de femmes. |