Pierre Lary, un petit vélo dans la tête

« Il ne faut pas mélanger passion et travail »

« Longtemps je me suis levé de bonne heure ». Non, ce n'est pas Proust qui entame sa « recherche » mais Pierre Lary, 41 ans, qui nous présente la sienne. « Quand le directeur régional de Leader Price, un ami, m'a proposé un CDD d'employé libre service, j'y ai vu un moyen de sortir de la fac : il fallait bien que ça s'arrête un jour ! » Faut-il à ce point détester l'université pour s'empresser d'accepter la perspective d'embaucher à 5 heures du lundi au samedi ? Même pas. Ses études en sciences du langage, Pierre Lary les juge « très intéressantes ». Mais quelques peu déconnectées de tout projet professionnel. « J'ai accepté parce que je n'avais plus rien à faire à la fac. La grande distribution, peu acceptent, peu tiennent. J'y suis allé comme un « mort de faim », pour rentrer dans la vie active et me prouver que je pouvais travailler ».

Lui en doute mais pas sa hiérarchie, qui lui propose rapidement un poste de chef de rayon en CDI. Avec une formation à la clé ? « Ah non, dans le discount, tout est tiré vers le bas, j'étais le petit gars sérieux et fiable qui ne demandait jamais rien alors que, finalement, je portais tout de même 30% du chiffre d'affaires ». S'il ne regrette pas l'expérience, il ne cache pas non plus que le travail était dur, jusqu'à se demander s'il aurait aujourd'hui le courage de recommencer. « Je pourrais jamais faire ce que tu fais », est d'ailleurs une phrase qu'il assure avoir souvent entendue. Il faut bien dire que le monde du travail a un temps ressemblé à l'idée qu'il s'en faisait : sûrement pas un lieu où déployer la passion dont témoignent les photos qu'il affiche sur Facebook : il y a 25 ans comme aujourd'hui, l'homme ne semble jamais autant vibrer qu'à... vélo ! Et si possible dans sa forme la plus extrême, plus souvent dans les airs qu'au sol : BMX, VTT, beachcruiser, fixie, etc.^{[ 1 ]}Autant de déclinaisons du vélo pour autant d'usages..., Pierre Lary roule au gré de ses humeurs sur tout ce qu'il possède, soit « au moins six ou sept vélos et même plus », s'amuse-t-il, « en comptant ceux qui sont en pièces détachées ». Dommage de ne pas en faire profiter les autres, non ?

Refusant d'évoluer vers un poste de directeur adjoint de supermarché, il prend un mois de congé pour autofinancer une formation de vendeur technicien cycle. « J'aimais le vélo, je pensais que j'aimerais le business du vélo », résume-t-il. « Sauf que le marché du cycle est très dur, et puis, j'étais trop passionné pour faire un bon vendeur ». Toujours est-il qu'il se voit confier par des commerçants savoyards l'ouverture d'un magasin dédié aux sports extrêmes sur Grenoble. Efficace, il multiplie une dizaine d'années durant les ouvertures en Rhône-Alpes, jusqu'à devenir responsable de réseau. Bon salaire, bonne carrière, mais finalement beaucoup trop de responsabilités à son goût. « Quand j'ai su que mes employeurs voulaient se séparer de l'enseigne grenobloise, l'idée de la racheter à commencer à poindre. C'est moi qui l'avais lancée, je savais qu'une bonne équipe était en place, alors je me suis associé avec les deux autres salariés pour reprendre l'affaire. On a racheté cher notre propre travail mais tant pis, il y a maintenant la satisfaction d'être son propre patron ». Et si le plaisir de rouler reste irremplaçable, le vélo a lui disparu des rayons : « il ne faut pas mélanger passion et travail, maintenant je le sais. Même si je n'ai peut-être pas encore bien assimilé ma nouvelle fonction, je commence à vraiment me sentir à ma place, des choses se sont emboîtées et mes expériences passées me permettent d'apprécier ce que je vis aujourd'hui ». Bonne nouvelle, l'équilibre, c'est comme le vélo, ça ne s'oublie pas…

Nicolas Deguerry

1995

Maîtrise de sciences du langage

1995-1998

D'employé libre service à chef de rayon en grande distribution

1998

Formation autofinancée de vendeur technicien cycle

1999-2001

Saisonnier aux Arcs

2001-2010

Lancement et gestion de magasins de sports extrêmes

Août 2010

Rachat de l'un des magasins